Et si, malgré le raz-de-marée de La République en marche! aux législatives, le gouvernement était contraint de revoir ses ambitions à la baisse ? Une hypothèse étonnante et pourtant formulée par le Premier ministre lui-même. Selon lui, il est "probable" que le déficit public soit plus élevé que prévu à la fin de l’année. "Je pense même que c'est un risque extrêmement fort", a estimé Édouard Philippe, mardi sur franceinfo. Or, un dérapage budgétaire réduirait la marge de manœuvre du gouvernement, notamment en matière de fiscalité.
Du déficit dépend la construction du quinquennat. Édouard Philippe recevra le 1er juillet un audit de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 2017, qui déterminera "si nous sommes sur une trajectoire qui permettrait d'arriver à 2,8% ou si nous (sommes) au-dessus". "Si nous sommes au-dessus, il va y avoir toute une série de mesures", a-t-il averti, ajoutant qu'il "pense qu'il n'y aura pas" de lois de finances rectificatives pour redresser les comptes, sans pour autant exclure cette hypothèse.
"Une fois qu'on aura le panorama complet, objectif, stabilisé de la situation budgétaire, il faudra qu'on regarde comment on passe la fin de l'année et ensuite comment on construit" la suite du quinquennat, détaille le Premier ministre. Comprendre, entre les lignes, que l’avenir des réformes dépend de l’évolution du déficit. Le précédent gouvernement avait prévu 2,8% cette année, après avoir initialement anticipé 2,7%. Mais la boule de cristal a déjà connu des ratés : en 2016, le déficit public de la France a atteint 3,4%, en baisse de 0,2% par rapport à 2015, mais supérieur par rapport à la première estimation de 3,3%.
Réformer ou respecter le cadre. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à rester dans "l’épure des 3%" de déficit tout long de son mandat (il était d’ailleurs le seul candidat dans ce cas). La trajectoire budgétaire du Président prévoit une réduction continue du déficit de 3% en 2017 à 1% en 2022. Des prévisions qui ont rassuré l’Allemagne et l’Union européenne après plusieurs années de tolérance vis-à-vis des excès français.
Le problème est qu’Emmanuel Macron a prévu un certain nombre de réformes ambitieuses et coûteuses. Qui plus est, le calendrier des réformes sociales annoncé par Édouard Philippe le 6 juin montre que le gouvernement veut aller vite avec six chantiers en 18 mois. Parmi eux, le plan d’investissement "massif" pour la formation professionnelle, opérationnel début 2018 et l’extension de l’assurance-chômage aux démissionnaires et aux indépendants, sont des projets coûteux.
Jusqu’à cinq milliards d’euros en moins. En imaginant une croissance de 1,4% cette année (la moyenne des différentes prévisions), le PIB de la France atteindra 2.264 milliards d’euros fin 2017. Partant de cette hypothèse, un déficit de 2,8% correspondrait à 63,4 milliards d’euros. A 2,9%, on parle plutôt de 65,7 milliards et à 3% (la prévision de la Commission européenne), on grimpe à 68 milliards. On ne peut exclure la possibilité d’un déficit supérieur à 3% (ce qui mettrait la France en fâcheuse position à Bruxelles) mais cela semble peu probable à l’heure actuelle. Résultat, en cas de déficit plus élevé que prévu, et s’il veut respecter sa trajectoire budgétaire, le gouvernement pourrait bien être privé de deux à cinq milliards d’euros. Soit précisément le coût de l’extension de l’assurance-chômage, estimé entre 2,9 et 4,8 milliards d’euros à l’État, selon l’Institut Montaigne.
Darmanin à la manœuvre. En plus des réformes sociales, Emmanuel Macron prévoit d’entamer rapidement et de façon progressive, la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des Français, la réduction de l’impôt sur les sociétés de 33 à 25%, et d’autres mesures qui correspondent à des milliards d’euros de dépenses ou de baisses de recettes. Pour rester dans les clous sur le plan budgétaire, le gouvernement pourrait se retrouver à devoir trancher entre deux options : réduire la voilure sur les réformes ou augmenter les économies (le Président vise 60 milliards d’euros sur cinq ans).
Voilà qui devrait donner du pain sur la planche à Gérald Darmanin. Le ministre de l’Action et des Comptes publics a fixé une ligne claire en matière de finances publiques. "Ce qui est sûr, c’est que nous allons tenir nos engagements européens et nous allons nous battre pour que, effectivement, nous puissions sortir de la procédure de déficit excessif", avait-t-il assuré sur France 2, le 1er juin. "Il faut qu’on soit crédible vis-à-vis de notre dette, vis-à-vis des autres partenaires, vis-à-vis du monde économique." Charge à lui désormais de faire concorder les ambitions du gouvernement avec un cadrage budgétaire strict.
Le cadeau empoisonné de Hollande
Pour Édouard Philippe, il n’y a pas de doute : si le déficit venait à être supérieur à 2,8%, c’est à cause de François Hollande. "J'espère que le précédent gouvernement a intégré dans le budget 2017 l'ensemble (...) des décisions qu'il (a) prises dans le premier semestre, c'est-à-dire avant de passer la main." Il "est assez facile dans les quelques mois qui précèdent une élection (...) de lâcher un certain nombre de décisions dures à tenir et ensuite ce (sont) les autres qui gèrent", a poursuivi le Premier ministre.
Critiques de la Cour des comptes. Déjà, fin mai, la Cour des comptes avait chargé l’administration Hollande, regrettant que la réduction du déficit en 2016 ait été "faible et peu significative" (-0,2%). "Le contexte propice de la baisse de la charge de la dette et de la forte réduction des prélèvements sur recettes a été insuffisamment mis à profit pour progresser dans le rétablissement des finances de l'État", ajoutaient les magistrats financiers. Ils avaient notamment dénoncé des "accommodements" comptables de la part du gouvernement et exprimé leur inquiétude sur la trajectoire budgétaire à court et moyen terme. Hasard du calendrier, Gérald Darmanin doit justement s’entretenir mercredi avec le président de la Cour des comptes Didier Migaud.