Justice, Renault : ce qui attend désormais Carlos Ghosn

Carlos Ghosn
Carlos Ghosn est soupçonné de trois types de malversations et risque plusieurs années de prison au Japon. © VANDERLEI ALMEIDA / AFP
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Arrêté lundi à Tokyo pour des soupçons de malversations chez Nissan, le patron de Renault Carlos Ghosn est entendu par la justice nippone et devrait rapidement perdre plusieurs de ses mandats.
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Il est passé en quelques heures du confort de son jet privé à la promiscuité d’une salle d’interrogatoire tokyoïte : Carlos Ghosn, puissant patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, a été arrêté lundi au Japon. Soupçonné de fraude fiscale et d’abus de biens sociaux, le dirigeant de 64 ans, est désormais entendu par la justice nippone. Alors qu’il encourt de graves peines de prison, Nissan et Mitsubishi ont déjà décidé de démettre Carlos Ghosn de ses fonctions. En France, Renault et son principal actionnaire l’État préfèrent temporiser.

Au Japon, garde à vue et limogeage

Arrêté lundi à la descente de son avion privé à Tokyo, Carlos Ghosn a été placé en garde à vue. Le cadre juridique japonais est bien plus sévère qu’en France : pour le seul chef d’accusation de "dissimulation de revenus", le patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi peut être gardé jusqu’à 23 jours par les enquêteurs (une période de trois jours qui peut être prolongée de dix jours à deux reprises si nécessaire). Une remise en liberté sous caution est envisageable mais elle serait certainement assortie d’une interdiction de quitter le Japon.

Risque de lourdes peines de prison. Trois soupçons de malversations pèsent sur Carlos Ghosn, selon la presse nippone : dissimulation d’une partie de ses revenus (38,8 millions d’euros depuis 2011, sur 78 millions réellement perçus), utilisation de biens de l’entreprise à des fins personnelles (que l’on peut assimiler à de l’abus de biens sociaux) et utilisation à des fins malhonnêtes d’investissements de Nissan. Pour chacune des deux premières malversations supposées, Carlos Ghosn encourt jusqu’à dix ans de prison et 75.000 euros d’amende.

Parmi les abus de biens sociaux dont il est accusé, le journal économique Nikkei a révélé mardi que Carlos Ghosn aurait acheté deux résidences de luxe, à Rio de Janeiro et à Beyrouth, avec les fonds de l’entreprise, via une filiale hollandaise d’ordinaire réservée à l’achat de start-up, pour un montant de 16 millions d'euros. Il aurait en outre, d'après la chaîne publique NHK, empoché des cachets déclarés au nom d'autres administrateurs de Nissan. L'enquête pourrait aller relativement vite puisque Nissan a décidé de collaborer, profitant ainsi d'une récente loi permettant à ceux qui aident les enquêteurs de minimiser leur peine.

Les constructeurs japonais se débarrassent de Ghosn. En ce qui concerne ses fonctions de président du conseil d’administration de Nissan et Mitsubishi, Carlos Ghosn devrait être rapidement fixé sur son sort. Nissan réunit son conseil d’administration jeudi et va proposer le limogeage du dirigeant. Mitsubishi Motors va également "proposer au conseil d'administration de démettre rapidement Carlos Ghosn de son titre de président". Le constructeur va conduire une enquête interne pour déterminer si le dirigeant a commis des malversations similaires en son sein.

En France, soupçons et succession

Si Carlos Ghosn a pu se rendre coupable de malversations au Japon, la question se pose forcément pour ses activités en France. "Dès que j'ai appris la nouvelle" de sa garde à vue, "nous avons avec (le ministre de l'Action publique) Gérald Darmanin demandé à nos services de vérifier la situation fiscale de Carlos Ghosn en France", a expliqué Bruno Le Maire, mardi sur franceinfo. Résultat : "il n'y a rien de particulier à signaler sur sa situation fiscale en France", a assuré le ministre de l’Économie. Secret fiscal oblige, Bercy ne peut entrer dans les détails du dossier du PDG de Renault, qui a perçu à ce titre 7,4 millions d’euros en 2017.

Bruno Le Maire veut des preuves. Du côté de Renault, on se montre moins prompt à condamner Carlos Ghosn que chez Nissan et Mitsubishi. Le conseil d'administration de Renault "se réunira au plus vite", a sobrement indiqué lundi le constructeur automobile dans un communiqué, se disant "dans l'attente d'informations précises" de la part du dirigeant. La réunion devait finalement avoir lieu mardi dans la soirée. Temporiser, c’est également la position de l’État, actionnaire majoritaire de Renault. "Je n'ai pas à avoir de doute, je n'ai pas à avoir de suspicions. Je dois disposer de preuves avant de prendre une décision", a estimé Bruno Le Maire.

" Nous n'allons pas demander le départ formel de Carlos Ghosn car nous n'avons pas de preuve "

Reste qu’après ces révélations, le PDG de Renault n’est "de fait plus en état de diriger le groupe", selon les mots du ministre de l’Économie. "Nous n'allons pas demander le départ formel de Carlos Ghosn au conseil d'administration pour une raison simple : nous n'avons pas de preuve", a-t-il toutefois défendu, ajoutant avoir demandé à Nissan de lui transmettre les documents de l’enquête interne. S’il ne souhaite pas démettre immédiatement le dirigeant de 64 ans de ses fonctions, le ministre de l’Économie a plaidé pour une "gouvernance intérimaire".

La succession se met en place. Le conseil d'administration de Renault devrait ainsi confier temporairement les rênes de Renault à un tandem formé par l'administrateur référent Philippe Lagayette et le numéro deux du groupe automobile Thierry Bolloré. En février, ce dernier avait été désigné par Carlos Ghosn pour lui succéder à la tête de la marque au losange. En revanche, la question est plus épineuse pour la direction de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, créée de toute pièce et dirigée en monarque par le patron déchu, jusqu’ici le seul légitime par son histoire au sein des différents constructeurs pour diriger cet attelage complexe. Sans Carlos Ghosn, l’équilibre des pouvoirs au sein de l'Alliance est sérieusement fragilisé.