"Plus on s’élève, plus dure sera la chute" : rarement ce proverbe, un tantinet cliché, a été aussi adapté que pour le cas de Wirecard, géant allemand des services financiers, qui a déposé le bilan jeudi. La raison : un trou de… deux milliards d'euros dans ses comptes ! Au terme d'une semaine complètement folle, cette entreprise méconnue du grand public mais incontournable dans le monde des nouvelles technologies, a vécu l'épilogue de sa descente aux enfers. Récit d'une histoire rocambolesque, un scandale comme seul le monde de la finance peut en créer.
De start-up à géant mondial
Créée en 1999 à Munich, Wirecard est, à l'origine, une start-up spécialisée dans la sécurisation des transactions en ligne pour les entreprises. Autrement dit, elle garantit et assure, pour les entreprises, les paiements faits sur internet par les consommateurs. Au passage, elle encaisse une commission, fondement de son modèle économique. Dans les années 2000, la start-up profite de l'essor du e-commerce et de l'incapacité des banques traditionnelles à surfer la vague numérique pour devenir un géant mondial, avec quelque 300.000 entreprises clientes.
Fin 2018, Wirecard entre en bourse et, comme un symbole, elle boute la Commerzbank hors du Dax (l'indice boursier allemand). Elle est alors valorisée 23 milliards d'euros, ce qui en fait, à l'époque, le troisième groupe financier allemand, devant la vénérable Deutsche Bank. Début 2019, les deux entreprises présentent une capitalisation comparable, autour de 17 milliards d'euros. Sauf que Wirecard fonctionne avec 15 fois moins de salariés et de chiffre d’affaires.
Une descente aux enfers par étape
C’est à ce moment-là que les ennuis commencent. Le Financial Times publie trois articles en quelques semaines, accusant notamment Wirecard d'avoir manipulé le bilan comptable du groupe pour gonfler le volume de ses opérations en Asie. Les dirigeants nient les accusations mais la bulle est crevée : le cours de Bourse dévisse (-40% en trois mois), les comptes sont passés au peigne fin et la police de Singapour ouvre une enquête. En octobre, le Financial Times en remet une couche avec de nouvelles révélations sur des "pratiques suspectes de comptabilité" chez Wirecard, cette fois-ci dans le Golfe.
Dans les mois qui suivent, deux cabinets d'audit renommés (EY et KPMG) émettent des doutes sur la comptabilité de Wirecard et refusent de certifier ses comptes. L'organisme de régulation financière allemand, la Bafin, leur emboîte le pas et dépose une plainte auprès du parquet de Munich, qui ouvre une enquête début juin.
Tout est en place pour le dernier acte : la chute. Inquiets par les possibles retombées, les investisseurs quittent le navire et, en une semaine, le titre Wirecard perd plus de 90% de sa valeur et descend sous le milliard d'euros de valorisation.
Finalement, lundi 22 juin, Wirecard reconnaît l'existence d’une gigantesque fraude financière en interne : 1,9 milliard d’euros figurant dans ses comptes se sont évaporés aux Philippines. Cette somme, colossale, "n'existe très probablement pas", admet le groupe. Le lendemain, le patron historique de Wirecard, Markus Braun, se rend aux autorités. Il avoue avoir "gonflé" le bilan de l’entreprise pour la "rendre plus attractive pour les investisseurs et les clients". Arrêté et inculpé, il est libéré sous caution de cinq millions d'euros. Déserté par tous ses soutiens financiers, le groupe finit par déposer le bilan jeudi, sous "la menace d'insolvabilité et de surendettement".
Wirecard, un "scandale sans équivalent"
Dans les heures qui suivent, le cabinet EY, chargé de l'audit des comptes de Wirecard, annonce voir des "indices clairs d'une fraude de grande envergure, impliquant plusieurs parties dans le monde et diverses institutions, avec une volonté de tromperie". Le ministre allemand des Finances évoque, de son côté, un "scandale sans équivalent dans le monde financier". Il faut dire que l'affaire provoque un vif débat outre-Rhin sur le contrôle très souple auquel sont soumis les entreprises technologiques comme Wirecard. "Un tel scandale doit constituer un signal d'alarme montrant que nous avons besoin de davantage de contrôle", a souligné Olaf Scholz.
De fait, Bruxelles a demandé à l'Autorité européenne de supervision des marchés financiers de conduire une enquête préliminaire sur la gestion du cas Wirecard par le gendarme allemand de la finance. Quant à l'enquête judiciaire, elle suit la piste de l'argent. La justice s'intéresse à l'avocat d'affaires Mark Tolentino, présenté par la presse allemande comme celui qui opérait en tant qu'agent fiduciaire pour le compte de Wirecard, au sein du centre financier philippin de Makati City. Mais celui-ci se dit victime d'une usurpation d'identité. La justice philippine, elle, recherche activement un ancien directeur du groupe, Jan Marsalek, qui pourrait se trouver sur le sol philippin.