C’est peut-être une révolution pour les usagers qu’a initiée Anne Hidalgo. La maire de Paris a annoncé lundi qu'elle allait lancer "une étude sur la gratuité des transports en commun" pour les Parisiens. La "question de la gratuité des transports est une des clefs de la mobilité urbaine dans laquelle la place de la voiture polluante n'est plus centrale", a-t-elle expliqué aux Échos. L’étude, menée par des experts français et étrangers, pourra s’appuyer sur les expériences déjà menées en France mais surtout dans d’autres pays, dans des villes relativement comparables. Avec des fortunes diverses.
Tallinn, modèle unique. La mairie de Paris cite ainsi en exemple la ville de Tallinn, en Estonie, seule capitale au monde à disposer d’un réseau de transports en commun gratuits. La mesure est entrée en vigueur en 2013 et concerne uniquement les 440.000 habitants de la ville (les habitants de la banlieue et les touristes ne sont donc pas concernés). Après trois ans, Tallinn mettait en avant une hausse de la fréquentation de 8% et surtout des profits annuels de sa régie des transports de l’ordre de 20 millions d’euros.
Une bonne santé budgétaire qui s’explique par le fonctionnement de la gratuité, financée par une ponction annuelle de 1.000 euros sur l’impôt sur le revenu de chaque habitant. Or, entre 2013 et 2016, 25.000 personnes supplémentaires ont emménagé à Tallinn, une source de revenu importante. Mais selon des études menées sur place, le nombre de voitures n’a pas diminué et le temps de trajet moyen a augmenté de quelques minutes, notamment car les habitants utilisent très peu le vélo.
Comparaison limitée. Si Tallinn est un exemple pour la mairie de Paris, la comparaison reste limitée. La capitale estonienne compte cinq fois moins d’habitants que la Ville lumière et surtout, son réseau de transports se limite à une soixantaine de lignes de bus et quatre tramways. Rien à voir avec les 14 lignes de métro parisiennes, les cinq RER, les bus en pagaille et le réseau transilien SNCF. Anne Hidalgo le reconnaît d’ailleurs sans peine : "aucune agglomération de la taille de Paris n'a toutefois mis en place à ce jour un tel dispositif" de gratuité. En effet, dans les pays en pointe sur cette question, comme le Brésil ou les États-Unis, ce sont principalement des villes de moins de 20 à 30.000 habitants qui sont concernées.
Portland, 37 ans et puis s’en va… L’exemple de Tallinn est d’autant plus à nuancer que la plupart des tentatives d'instaurer la gratuité des transports en commun dans des grandes villes se sont avérées plutôt infructueuses. La plus parlante est celle de Portland, aux États-Unis. La plus grande ville de l’Oregon avait instauré dès 1975 la gratuité dans le centre-ville, une petite zone de la taille du 11ème arrondissement de Paris. Les bus, métros et tramways étaient gratuits avec pour objectif de combler le manque de parking et de lutter contre la pollution de l’air, des enjeux similaires à ceux de Paris.
L’expérimentation a connu un premier coup d’arrêt en 2010 quand les bus ont été exclus de l’offre gratuite. La ville avait besoin de faire des économies et la gratuité pesait sur les finances publiques. Finalement, en 2012, la ville de Portland a coupé court dans le cadre d’un nouveau plan d’économies, mais pas uniquement… La régie a constaté une augmentation des fraudes sur les lignes concernées, les passagers embarquant dans la zone gratuite en profitant pour aller bien au-delà.
Faux départ pour l’Allemagne. Faute de pouvoir regarder vers les États-Unis, Anne Hidalgo aurait aimé pouvoir compter sur le voisin outre-Rhin. Le gouvernement allemand a proposé en février la gratuité des transports en commun afin de réduire la pollution dans les villes, une mesure à l'origine formulée en réponse à une menace de poursuites de l'UE sur la question du diesel. Bonn (300.000 habitants) et Essen (600.000) étaient mentionnées pour tester le système. Mais dès le lendemain, le gouvernement a fait marche arrière en précisant qu'il n'y avait pas de projet concret ou de ville volontaire pour tester la mesure. Un coup d’épée dans l’eau qui condamne donc la mairie de Paris à innover seule si elle veut mener à bien la gratuité des transports en commun, sous quelque forme que ce soit.
Et en France ? Il faudra notamment résoudre la question du financement, propre à chaque pays en fonction de sa fiscalité. Dans l’Hexagone, une vingtaine de villes appliquent déjà la gratuité des transports en commun, sur une partie ou plus rarement sur la totalité du réseau, notamment à Niort depuis l’an dernier et Dunkerque devrait suivre (pour l’instant les bus sont gratuits uniquement le week-end). Dans les deux cas, l’objectif était d’augmenter la fréquentation sans s’asseoir sur une manne financière pour autant. En effet, à Niort, les billets ne représentent que 10% des recettes, le reste provenant du versement transport, une taxe payée par les entreprises de plus de onze salariés.
Ne plus faire payer les voyageurs peut donc ne pas coûter grand-chose dans certaines villes. Mais l’équation est plus complexe en Île-de-France, où les billets et les forfaits Navigo représentaient encore 28% du financement du réseau de transports en 2016, soit 2,8 milliards d’euros. De plus, l’objectif avancé à Niort ou Dunkerque d’attirer plus de voyageurs tient moins à Paris, où le réseau est déjà saturé (4,6 milliards de voyageurs par an). Rien de tout cela n’échappera aux experts mandatés par Paris pour conduire l’étude sur la gratuité. Reste à savoir ce qu’ils en tireront comme conclusions.