Les travailleurs guyanais ont entamé lundi, à l’appel de 37 syndicats réunis au sein de l'Union des travailleurs guyanais (UTG), une grève générale pour obtenir une meilleure reconnaissance de la métropole. Pêle-mêle, les ultramarins réclament un "Plan Marshall guyanais" avec des moyens supplémentaires pour l’école, la lutte contre l’insécurité, l’accès à la santé, la construction d’infrastructures et le développement économique de la Guyane. En résumé, les habitants de la Guyane ne veulent plus être les "oubliés de la République" française.
Cécité de la métropole. Une revendication qui n’est pas exagérée estime Françoise Vergès, historienne et politologue spécialiste de l’outre-mer, qui met en avant la crise actuelle. "Cela fait plus d’un mois qu’il y a des manifestations un peu partout en Guyane. Mais comme souvent, il y a une espèce de cécité de la métropole vis-à-vis des Départements et régions d’outre-mer (Drom). Pourtant la situation à Cayenne est terrible depuis des années", explique-t-elle au micro d’Europe 1.
La preuve par les chiffres… ou l’absence de chiffres. En effet, il est bien plus difficile de trouver des données statistiques pour la Guyane (et les autres Drom) que pour la métropole. Elles existent mais elles ne sont simplement pas mises en avant dans les statistiques dites "nationales". Ainsi, quand le ministère du Travail et les médias de métropole communiquent les évolutions des chiffres du chômage de Pôle emploi, la donnée de référence exclut l’outre-mer puisqu’il s’agit uniquement des inscrits en catégorie A en France métropolitaine.
Chômage élevé. Justement, les chiffres du chômage selon Pôle emploi se révèlent plutôt surprenants pour la Guyane. Alors que dans l’ensemble des Drom, le nombre d’inscrits en catégorie A a augmenté de 0,4% sur le dernier trimestre, en Guyane, on constate une baisse de 2,6%. Même constat pour les catégories A, B, C : +0,3% dans les Drom, -2,4% en Guyane. Et cette tendance à la baisse semble bien installée puisqu’entre janvier 2016 et février 2017, le nombre d’inscrits en catégorie A a diminué de 4,3% et de 4,1% pour les catégories A, B, C. Résultat, la Guyane comptait 24.300 inscrits dans les catégories A, B, C fin février, sur 262.000 habitants. La situation s’améliore légèrement depuis quelques temps, comme en métropole, mais elle reste très préoccupante.
Si on rapporte le nombre de chômeurs à la population active, il apparaît clairement que la situation de la Guyane est plus sombre qu’entrevu initialement : fin 2015, le taux de chômage calculé par l’Insee atteignait 21,9%, contre 9,9% en métropole à la même période. C’est le troisième pire chiffre de France, derrière La Réunion (24,6%) et la Guadeloupe (23,7%).
Pauvreté flagrante. Le taux de pauvreté est encore plus parlant. En 2011, 44% des Guyanais vivaient sous le seuil de pauvreté local, autour de 500 euros par mois. A titre de comparaison, le taux de pauvreté oscille entre 13,5 et 14,3% en métropole ces dernières années, avec un seuil de pauvreté autour de 800-900 euros. Par ailleurs, 15% des Guyanais n’ont pas accès à l’eau potable contre seulement 1% des habitants de métropole. L’accès à l’électricité est également compliqué dès que l’on s’éloigne de la côte.
Pas de perspectives pour les jeunes. Une situation qui prend racine dès l’école, précise François Vergès : "Près de 44% des enfants quittent l’école avec le niveau du primaire. Aujourd’hui, avec le niveau du primaire, vous ne pouvez rien faire". Interrogée par Europe 1, Valérie Vanoukia, présidente de l’Union des très petites entreprises de Guyane, dresse un tableau très noir : "80% de nos jeunes sont quasiment sûrs de ne jamais travailler".
