La direction d’EDF et l’Elysée peuvent être soulagés. Le gouvernement britannique a enfin donné jeudi son feu vert au projet d’Hinkley Point, une centrale nucléaire de nouvelle génération qu’EDF souhaite construire sur la côte ouest du Royaume-Uni. François Hollande s’est réjoui d’une "belle coopération" tandis que l’électricien français s’est félicité de cette "confiance portée à la technologie EPR et au savoir-faire" français. Pourtant, le projet d’Hinkley Point continue d’être dénoncé de toutes parts. Pourquoi tant de haine ?
Une technologie qui n’a pas encore fait ses preuves. Lorsqu’on achète un produit, on s’attend à ce qu’il fonctionne sauf que ce n’est pas encore le cas des réacteurs nucléaires EPR. Quatre centrales sont bien en cours de construction, en France, en Finlande et en Chine, mais aucun chantier n’a abouti et les retards s’accumulent. En Finlande, premier Etat à se lancer dans l’aventure, le budget a explosé, passant de 3,5 milliards d’euros à plus de 8 milliards d’euros, et le chantier a déjà neuf années de retard. Le chantier français de Flamanville, dans la Manche, connaît aussi des problèmes, avec une facture multipliée par trois et une mise en service repoussée de six années pour l’instant. Il n’y a qu’en Chine que le chantier avance dans les délais prévus mais les informations disponibles sur le sujet sont plus rares.
Si de telles bévues sont courantes lorsqu’il s’agit de construire les premiers exemplaires, ces dérapages inquiètent néanmoins. D’autant plus qu’Areva, qui fournit une partie des pièces vitales et notamment la cuve du réacteur, a commis des malfaçons en série qu’il a longtemps cachés et qui pourraient faire à nouveau grimper la facture.
Un risque financier pour une entreprise endettée. Censée coûter un peu plus de 21 milliards d’euros, la centrale d’Hinkley Point pourrait donc coûter au final beaucoup plus cher. Et comme EDF et son partenaire chinois CGN se sont engagés sur un tarif auprès du Royaume-Uni, ils devraient alors assumer les surcoûts potentiels. Mais EDF, sorti du CAC 40 fin décembre, a-t-il les reins assez solides pour assumer un tel risque ? La question se pose lorsqu’on sait que l’électricien est endetté à hauteur de 66 milliards d’euros, même si EDF évoque, lui, une dette comptable de 37 milliards "seulement".
Or, l’électricien va en outre devoir assumer des dépenses très importantes dans les années à venir : pour rallonger la durée de vie des centrales existantes dans le cadre du plan de grand carénage (estimé entre 50 et 100 milliards d’euros), pour démanteler la centrale de Fessenheim (coût inconnu à ce jour), ou encore pour absorber ce qu’il reste d’Areva.
Des salariés pas unis derrière ce projet. Dans ce contexte, les équipes d’EDF sont très divisées sur le projet d’Hinkley Point. Ses partisans assurent que ce contrat sera très rentable et permettra de vendre d’autres EPR à l’étranger, tandis que ses détracteurs redoutent que le moindre pépin ne fasse chuter EDF. Mais ce qui n’aurait pu n’être qu’un débat interne a largement débordé en dehors de l’entreprise. Les syndicats ne cessent de dénoncer un risque industriel et financier, puis le directeur financier du groupe a démissionné avec fracas début mars pour marquer son désaccord. Cinq des six administrateurs salariés d'EDF ont en outre saisi la justice, estimant que la validation de ce projet par le conseil d’administration n’a pas été faite dans les règles. La direction d’EDF ne doit donc pas seulement convaincre son potentiel client britannique mais aussi ses troupes.
Et des Britanniques qui doutent. De l’autre côté de la Manche, les critiques sont également nombreuses. Au-delà de la contestation attendue des écologistes, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le deal conclu par Londres avec EDF : le prix de l’électricité que s’engage à payer le Royaume-Uni est jugé trop élevé par certains. Ces derniers affirment que l’électricité produite par les éoliennes et bientôt par les turbines qui captent l’énergie des marées et des courants sous-marins sera rapidement plus compétitive.
Des doutes persistent également au sein du gouvernement britannique, puisque ce dernier a fixé jeudi de nouvelles conditions pour lancer le chantier, réclamant des mesures de sécurité supplémentaires et la garantie que la centrale ne changera pas de mains sans l’aval de l’Etat.
Sans oublier des inquiétudes en termes de sécurité nationale. Pour ne rien arranger, les Britanniques s’inquiètent également de la présence de la Chine dans le projet d’Hinkley Point, qu’elle va financer à hauteur de 33%. L’un des collaborateurs de la Première ministre, Nick Timothy, a ainsi déclaré en 2015 redouter que la Chine ne profite de son implication dans le projet d’Hinkley Point pour installer des portes dérobées dans son système informatique. Et puisse, en cas de conflit avec Londres, arrêter la centrale à distance et provoquer un black out. Ou tout simplement se servir de la centrale d’Hinkley Point comme point d’entrée pour accéder à d’autres systèmes stratégiques via les réseaux intelligents (Smart Grid) ou les outils de pilotages à distance du réseau (système Scada).
Et pour ne rien arranger, la Chine a obtenu du Royaume-Uni de pouvoir, en échange de son apport financier, construire sa propre centrale nucléaire sur la côte Est pour en faire une vitrine de son savoir-faire nucléaire. Avec les mêmes craintes en termes d’indépendance énergétique et d’espionnage.