L'Assemblée nationale a voté dans la nuit de mardi à mercredi, au grand dam de l'opposition, l'extension à la fraude fiscale de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), une mesure permettant à une entreprise de payer une amende afin d'éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité.
À l'origine réservée à des faits de corruption. La CJIP avait été instaurée dans le cadre de la loi Sapin 2 de 2016, mais à l'origine pour des faits de corruption. Lors de la première convention conclue, en novembre 2017, HSBC Private Bank, filiale suisse du géant bancaire britannique, avait ainsi accepté de payer 300 millions d'euros pour échapper à un procès pour "blanchiment de fraude fiscale".
En contradiction avec la fin prévue du "verrou de Bercy" ? Pour certains députés de l'opposition, le recours à la CJIP étendu à la fraude fiscale entre en contradiction avec une autre mesure du projet de loi antifraude : la fin du monopole des poursuites détenu par l'administration fiscale, le fameux "verrou de Bercy", concernant les plus gros fraudeurs fiscaux, qui sera examinée dans l'hémicycle mercredi. Critiqué depuis des années, notamment par les magistrats et des ONG, qui l'accusent de favoriser une certaine forme d'opacité, ce dispositif apparu en 1920 conditionne les poursuites devant les autorités judiciaires pour fraude fiscale au dépôt d'une plainte sur décision du ministre chargé du Budget, après un avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF). Le "verrou" avait défrayé la chronique lors de l'affaire Jérôme Cahuzac en 2013, car le ministre aurait dû lui-même, s'il n'avait pas démissionné, décider s'il allait faire suivre son propre dossier.
Pour le rapporteur, le dirigeant d'entreprise peut quand même être jugé. "Vous êtes en train en réalité de désincarner toute la loi que vous nous proposez contre la fraude fiscale", a affirmé l'Insoumis Éric Coquerel, fustigeant une "volte-face" du gouvernement à propos de la CJIP. Véronique Louwagie (LR) a elle dénoncé "une solution" visant à "échapper à un procès public" qui crée "une justice à deux vitesses". "Il s'agit d'une convention passée avec l'entité morale. Le dirigeant (de l'entreprise) peut lui très bien être mené au pénal pour le procès public que vous appelez absolument de vos vœux", a répondu la rapporteure du projet de loi antifraude Émilie Cariou (LREM). L'examen de ce projet de loi doit s'achever mercredi avant un vote solennel le 26 septembre.