La filière du jeu vidéo est en plein boom en France. La multiplication des studios créatifs et les avancées technologiques créent une émulation qui se traduit par un nombre record d’embauches.
Derrière son allure de grande foire du jeu vidéo, la Paris Games Week, qui se tient à Paris jusqu’à samedi, est aussi la vitrine d’un secteur en plein développement en France. Entre les consoles alignées en rang d’oignons et les happenings autour des jeux, on trouve aussi dans les allées du salon les stands d’écoles formatrices et les syndicats de professionnels de la filière vidéoludique tricolore. Et tous ont le sourire : l’industrie se porte plus que bien. Un dynamisme qui se traduit par des embauches en nombre.
1.300 emplois créés en 2017. La vague d‘embauches a d’ailleurs été bien plus forte qu’attendu cette année. Alors que le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) prévoyait 750 créations d’emploi en 2017 dans son baromètre paru il y a un an, "on sera finalement autour de 1.300 emplois créés", se réjouit Julien Villedieu, délégué général du syndicat. "Il y a en France entre 5.000 et 6.000 personnes qui travaillent directement sur la création de jeux. Donc on est sur une croissance de plus de 20%", ajoute-t-il. Selon les derniers chiffres du syndicat, les créations de poste sont en majorité des CDI (44%) et des CDD (22 %).
Ubisoft et les autres. Mastodonte de l’industrie vidéoludique française et mondiale, Ubisoft (Assassin’s Creed, Lapins Crétins, Rayman, Just Dance…) prévoit à lui seul d’embaucher entre 500 et 1.000 personnes supplémentaires en France dans les dix ans à venir. L’entreprise fondée par les frères Guillemot possède quatre studios en France, à Montreuil, Annecy, Montpellier et le dernier à Bordeaux, inauguré en septembre et pour lequel Ubisoft a reçu… 3.000 candidatures en six mois. Pour l’instant, 37 personnes y travaillent et 200 sont prévues à terme.
" On est toujours la recherche de la perle rare "
Derrière Ubisoft et les quelques studios de taille intermédiaire (Quantic Dream, Ankama, Focus Home…), la France dispose d’un "maillage de petits studios très agiles", explique Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (S.E.L.L.). La moitié des entreprises comptent 5,5 emplois équivalents temps plein (ETP) ou moins. "Proportionnellement, ce sont elles qui embauchent le plus", complète Julien Villedieu, du SNJV. Le dynamisme des studios repose en grande partie sur un vivier de talents qui ne se tarit pas. Lors de son discours d’inauguration à Bordeaux, Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, a ainsi rappelé "l'excellence de la formation française". "Sur le plan créatif, les Français font la différence", a-t-il assuré.
A la recherche de la perle rare. Qui dit filière d’excellence, dit niveau d’exigence élevé. "Les promos des écoles de formation aux métiers du jeu vidéo sont ‘chassées’", assure Emmanuel Martin. Les entreprises françaises se disputent les meilleurs talents très tôt. A l’ENJMIN, une école publique spécialisée dans les métiers de la filière basée à Angoulême, Ubisoft vient dès le début de l’année pour passer la promo au crible. Le vivier est riche mais la guerre fait rage pour attirer les futurs talents du jeu vidéo. "On est toujours la recherche de la pépite, la perle rare, notamment pour les développeurs, qui sont le nerf de la guerre", explique Tarak Aoufi, responsable de la communication de la section jeux vidéo d’Ankama, entreprise française qui a créé le très populaire jeu en ligne Dofus.
"On travaille dans un milieu en perpétuel mouvement. Les langages informatiques qu’on utilise pour développer les jeux sont en perpétuelle évolution. Donc on ne cherche pas tant des gens qui les maîtrisent de A à Z. Ce qui nous intéresse vraiment, ce sont ceux capables de créer au sein même de ces langages, d’inventer, d’innover", détaille Tarak Aoufi. Sont également très prisés les spécialistes des interfaces capables d’adapter un jeu mobile au système d’un ordinateur, les applications pour smartphone étant devenues un segment essentiel de l’industrie.
