Faut-il limiter le salaire des grands patrons ?

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Des memebres du patronat lors d'un colloque le 19 avril 2016. © Elliott VERDIER / AFP
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ZOOM - La polémique sur la rémunération accordée à Carlos Ghosn malgré le vote négatif des actionnaires a relancé le débat.

Les 15 millions d’euros empochés par le patron de l’alliance Renault-Nissan, Carlos Ghosn, ne passent décidément pas. En décidant d’ignorer le vote des actionnaires, qui contestaient ce montant, la direction du constructeur automobile s’est placée dans l’œil du cyclone. Même le président de la République s’est exprimé sur le sujet, mardi sur Europe 1, estimant que le choix des actionnaires aurait dû être respecté. Mais certains veulent aller encore plus loin : une quarantaine de personnalités ont signé un appel publié jeudi dans Libération. Son objectif : "légiférer pour qu'un patron ne perçoive pas plus de 100 Smic". Mais quelles en seraient les conséquences ?

LES ARGUMENTS EN FAVEUR D'UNE LIMITATION DES SALAIRES

• Réduire un écart avec la base devenu abyssal. C’est le premier argument invoqué par les signataires de cet appel : "alors que, dans les années 60, les rémunérations des PDG représentaient 40 fois le salaire moyen pratiqué dans les plus grandes entreprises américaines, cet écart a explosé pour atteindre aujourd’hui plus de 200 au sein de ces dernières", souligne le texte. C’est l’une des raisons qui a poussé la présidente du syndicat CFE-CGC à signer ce texte. "Il y a une trop grande distorsion entre l’évolution de la rémunération des dirigeants et celles des salariés. La première flambe tandis que la seconde stagne", souligne Carole Couvert.

• Les gros salaires nuisent à la collectivité. Ce creusement des inégalités inquiète également de nombreuses institutions internationales, et ce n’est pas au nom du symbole ou de l’équité : à leurs yeux, un écart trop grand entre la base et le sommet est néfaste à la croissance. Pendant longtemps, les milieux libéraux ont vanté la théorie du ruissellement selon laquelle la grande richesse de certains ne porte pas préjudice aux autres : les premiers dépensant plus ou investissant, leur argent se retrouve injecté dans l’économie et génère de l’activité pour tous. Sauf que cette idée est de plus en plus contestée, y compris par le FMI. En juin 2015, ce dernier publiait un rapport montrant que lorsque les 20% les plus fortunés gagnaient 1% de plus, le PIB progressait moins que si ce coup de pouce était accordé aux 20% les plus pauvres.

• Parce que l’autorégulation a ses limites. Année après année, les polémiques s’enchaînent et le gouvernement promet d’agir mais, face à la complexité de la tâche, il a toujours fait le choix de l’autorégulation. C’est pour éviter une loi que le patronat a élaboré un code de bonne conduite, baptisé code Afep Medef. Sauf que ce dernier est vague et, surtout, ne prévoit aucune sanction. "L’autorégulation n’a pas fonctionné", reconnaît Sophie de Menton, présidente du mouvement patronal ETHIC. Un avis que partage Carole Couvert : "l’Etat a fait le choix de laisser faire et de donner du temps mais malgré cela, rien n’a changé". Pointé du doigt, le patronat envisage de revoir ce code mais, aux dernières nouvelles, aucune sanction n’est prévue.

• Mettre fin aux polémiques à répétition. Encadrer les salaires ou les rémunérations aurait en outre un autre avantage : mettre fin à des polémiques qui suscitent la rancœur et empoisonnent les gouvernements successifs, toute couleur politique confondue.

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LES ARGUMENTS EN DÉFAVEUR D'UNE LIMITATION DES SALAIRES

• Ne plus pouvoir attirer les meilleurs. C’est un argument qui revient en boucle, et qu’a d’ailleurs invoqué le président du comité des rémunérations du conseil d’administration de Renault. "Ne soyons pas naïfs : nous avons aujourd’hui à la tête de Renault le meilleur du monde pour ce poste, et il est sollicité pour d’autres postes. (…) Carlos Ghosn est l’homme indispensable à l’Alliance Renault-Nissan. Sans lui, elle disparaît", a assuré Patrick Thomas jeudi dans Le Figaro. "Les chefs d’entreprise sont des joueurs de football comme les autres", renchérit Sophie de Menton.

Cet argument est néanmoins discutable : dans une note publiée en 2007, l’institut Montaigne soulignait que "la concurrence internationale semble épargner largement… les PDG eux-mêmes : aucun patron du CAC 40 n’a jamais succombé à la tentation d’aller diriger une entreprise américaine ou asiatique. (…) L’idée que le patron de Sanofi parte soudain prendre la tête de Pfizer, ou celui de France Telecom diriger Vodafone, au prétexte que la rémunération y serait plus attractive, est une chimère".

• Une moindre incitation à viser toujours plus haut. Si son salaire est limité, une fois ce niveau atteint un patron n’aurait plus aucune incitation à se surpasser. Ce qui ne serait pas compatible avec l’objectif d’une entreprise, qui est de gagner toujours plus de parts de marchés et d’augmenter ses profits. Le salaire en hausse en cas de bons résultats est de ce point de vue la meilleure incitation à en faire plus.

• Le salaire du patron pèse peu à l’échelle d’une entreprise. Pour les adversaires d’un encadrement des salaires, il faut toujours remettre les choses en perspective. "L’enjeu économique est relativement faible puisque les rémunérations des dirigeants, même lorsqu’elles sont très élevées, ne représentent qu’un très faible pourcentage de la masse salariale des entreprises dont ils ont la charge", souligne l’institut Montaigne. Ainsi, les 15 millions d’euros annuels de Carlos Ghosn pèse peu au regard de ce que Renault dépense pour ses 120.000 salariés : 5,4 milliards d’euros. Si ce dernier renonçait à la moitié de sa rémunération et la reversait à ses employés, ces derniers ne toucheraient que 62 euros de plus dans l’année.

• C’est une affaire privée, l’Etat n’a pas à tout réglementer. A moins qu’il soit actionnaire, l’Etat n’a pas grand chose à dire sur le fonctionnement d’une entreprise tant que cette dernière respecte la loi. Réglementer davantage serait donc une forme d’ingérence que beaucoup redoutent. Sans oublier que le législateur a souvent un temps de retard, si bien qu’une loi pourrait rapidement devenir obsolète. Autant d’arguments qui font dire à Sophie de Menton que "la loi n’est pas une bonne solution. Le code Afep Medef doit s’enrichir et le patronat doit donner des signes de bonne volonté". Un point de vue partagé par le ministre de l’Economie : "je pense que la loi n'est pas la bonne méthode", a estimé jeudi Emmanuel Macron, alors qu’il envisageait le contraire une semaine auparavant.