Le groupe Leclerc "prend acte" mais a déjà annoncé qu'il allait "pourvoir en cassation". Il faut dire que l'enjeu est de taille : le poids lourd de la distribution a été condamné par la cour d'appel de Paris à rembourser 61,3 millions d'euros abusivement perçus ses fournisseurs. De l'argent obtenu par le biais de ce qu'on appelle les "marges arrières", une pratique décriée et qui a fait l'objet de plusieurs réformes au cours des années 2000. Mais visiblement, la loi n'a pas clarifié ce genre de négociations.
Des millions à rembourser. Le groupement d'indépendants a été condamné mercredi par la cour d'appel de Paris à rembourser 61,3 millions d'euros, ainsi qu'à une amende de 2 millions d'euros, selon le jugement que s'est procuré Le Figaro. Cet argent, il est censé le rembourser à 48 de ses fournisseur, et pas de moindres : Bonduelle (propriétaire par ailleurs de la marque Cassegrain), Ferrero (Nutella, Kinder, etc.), Jacquet (qui détient la marque Brossard), AB Inbev (Stella Artois, Leffe, Hoegaarden, Corona, etc.) ou encore United Biscuits (BN, Delichoc, Delacre, ). "E.Leclerc prend acte de la décision de la cour d'appel de Paris du 1er juillet 2015, concernant les ristournes de fin d'année négociées par le Galec (la centrale d'achat du groupement Leclerc, NDLR) avec les fournisseurs", a réagi le groupe samedi matin.
Ce qui est reproché au groupe Leclerc. De ne pas avoir respecté l'esprit de la loi Chatel lors de ses négociations annuelles avec ses fournisseurs. Lors de ces rendez-vous redoutés par ses fournisseurs, la grande distribution négocie des remises et autres avantages, plus communément appelés "marges arrières" : les fournisseurs versent de l'argent ou promettent un rabais sur leurs prochaines livraisons en fonction des volumes qu'a écoulés une enseigne, des opérations marketing qu'elle a mises en place, de la mise en valeur de telle ou telle marque, etc. Mais cette pratique a généré de nombreux abus, surtout dans un pays comme la France où les acteurs de la grande distribution sont en situation d'oligopole : le rapport de force entre grande distribution et fournisseur est alors déséquilibré, à moins d'être un grand groupe aux marques incontournables. Les gouvernements successifs ont donc adopté plusieurs réformes pour mieux encadrer ces accords.
Dans le cas présent, ce sont les remises de fin d'année obtenues en 2009 et 2010 qui ont attiré l'attention des juges. Le système est le suivant : plus l'enseigne Leclerc écoulait ses marchandises, plus son fournisseur s'engageait à lui reverser de l'argent en fin d'année. Sauf qu'en épluchant 300 de ces contrats de "remises de fin d'année (RFA)", la Répression des Fraudes (DGCCRF) a jugé que Leclerc s'était montré trop gourmand et pointé un "déséquilibre significatif" dans sa relation avec ses fournisseurs. Un point de vue partagé par la cour d'appel de Paris.
La grande distribution sous surveillance. Leclerc n'est pas le seul à connaitre de telles mésaventures. Le groupe Carrefour a également été condamné pour des faits similaires en 2012 : il a dû restituer 17 millions d'euros à ses fournisseurs et s'acquitter d'une amende de 2 millions d'euros. L'enseigne Intermarché est également poursuivi par la DGCRF pour les mêmes raisons.
Les autorités sont d'autant plus vigilantes que le secteur est actuellement en pleine mutation : tous les acteurs ont décidé de fusionner leurs centrales d'achat afin de réaliser des économies et de gagner en efficacité, au risque de déséquilibrer un peu plus le rapport de force avec les fournisseurs. Et pour ne rien arranger, la grande distribution se livre depuis plusieurs mois une guerre des prix qui profite aux consommateurs mais fragilise toute la filière agroalimentaire.
Leclerc continue le combat judiciaire. Le groupe de distribution a déclaré vouloir contester cette décision qui, selon lui, "fait porter une grande insécurité sur la négociation commerciale en donnant à l'administration et au juge la capacité de contrôler et de remettre en cause le prix négocié par les parties au contrat". Le groupe Leclerc y voit une "remise en cause du principe de la négociabilité du prix inscrit dans la loi de modernisation de l'économie (LME)". C'est selon lui une "régression vers la tarification de services et les marges arrières, puisque la Cour d'appel considère que toute réduction de prix doit être attachée à une obligation du distributeur qui va au-delà de la vente du produit".