Cette décision était attendue depuis près d’un an, elle est désormais officielle. La Banque centrale américaine (Fed) a annoncé mercredi qu’elle relevait ses taux directeurs : jusqu’à présent proches de zéro pour limiter les effets de la crise, ces derniers vont désormais évoluer entre 0,25% à 0,50%. Quoiqu’un peu technique, cette décision est historique et va avoir des conséquences très concrètes. Explications.
Qu’est-ce que la Fed et un taux directeur ? La banque centrale américaine est l’équivalent de la BCE européenne. Son premier rôle est de gérer la monnaie américaine : c’est elle qui imprime des dollars, surveille la quantité d’argent en circulation et s’assure de la stabilité de la monnaie. Une banque centrale a donc pour mission de contrôler l’inflation pour que les prix restent stables. Etant la seule à pouvoir créer de l’argent, une banque centrale est également en contact étroit avec les banques : elle contrôle les crédits émis dans sa monnaie et le comportement des banques.
Le taux directeur est son principal levier pour influer sur l’économie : il est l’équivalent d’un taux d’intérêt pour les particuliers qui empruntent, sauf que les emprunteurs sont cette fois-ci les banques. Ces dernières empruntent de l’argent frais à la banque centrale pour ensuite accorder des crédits aux entreprises et aux particuliers. Un taux directeur fixe donc ce qu'on appelle le "loyer de l’argent" et a une grande influence sur les banques : s’il est bas, ces dernières proposent des crédits à des taux d’intérêts bas. A l’inverse, lorsque le taux directeur monte, cela renchérit le coût d’un emprunt.
La Fed annonce un retour à la normale. Suite à la crise des subprimes, la Fed avait abaissé ses taux directeurs pour rendre l’argent moins cher et injecter des liquidités dans le système financier. Dit autrement, la Fed a fait tourner la planche à billets pour éviter que l’économie ne cale. Sauf qu’une telle politique ne peut pas être éternelle : les crédits étant quasiment gratuits, particuliers et entreprises ont tendance à beaucoup s’endetter. De plus, cet argent injecté dans le système ne va pas forcément au bon endroit et peut générer des effets pervers : une bonne partie de l’argent créé depuis 2008 n’a pas été utilisé pour accorder des prêts et relancer l’économie réelle, il a été investi en Bourse et a contribué à la hausse vertigineuse des cours boursiers. De quoi générer de nouvelles bulles et de nouvelles crises.
En décidant de remonter ses taux directeurs, la Fed normalise donc sa politique, d’autant qu’elle estime que son action a porté ses fruits : la croissance américaine est repartie, le chômage a reculé et l’inflation remonte légèrement. Sans oublier un élément de taille : en pratiquant des taux directeurs proches de zéro, une banque centrale n’a plus beaucoup de marge de manœuvre en cas de nouvel incident. En les faisant remonter, la Fed récupère donc un levier à actionner en cas de crise.
UNE ANNONCE AUX NOMBREUSES CONSÉQUENCES
Attendue depuis près d’un an, cette annonce de la Fed est tout sauf une surprise. Elle a déjà été anticipée par le monde financier et ne va pas provoquer de cataclysme. Mais ses conséquences à moyen terme sont nombreuses.
Le dollar remonte, l’euro se déprécie. En faisant remonter ses taux, la Fed fait comprendre que l’économie américaine va mieux, et donc que sa monnaie est plus solide et attractive. Résultat, le dollar a déjà commencé à prendre de la valeur et l’euro a fait le chemin inverse. Pour les Européens, les conséquences sont nombreuses : la production européenne devient moins chère et donc plus compétitive, ce qui devrait favoriser les exportations. En revanche, les importations d’hydrocarbure – qui se règlent en dollar – vont devenir plus chères. Enfin, le touriste européen qui visite les Etats-Unis va voir son pouvoir d’achat revu à la baisse.
Les taux d’intérêt devraient remonter. Effet mécanique d’une hausse des taux directeurs : les taux d’intérêt vont aussi repartir à la hausse. Emprunter va donc coûter plus cher, ce qui risque de freiner la consommation aux Etats-Unis, pays très friand de crédit. L’Europe est en revanche épargnée à court terme, la BCE pratiquant, elle, des taux directeurs nuls. A l’inverse, c’est une bonne nouvelle pour les épargnants : si l’argent coûte plus cher, il rapporte également plus.
Les pays émergents fragilisés. En faisant remonter ses taux directeurs, la Fed met les pays émergents dans une situation délicate. Lorsque ses taux étaient nuls, les investisseurs avaient déserté les obligations américaines pour aller chercher des placements plus rémunérateurs. C’est chez les pays émergents qu’ils les ont trouvés, permettant à ces derniers de disposer de beaucoup d’argent frais. La décision de la Fed risque donc de provoquer un reflux des investisseurs vers les Etats-Unis. Résultat, ces Etats vont avoir plus de difficultés à attirer des investisseurs et vont devoir proposer des rendements plus élevés. Leur monnaie a également commencé à perdre de la valeur par rapport au dollar, ce qui risque de poser des problèmes aux entreprises qui ont contracté des emprunts libellés en dollars.
Une responsabilité rejetée par la présidente de la Fed. "Je pense que cette décision était attendue et a fait l'objet d'une communication claire, au moins je l'espère. Donc je ne pense pas que ce soit une surprise", a souligné Janet Yellen, avant d’ajouter : "nous avons fait en sorte d'éviter des retombées négatives inutiles. (…) Il peut y avoir des retombées négatives via les flux de capitaux mais il faut que se rappeler qu'il y a aussi des retombées positives quand l'économie américaine est forte".