Juillet 2020. Dans moins de deux ans, le premier lanceur de fusée Ariane 6 fera rugir ses moteurs et s’envolera en direction des étoiles. Une échéance qu’Arianespace, l’exploitant français des lanceurs, aborde avec sérénité : un premier contrat commercial a d’ores et déjà été signé lundi, lors de World Satellite Business Week, la grande conférence spatiale mondiale, qui a lieu à Paris. "Eutelsat (l’un des plus grands opérateurs de satellites au monde, ndlr) nous a confiés cinq satellites qui voleront sur Ariane 6, jusqu’en 2027. Cela donne à notre partenariat des perspectives et de la durée", se réjouit Stéphane Israël, PDG d’Arianespace, invité de l’interview éco d’Emmanuel Duteil, lundi sur Europe 1.
Objectif : onze lancements par an en 2023. Ce premier contrat commercial vient s’ajouter à ceux déjà signés avec les institutions européennes. "Ariane 6 avait déjà des contrats avec des acteurs institutionnels, en l’occurrence Galileo qui avait acheté à travers la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA) deux lanceurs", rappelle Stéphane Israël. "Les clients institutionnels sont une première jambe, les clients commerciaux la deuxième. Ça commence aujourd’hui avec Eutelsat, il y en aura évidemment beaucoup d’autres", anticipe-t-il. Mais pas tout de suite. Le PDG d’Arianespace, "ne s'attend pas à de nouvelle signature commerciale cette semaine".
Le contrat passé avec Eutelsat permet à Arianespace de planifier son calendrier de lancement dès maintenant. "En phase stabilisée, nous aimerions faire onze lancements d’Ariane 6 par an. Cette phase, nous allons l’atteindre progressivement de 2020 à 2023", annonce Stéphane Israël. "Parmi les onze Ariane 6 que nous visons en 2023, nous avons besoin qu’il y en ait cinq achetées par les institutions européennes (Commission, ESA et EUMETSAT, l’organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques)", précise-t-il.
Rivaliser avec SpaceX et Blue Origin. Un objectif ambitieux qui n’effraie pas Stéphane Israël. "Je suis extrêmement confiant. Le secteur est en pleine mutation mais nous avons avec Ariane 6 un excellent lanceur", assure-t-il. Par mutation, il faut surtout comprendre : concurrence. En 2017, SpaceX, l’entreprise du fantasque Elon Musk, a lancé plus de fusées qu’Arianespace. Et aux alentours de 2020, Blue Origin, la société du fondateur d’Amazon Jeff Bezos, rentrera également dans la danse. Deux concurrents qui présentent deux particularités : des lancements moins chers et des fusées réutilisables.
Mais cette concurrence n’inquiète pas outre-mesure le patron d’Arianespace. "Personne ne sait si SpaceX et Blue Origin sont réellement moins chers que nous", relativise Stéphane Israël. "SpaceX a une double politique de prix : il vend deux fois plus cher au gouvernement américain qu’aux acteurs commerciaux. Je peux vous assurer que le prix proposé par SpaceX au gouvernement américain est sensiblement plus élevé que celui que nous offrons, avec Ariane 6, aux clients institutionnels européens", souligne le PDG d’Arianespace.
Soutien essentiel des institutions européennes. Quant aux fusées réutilisables, Stéphane Israël préfère temporiser. "Le réutilisable a d’autant plus d’intérêt que vous avez énormément de lancements à effectuer. Si vous en avez peu, vous n’avez pas forcément intérêt à concentrer tout votre outil industriel sur la réutilisation", juge-t-il, tout en assurant qu’il "n’exclue pas, dans un second temps, d’aller dans cette direction", à condition que ce soit "la meilleure façon de réduire les coûts".
Pour rester au niveau de la concurrence, Stéphane Israël en appelle toutefois aux autorités européennes. "Ariane 6 est tout à fait compétitive, le contrat avec Eutelsat le prouve. Mais nous avons besoin d’un engagement des États européens, au niveau de celui des Américains derrière leurs lanceurs", réclame-t-il. En effet, une grande partie des commandes de SpaceX provient des institutions américaines. "Plus les Européens auront une ambition spatiale, plus nous aurons une industrie spatiale forte", martèle Stéphane Israël.
Pas de vols habités européens dans l'immédiat. Au-delà des lancements de satellites, la conquête spatiale semble repartir de l’avant : les Américains, encore eux, mais aussi les Chinois et les Indiens relancent les vols habités. "L’Europe n’a pas fait le choix d’aller vers le vol habité. Nous y avons réfléchi dans les années 1990 et cela n’a pas été retenu", rappelle Stéphane Israël, pourtant pas hostile à l’idée. "Le paradoxe, c’est qu’Ariane 5 est le lanceur le plus fiable au monde (aucun accident entre 2002 et 2017, ndlr) et que nous avons toutes les technologies pour construire une capsule", note-t-il.
Là encore, le principal obstacle est pécuniaire. "Les budgets ne sont pas sans limite et les vols habités ont un coût – les Américains y consacrent des dizaines de milliards, pas sûr que nous puissions en faire autant. Si nous avions les ressources suffisantes, nous pourrions nous lancer nous aussi", estime le patron d’Arianespace, avant de conclure, la tête dans les étoiles : "Les vols habités apporteraient une part de rêve et d’humanité à tous nos projets".