En Guyane, les habitants se sentent abandonnés...par Europe1fr
Les fusées, une simple vitrine. "En réalité, la seule zone qui marche bien sur le plan économique, c’est Kourou, là où est implantée la base spatiale", pointe François Vergès. Avec près de 1.700 employés, le Centre spatial guyanais est la vitrine économique du territoire. Le lancement régulier de fusées Ariane 5 et Soyouz (12 en 2014 et 2015, quatre l’an dernier, depuis les six pas de tir) est une réussite technologique exceptionnelle pour la France et l’Europe. Mais si le centre a le mérite de faire parler de la Guyane, il ne représente pas l’état réel du territoire. "Ce site crée aussi de la frustration car les Guyanais n’ont pas accès aux postes d’ingénieurs et de techniciens. Le centre spatial est une espèce d’îlot de richesse planté au milieu de petites zones économiques locales affaiblies", souligne Françoise Vergès.
Richesses inexploitées. Derrière ce pôle d’excellence, l’activité économique de la Guyane patine. La faute, selon Valérie Vanoukia, au manque d’investissement de la métropole. "La Guyane est dans une situation de non-développement économique entretenu alors que ce territoire est plein de richesses. La forêt représente 500 milliards d’euros, l’or 45 milliards, il y a des gisements de diamant, de manganèse, de terres rares… Sans compter la biodiversité qui présente un potentiel en termes de brevets de 100 milliards d’euros", avance la patronne des petits patrons guyanais. "Nous avons tout pour réussir mais notre territoire est maintenu à l’état de réserve pour la France et l’Europe."
Des subventions qui ne font que passer. D’où le sentiment latent chez les Guyanais d’un manque de considération de la métropole. Un chiffre l’illustre parfaitement : en 2013, l’État français a dépensé 22,5 milliards d’euros pour l’outre-mer, soit à peine plus de 2% de la dépense publique pour 4% de la population totale du pays. Malgré cela, l’image de Drom assistés par l’État leur colle à la peau. "Les subventions ne font que passer", rétorque Valérie Vanoukia. "On nous donne des majorations de salaire dans la fonction publique qui repartent aussi vite dans les taxes sur les produits que nous achetons à la métropole."
Dépendance aux importations. C’est là l’un des principaux problèmes économiques de la Guyane : alors qu’elle dispose de vastes richesses naturelles (mer et forêt) et de voisins puissants, à commencer par le Brésil, elle n’a pas développé d’économie endogène. "Nous vivons de l’importation à 80%, nous sommes dépendants de la métropole. Mais nous n’avons pas d’économie de développement, de production qui permette à la Guyane de jouir de ses richesses", regrette Valérie Vanoukia.
Les promesses de Hollande… "Relancer la production, l’emploi et la croissance dans les outre-mer", c’était pourtant la promesse de François Hollande quand il a été élu président de la République en 2012. Les Guyanais avaient plébiscité le candidat socialiste, avec 42% des voix au premier tour et 62% au second, séduits par sa volonté de lutter contre la vie chère dans les Drom. Cinq ans plus tard, force est de constater que la situation ne s’est pas vraiment améliorée à Cayenne. La loi pour l’égalité réelle des outre-mer, promulguée seulement le 28 février dernier, arrive trop tard pour les Guyanais. Idem, la 4G n’est déployée là-bas que depuis décembre 2016.
… pas toutes tenues. Le Pacte d’avenir de la Guyane aurait dû être l’outil idéal pour faire décoller la Guyane. Ce texte promis par le Premier ministre Manuel Valls en 2013, contient de nombreux engagements pour le territoire guyanais : production solaire, compensation de la non-fiscalisation de l’activité spatiale, soutien à l’agriculture, désenclavement des sites miniers, 200.000 hectare de terrain cédés à la communauté territoriale, 600 millions d’investissement dans le logement sur 20 ans, infrastructures de transport… Après de longues tractations, Rodolphe Alexandre, président de l’Assemblée de Guyane, a donné son accord au texte proposé par le gouvernement le 16 mars dernier. Le Premier ministre Bernard Cazeneuve espère désormais une signature dans "les meilleurs délais".