" "Entre 85 et 90% des élèves reçoivent une proposition d’embauche" "
Des métiers variés. Derrière les chiffres se cache une grande diversité de métiers. Certes, les postes de développeur informatique représentent "70% des offres", rappelle Julien Villedieu. Mais pour créer un jeu vidéo, il faut aussi des chefs de projet issus du management, des graphistes, des illustrateurs, des ergonomes… Ces derniers, en charge de la maniabilité et plus généralement de l’utilisation du jeu par les joueurs, ont parfois fait des études de psychologie ou de sociologie. Enfin, il y a les "game designers" qui conçoivent les règles et les mondes des jeux vidéo. A l’ENJMIN, ceux qui optent pour cette spécialité viennent "pour un tiers de l’informatique, un tiers du cinéma, de l’écriture de scénario et un tiers d’un peu partout : spectacle vivant, physiciens, ingénieurs…", détaille Stéphane Natkin, directeur de l’école et professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
Des emplois pour tous… ou presque. Au fil des générations, ceux qui ont grandi avec Mario ou Call of Duty envisagent de plus en plus des carrières dans le milieu. L’ENJMIN, croule chaque année sous les candidatures. "Pour 2017, nous avons reçu plus de 400 dossiers pour la première étape de sélection du Master, un projet de jeu vidéo sur un thème donné dès février", explique Stéphane Natkin. "Après examen, nous en avons retenu une centaine pour des écrits à Paris, puis 80 pour les oraux à Angoulême. Au final, on en a gardé une cinquantaine." Un processus de sélection drastique qui permet de faire le tri entre les simples passionnés et les vrais bosseurs.
En plus des treize écoles reconnues par les professionnels du jeu vidéo, il existe de nombreuses formations préparant aux divers métiers du secteur. Environ "une cinquantaine", selon Julien Villedieu. Résultat, "tout le monde ne trouve pas un emploi à la sortie de l’école". Sortir d’un établissement reconnu est un plus : parmi les étudiants diplômés de l’ENJMIN cette année, "entre 85 et 90% ont reçu une proposition d’embauche". Libre à eux de l’accepter ou non. Par ailleurs, si les écoles publiques sont accessibles (200 euros par an à l’ENJMIN), certains établissements privés facturent plus de 5.000 euros l’année de Master.
" La précarité est une vraie question pour nous "
Une précarité bien réelle. Pour tous ceux qui ne sont pas embauché à la sortie de l’école, deux solutions existent. D’abord, se lancer en freelance. En 2016, ce type de statut était le deuxième le plus courant dans le secteur (18,5%), derrière les CDI. Un statut prisé par de nombreux jeunes qui souhaitent développer des jeux originaux. Mais être freelance a aussi des inconvénients. Vincent Pellarrey a fondé en 2016 le studio Ebim avec deux associés : "Il y a beaucoup de créateurs indépendants pour qui c’est compliqué de trouver des financements. La précarité est une vraie question pour nous". Sans débouchés, d’autres décident de partir à l’étranger. "Ce n’est pas une mauvaise chose. On n’est pas chauvins", assure Emmanuel Martin. "Ils représentent la France à l’étranger. Après, l’objectif c’est d’arriver à les faire revenir avec leur expérience."
Les bons chiffres en termes d’emploi ne doivent donc pas faire oublier une situation souvent contrastée en entreprise. D’autant que les salaires en sortie d’école ne sont pas toujours alléchants. Selon le SNJV, un graphiste peut ainsi débuter à 15.000 euros annuels, un game designer ou un programmeur à 18.000 euros. Pas énorme, surtout que la création d’un jeu est un projet, avec des contraintes et surtout une date limite de livraison. Ce qui implique souvent d’accumuler les heures supplémentaires. Malgré tout, les professionnels restent positifs. "C’est un secteur en évolution permanente, tout peut changer d’ici deux à trois ans", avance Julien Villedieu, avant de conclure en riant : "On n’a même pas encore de retraités !"
Croissance record
Si la filière du jeu vidéo embauche autant, c’est parce que le marché se porte très bien. "La consommation de jeux vidéo n’a jamais été aussi importante. On est au niveau du livre et on est en train de devenir la première industrie culturelle", résume Julien Villedieu, du SNJV. Le chiffre d’affaires du jeu vidéo a atteint 3,46 milliards d’euros en 2016. Un record qui devrait être allégrement battu cette année. "On part sur une croissance à deux chiffres avec un chiffre d’affaires annuel qui devrait tourner autour de quatre milliards d’euros", anticipe Emmanuel Martin, du S.E.L.L. En quatre ans, le secteur a gonflé de près de 50%.
La croissance particulièrement soutenue observée en 2017 dans le secteur s’explique aussi par un environnement propice au développement de projets. "En début d’année, il y a eu la sortie de la Nintendo Switch. Maintenant, on a la Xbox One X qui arrive. Or, on sait que les nouvelles consoles génèrent des cycles vertueux puisqu’elles impliquent de développer des nouveaux jeux et offrent de nouvelles possibilités créatrices", souligne Emmanuel Martin. À ces deux consoles, il faut ajouter la réalité virtuelle (VR), dont les promesses faites ces dernières années commencent à se concrétiser.