C’est une première depuis quinze ans. En dévoilant mardi ses résultats trimestriels, Apple a annoncé pour la première fois depuis 2001 que son chiffre d’affaires avait reculé. Et pour ne rien arranger, l’entreprise dirigée par Tim Cook a également confirmé que ses ventes d’iPhone continuaient à reculer. L’iPhone n’est donc plus la success story qui a permis à Apple de revenir sur le devant de la scène, et ce n’est pas un détail : le smartphone représente 60% des recettes de l’entreprises. Si Apple est encore loin d’être en danger, une question se pose : pourquoi l’iPhone n’est-il plus un blockbuster incontesté ?
• Parce qu’Apple a atteint les sommets et peut difficilement faire mieux. Lorsqu'il a dévoilé son premier iPhone en 2007, Apple a initié une véritable révolution : le smartphone a tout d’un coup ringardisé le téléphone mobile traditionnel. En se lançant le premier dans la bataille et en préemptant le haut-de-gamme, la marque à la pomme a réussi à devenir la référence, tout en engrangeant de juteux bénéfices. Résultat, entre 2008 et 2015, ses ventes ont bondi chaque année de 56% en moyenne. En 2015, Apple est même arrivé à engranger 53,4 milliards de dollars de bénéfice net, un record dans l’histoire du monde de l’entreprise. Fin juillet, l'entrprise annonce avoir franchi la barre symbolique du milliard d'iPhone vendus. Arrivé à un tel niveau, Apple pouvait difficilement faire mieux, d’autant plus qu’il est confronté à de nombreux défis.
• Parce que les marchés les plus développés sont saturés. En proposant des smartphones haut-de-gamme dont les prix dépassent les 600 euros, Apple ne s’adresse clairement pas à tout le monde mais aux consommateurs des pays les plus développés. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui se sont rués sur l’iPhone et en ont fait le succès. Sauf qu’une fois tous ces clients équipés, Apple a bien du mal à trouver de nouveaux clients et doit attendre que ceux qui en possèdent déjà un changent de modèle. Et pour ne rien arranger, ses clients conservent désormais leur appareil un peu plus longtemps qu’auparavant, entre trois et quatre années en moyenne.
• Parce que les marchés émergents sont plus difficiles à séduire. Conscient d’avoir atteint un plafond de verre dans les pays les plus riches, Apple s’est logiquement tourné vers les pays émergents. Mais sur ce terrain-là, l’entreprise a bien plus de mal à percer. D’abord en raison du prix de ses appareils, ce qui l’a conduit à proposer des modèles un peu plus accessibles (iPhone 5C, iPhone SE) mais toujours trop chers au regard du niveau de vie sur place. Surtout lorsqu’en face Samsung a eu l’intelligence de proposer une gamme bien plus variée avec des appareils moins puissants mais bien plus abordables. C’est ainsi que le constructeur coréen est devenu le premier constructeur mondial, ce qui a conduit les nouveaux venus chinois (Huawei, Xiaomi, Meizu, ZTE) à imiter cette stratégie, avec succès. Résultat, bien que parti le premier sur le marché du smartphone, Apple pèse par exemple moins de 1% du marché en Indonésie.
Pour ne rien arranger, les pays émergents sont conscients qu’ils constituent des marchés très attrayants et en profitent pour obliger les fabricants de téléphone à produire sur place ou effectuer des transferts de technologie. L’Inde exige par exemple que 30% des appareils vendus sur son sol soient produits sur place, ce qui a considérablement freiné l’essor d’Apple dans ce pays : la marque fabrique ses appareils en Chine et n’a pas de fournisseur indien. De même, l’Indonésie oblige les fabricants à réaliser 20% du téléphone sur place et envisage de porter cette part à 30%. Son argument : pour la seule année 2016, 30 millions de smartphones devraient être vendus dans ce pays, d’après une estimation du cabinet IDC. Après avoir temporisé, Apple tente donc de trouver une solution en prévoyant d’implanter en Indonésie un centre développant des applications.
• Parce qu’Apple innove moins et que la concurrence s’est réveillée. Des innovations technologiques associées à une ergonomie simplifiée, des keynote de présentation promettant chaque année une révolution : pendant des années, Apple a réussi à donner le ton et à convaincre les consommateurs qu’il apportait à chaque génération d’iPhone des améliorations décisives. Sauf que c’est de moins en moins le cas. Et certaines de ses innovations, telle que la technologie 3D Touch pour utiliser l’écran, ne sont pas jugées indispensables. "Nous n'avons pas vu d'innovation majeure pour Apple (…) ils vendent bien l’iPhone 7 mais c'est encore et encore le même appareil " depuis la fin de l'ère Jobs, résume Vivek Wadhwa, professeur à l'université de Carnegie Mellon et ex-entrepreneur dans la Silicon Valley, interrogé par l'AFP.
Le pouvoir de séduction de l’Iphone est donc moindre auprès des consommateurs, qui n’hésitent pas à regarder la concurrence. Or, cette dernière n’est plus du tout la même qu’à la fin des années 2000. Alors qu’Apple lançait les tendances et était copié, l’inverse est désormais tout aussi vrai. En matière d’appareil photo, Apple s’est ainsi fait dépasser par Samsung. En termes d’étanchéité, il a dû rattraper son retard sur le Coréen mais aussi Sony.
• Pourtant, Apple n’a pas dit son dernier mot. La baisse des ventes d’iPhone est logique à plus d’un titre mais la fin de cette success story ne signifie pas le début des ennuis pour Apple, loin de là. D’abord parce qu’en vendant 649 dollars un appareil qui ne coûte que 225 dollars à fabriquer, l’entreprise a accumulé des milliards d’euros, dont près de 165 milliards d’euros dans les paradis fiscaux d’après Oxfam America, une cagnotte qui lui permet de se lancer dans n’importe quel projet. La marque à la pomme a les moyens de ses ambitions, qu’il s’agisse de téléphonie ou de véhicule autonome.
Apple dispose également de marges de manœuvre dans le monde de l’entreprise, un marché très lucratif et longtemps dominé par Microsoft et Blackberry. Après l’avoir délaissé, la firme de Cupertino semble en avoir fait un axe de développement et multiplie les partenariats avec des entreprises spécialisées dans les services aux entreprises : IBM, Cisco, SAP et depuis fin septembre Deloitte, l’un des principaux cabinets d’audit et de conseil.
De plus, Apple va probablement profiter des errements de son principal concurrent. Le lancement du dernier appareil de Samsung a en effet viré au fiasco industriel, le Galaxy Note 7 ayant la fâcheuse tendance à prendre feu tout seul. Samsung l’a donc retiré de la vente, laissant Apple seul sur le secteur du haut-de-gamme dans une période cruciale : les fêtes de fin d’années. La marque à la pomme vend un tiers de ses appareils au cours de cette seule période et pourrait faire encore mieux cette année. A moins bien sûr que Google, arrivé depuis peu sur ce créneau avec ses téléphones Pixel, ne joue les trouble-fête.
Enfin, si les derniers modèles d’iPhone n’ont pas provoqué un enthousiasme débordant, certains observateurs soupçonnent Apple d’en garder sous le coude pour 2017. En effet, l’entreprise fêtera alors les 10 ans de l’iPhone et voudra marquer les esprits en dévoilant un nouvel appareil forcément "révolutionnaire". Et il est probable qu’il le soit bien plus que les dernières générations.