Pour recevoir des allocations sociales, les règles françaises sont simples : il faut disposer de ressources financières limitées et avoir plus de 25 ans. Mais ce dernier critère pourrait bien disparaître : un rapport publié lundi préconise d’élargir les aides sociales aux jeunes, une piste que le gouvernement se dit prêt à mettre en oeuvre. Mais une telle réforme n'est pas anodine : "le risque quand on prend ce genre de mesures, c'est de générer de l’assistanat auprès des jeunes", soulignait Stéphane Carcillo, professeur associé au département d’économie de Sciences Po, lundi sur Europe 1. Deux économistes présentent les avantages et les inconvénients d’un tel changement de paradigme.
Cette réforme qui mettrait fin à la barrière des 25 ans. Chargé de réfléchir à une réforme et une simplification des allocations et minimas sociaux, le député PS Christophe Sirugue a remis son rapport lundi au Premier ministre. Ce document préconise deux changements de taille : fusionner toutes les allocations et aides sociales en une seule et unique "couverture socle commune", mais aussi mettre fin à la barrière des 25 ans. Supprimer ce critère d’âge constituerait donc une mini-révolution et le gouvernement semble prêt à franchir le pas. Dans une tribune publiée mardi sur Facebook, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé pour 2018 "une refonte globale, en élargissant l'accès aux minima sociaux aux jeunes en difficulté, en les fusionnant tous".
L’espoir : lutter contre la pauvreté et mettre fin à une anomalie. Supprimer la barrière des 25 ans permettrait avant tout d’aider un public qui en a particulièrement besoin. "Le premier avantage est de fournir un revenu aux jeunes, et donc de réduire la pauvreté et son intensité : la pauvreté touche aujourd’hui surtout les jeunes alors qu’il y a 30 ans, elle concernait essentiellement les personnes âgées", souligne pour Europe 1 Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE.
"De plus, cette réforme permettrait de faire rentrer les 18-25 ans dans le droit commun, car aujourd’hui la France est l’un des rares pays instaurant une limite d’âge pour les minimas sociaux", ajoute-t-il.
La crainte : favoriser l’assistanat. Si la France n’a jamais franchi le pas jusqu’à présent, c’est parce qu’il existe aussi des inconvénients. "Une telle mesure serait contradictoire avec la volonté de former les moins de 25 ans : jusqu’à cet âge, la priorité est de les éduquer et de les préparer à trouver un emploi. En termes philosophiques, c’est de l’assistanat et donc une mesure extrêmement dangereuse", estime de son côté Christian Saint-Etienne, professeur titulaire de la chaire d'économie au Conservatoire national des arts et métiers.
"C’est une erreur stratégique. Cette réforme a l’air généreuse mais peut se retourner contre la jeunesse. Ce n’est pas pour rien que la droite et la gauche sont d’accord sur le sujet depuis 20 ans", poursuit Christian Saint-Etienne, membre du Cercle des économistes. Un point de vue que ne partage pas Guillaume Allègre : "Certes, le principal risque est de désinciter les jeunes à rechercher un emploi. Mais les études disponibles montrent que cette désincitation serait relativement faible : le Smic est bien plus élevé que le RSA. Toucher le RSA n’est donc pas un frein à la recherche d’emploi".
L’éducation, possible victime collatérale ? "Par contre, supprimer la barrière des 25 ans pourrait inciter certains jeunes à ne plus faire des études car les étudiants ne bénéficient pas du RSA. Et comme il y a très peu de bénéficiaires de bourses aux taux supérieurs, on peut craindre que le RSA soit perçu comme plus avantageux. Pour compléter la réforme, il faudrait donc donner un revenu aux étudiants, comme le font les pays nordiques", suggère l’économiste de l’OFCE.
Si Christian Saint-Etienne ne partage pas cette analyse, il estime lui aussi que le système éducatif doit être au cœur de la réflexion. "Ce serait plus intelligent d’investir massivement dans la formation professionnelle et dans l’école primaire pour que le nombre de jeunes sortant sans diplôme ni formation soit divisé par quatre. Il y a actuellement 400.000 jeunes en apprentissage, autant mettre de l’argent pour que ce nombre passe à un million. La rentabilité socio-économique d’une telle mesure serait bien plus élevée", assure-t-il.
Reste à savoir si la réforme prônée par Christophe Sirugue aboutira un jour. Le gouvernement ouvre en effet ce dossier en fin de mandat alors qu’une telle mesure nécessite du temps et de l’argent. Sans oublier que la "mise en oeuvre en 2018" promise par Manuel Valls dépendra avant tout du résultat des prochaines échéances électorales.