C’est donc un plébiscite : 94,97% des cheminots de la SNCF qui ont pris part à la "vot’action", consultation organisée par leurs syndicats, ont voté contre la réforme ferroviaire engagée par le gouvernement. Le taux de participation élevé (plus de 60%) donne de la valeur au vote, considéré comme représentatif par les syndicats qui comptent capitaliser dessus pour la suite de leur mobilisation. En face, l’exécutif remet en cause la légitimité d’une consultation "sans suspense" mais garde la porte ouverte au dialogue.
"Le gouvernement doit revoir sa copie". 91.068 : c’est le nombre de cheminots qui ont exprimé leur voix en une semaine lors de la "vot’action", soit 61,15% des salariés de la SNCF. Au bout, un résultat "exceptionnel" pour le camp des opposants au pacte ferroviaire. "La direction est totalement discréditée par ce vote. Ce résultat doit être entendu, le gouvernement doit revoir sa copie", a assené Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-Cheminots, syndicat qui a porté la consultation, lors d’une conférence de presse.
Entouré de ses collègues syndicalistes, Laurent Brun a livré un réquisitoire contre le projet de loi. Pêle-mêle, il a dénoncé "le changement de statut de l’entreprise publique en entreprise par actions qui laisse entrevoir une privatisation par morceaux", "les ambitions écologiques du gouvernement pas corrélées avec des décisions d’investissement dans les infrastructures" ou encore "la reprise de la dette, qui ne serait que partielle".
Mettre la pression et afficher l’unité. Pour les syndicats, la "vot’action" est également un moyen de remettre la pression sur le gouvernement. Alors que le taux de grévistes diminue à chaque mobilisation et que les sondages montrant le soutien des Français à la réforme se multiplient, les organisations syndicales prouvent avec leur consultation que c’est bien une large majorité des salariés de la SNCF qui s’oppose au pacte ferroviaire, et non une poignée de grévistes.
En s’affichant tous ensemble, les leaders des quatre syndicats représentatifs (CGT, CFDT, Unsa et SUD) affichent également leur solidarité, alors que l’Unsa et la CFDT se détachent depuis plusieurs semaines en acceptant le dialogue avec le gouvernement. Les deux organisations ont ainsi déposé plusieurs dizaines d’amendements en vue de l’examen du projet de loi au Sénat fin mai (le texte est arrivé en commission mercredi), position soulignée et appréciée par Élisabeth Borne qui va notamment "soutenir l’amendement" bloquant une future privatisation de la SNCF. La fracture naissante entre syndicats "contestataires" (CGT et SUD) et "réformistes" (Unsa et CFDT) a été comblée mercredi. "L’unité syndicale persiste", a assuré Roger Dillenseger, secrétaire général de l’Unsa Ferroviaire.
Le gouvernement ne bouge pas. Rassérénés, les grévistes de la SNCF repartent donc à l’attaque, alors que se profile la rencontre de vendredi avec Édouard Philippe, à Matignon. Objectif : infléchir la position du gouvernement. "Il faut souligner l’approximation avec laquelle est mené ce chantier d’importance, que ce soit sur les éléments sociaux ou financiers. Notre politique est toujours d’essayer de faire bouger les choses", a indiqué Roger Dillenseger.
"Les syndicats qui ont organisé ce vote ont fait une sorte de pétition contre la réforme", a fustigé de son côté la ministre des Transports Élisabeth Borne mercredi matin sur Europe 1. Le résultat de la "vot’action" ne bouscule donc pas la position du gouvernement, qui n’entend pas faire machine arrière. "On est sur une réforme qui concerne les cheminots, mais aussi tous les Français. C'est parce que les Français veulent un meilleur service qu'on fait cette réforme. (…) Le vote se passe au Parlement. On ne peut pas s'asseoir sur le fait que 80% des députés ont voté le projet de loi à l'Assemblée le mois dernier", a rappelé Élisabeth Borne.
La dette cruciale. Faute d’un accord sur les principales mesures du pacte ferroviaire, c’est la question de la reprise de la dette qui pourrait jouer le rôle d’arbitre du conflit. Vendredi, Édouard Philippe devrait annoncer avec précision le montant et le calendrier – 35 milliards d’euros (sur un total de 55) en deux temps (2020 puis 2022) selon Les Échos, alors que les syndicats en attendent beaucoup plus. "Cette dette publique devrait être intégralement reprise", a réclamé Laurent Brun. "L’objectif, c’est qu’en 2022, la SNCF puisse financer ses investissements sans augmenter sa dette", a simplement commenté Élisabeth Borne, sur Europe 1. La réunion de vendredi s’annonce donc décisive.