Venu au secours de sa ministre du Travail Myriam El Khomri, Manuel Valls a avancé un nouvel argument dans un entretien accordé le 6 mars au Journal du Dimanche : "Nous devons réformer le droit du travail comme nos voisins l'ont fait", a souligné le Premier ministre dans une référence implicite aux réformes menées récemment en Espagne ou en Italie. Les lois adoptées de l’autre côté des Alpes présentent en effet de nombreuses similitudes avec la feuille de route du gouvernement. Mais l’Italie a-t-elle trouvé la recette magique ? Et la France peut-elle vraiment s’en inspirer ?
Un marché de l’emploi grippé dans les deux pays. Le texte porté par la ministre du Travail part du constat suivant : les entreprises embauchent de moins en moins en CDI et privilégient les CDD, l’intérim et toutes les autres formes d’emplois précaires. Une réforme s’impose donc, d’autant que les jeunes actifs sont les premiers à payer le prix de cette précarisation : alors que 10,7% de la population en emploi est en CDD ou en interim, ce chiffre passe à 35,6% chez les moins de 25 ans. "Cette loi est faite pour que les jeunes (...) puissent rentrer plus facilement sur le marché du travail en étant en CDI", a d’ailleurs souligné Myriam El Khomri.
Deux ans auparavant, l’Italie a dressé un constat similaire, voire pire : le taux de chômage y dépasse alors les 12% et atteint même 35% chez les moins de 25 ans. Quand ils trouvent un travail, les jeunes Italiens sont le plus souvent condamnés à des contrats précaires. "Le CDD s’est clairement imposé comme référence pour les nouvelles embauches, et la part des jeunes de 15 à 24 ans en CDD est passée de 26 % de l’emploi salarié en 2000 à 52,5 % en 2013", résume Céline Antonin, économiste à l’OFCE et maître de conférences à Sciences Po, dans une note consacrée aux réformes italiennes alors en préparation.
La loi El Khomri, comme un air de déjà vu italien. Pour que l’emploi en CDI redevienne la norme lors des nouvelles embauches, le gouvernement français fait donc le pari suivant : rendre le CDI moins protecteur et plus flexible pour qu’il redevienne attractif aux yeux des employeurs. Une feuille de route qui ressemble beaucoup à celle du Premier ministre italien Matteo Renzi.
Entrée en vigueur en mars 2015 sous le nom de code "Jobs Act", le flexisécurité à l’italienne repose sur deux piliers : l’instauration d’un contrat unique à protection progressive et l’assouplissement des conditions de licenciement. Depuis, un employeur peut licencier sans aucune justification pendant les trois premières années, avec la certitude que les indemnités qu’il devra verser sont plafonnées. Et surtout l’article 18 du Code du travail a disparu, ce qui n’est pas anodin : ce texte obligeait tout employeur condamné aux prudhommes pour licenciement abusif à réintégrer le travailleur. Désormais, cette règle ne s’applique qu’aux cas de discrimination.
Si le gouvernement français n’est pas allé jusqu’à proposer le passage au contrat de travail unique, dont Manuel Valls est un partisan, il a en revanche repris une bonne partie des recettes italiennes en matière de licenciement : celui-ci serait plus facilement reconnu comme étant économique, et donc moins couteux pour l’employeur. Et en cas de conflit aux prudhommes, l’instauration d’un barème lui permettrait d’anticiper la somme qu’il risque de devoir payer.
"En Italie, un effet positif mais avec pas mal de bémols". En suivant le même chemin que Matteo Renzi, le gouvernement Valls a-t-il pris la bonne direction ? S’il est encore trop tôt pour faire un bilan détaillé du Jobs Act italien, une série de statistiques récentes permet de se faire un premier avis. En 2015, l’Italie a renoué avec la croissance (0,8%) après trois années de récession, tandis que le déficit est passé de 3% à 2,6%, son plus bas niveau depuis 2007. Quant au chômage, il est passé de 12,4% à 11,5% en dix mois.
"A priori, c’est plutôt positif en termes de créations d’emplois et de chômage : on est sur un rythme de 200.000 emplois créés fin 2015, ce qui représente une baisse assez forte du chômage, de un point", décrypte pour Europe 1 Céline Antonin, qui suit le dossier pour l’OFCE. "Mais si on regarde les choses de plus près, cette baisse du chômage est liée à une baisse du nombre d’actifs : la population active a reculé et des gens sont sortis du marché de l’emploi. Et la croissance, bien que timide, a pu contribuer à faire baisser le chômage, en dehors des effets du Jobs Act", poursuit-elle, avant de conclure : "l’effet des réformes menées par Matteo Renzi est donc moindre que les chiffres le laissent penser."
En effet, le bond de 47% des embauches en CDI doit être pris avec des pincettes car une bonne partie de ces contrats sont des emplois précaires ayant changé de statut. Si le type de contrat a changé, l’effet sur le chômage est plus incertain. Surtout pour les jeunes, premiers visés par les réformes italiennes : le taux de chômage des plus jeunes est passé de 42,7% fin 2014 à 39,3% en janvier 2016. De ce point de vue-là, le Jobs Act de Matteo Renzi n’a donc pas changé la donne.
Des mesures pour toujours franco-compatibles. Bien que perfectible et survendue par le gouvernement italien, la réforme du marché du travail n’est pas dénuée d’intérêt. Mais la France peut-elle pour autant s’en inspirer ? "L’esprit de la réforme est proche mais ce ne sont pas les mêmes moyens mis en œuvre et les marchés du travail sont très différents. Le contexte n’est pas le même, chaque pays a ses spécificités : le marché du travail italien est particulier, avec une productivité très faible et un taux de chômage très élevé parmi les jeunes", prévient Céline Antonin. De plus, "le cœur de ces Jobs Act, c’est la création d’un contrat unique, un CDI avec des droits progressifs, alors que la réforme française ne retient pas l’idée d’un contrat unique et va seulement dans le sens d’une plus grande flexibilité. La réforme Renzi est plus ambitieuse et va plus loin", poursuit-elle.
En revanche, les lois Renzi et El Khomri négligent la formation, étape indispensable pour permettre aux demandeurs d’emplois de s’orienter vers les filières qui recrutent. "Les réformes italienne et française ont en revanche un point commun : il n’y a rien sur la formation et la mobilité professionnelle, alors que ces aspects occupaient une place centrale dans les réformes Hartz menées en Allemagne. Si on veut faire de la flexisécurité, on ne peut pas se contenter de ne gérer que le dossier flexibilité", résume Céline Antonin.