La France peut-elle devenir la "start-up nation" que souhaite Macron ?

Emmanuel Macron veut que la France soit une "start-up nation" en 2022.
Emmanuel Macron veut que la France soit une "start-up nation" en 2022. © JACK GUEZ / AFP
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Thibaud Le Meneec , modifié à
L’inauguration de la Station F à Paris, jeudi, par Emmanuel Macron, coïncide avec une période de forte accélération pour l’écosystème des start-up en France.

La France du numérique a son nouveau vaisseau. Jeudi, vers 19 heures, Emmanuel Macron inaugure en effet la Station F, un gigantesque lieu consacré aux start-up dans le 13ème arrondissement de Paris. Sur plus de 34.000 mètres carrés, environ un millier de jeunes pousses venues du monde entier vont chaque année pouvoir se développer dans "le plus grand incubateur du monde", comme le présente Roxane Varza, directrice du projet et proche de l’industriel aux manettes de l’empire Free, Xavier Niel. Il s’agit de la première grande inauguration du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a répété pendant la campagne présidentielle qu’il voulait faire de la France une "start-up nation". Un pari accessible ?

Premier constat : la France et ses 10.000 start-up sont très loin de la seule Silicon Valley, qui compte pas moins de 30.000 "jeunes pousses" du numérique, d’après le site spécialisé AngelList. Tous les spécialistes s’accordent sur un point : le berceau californien de la technologie est intouchable pour l’Hexagone. "Mais on n’a pas à rougir pour autant. De 2012 à 2015, on a par exemple connu une croissance de 30% du nombre de start-up. En 2013, seule la société Criteo avait réussi à lever plus de 100 millions d’euros. Aujourd’hui, c’est une dizaine d’entreprises qui parviennent à franchir ce seuil pour se développer", se félicite Cécile Brosset, directrice du Hub de bpifrance, plateforme publique de connexion entre grandes entreprises et start-up.

Étudiants ou patrons de start-up ? Pour sa croissance, l’écosystème des jeunes pousses peut se baser sur un système éducatif "de très bonne qualité", qui comprend "d’excellentes écoles d’ingénieurs" selon l’économiste Nicolas Bouzou, rejoint par l’ensemble des personnes contactées par Europe1.fr. Et dans ces grandes écoles, l’esprit start-up infuse de plus en plus, au point de transformer les étudiants en véritables entrepreneurs dès le début de leur cursus. "Aujourd’hui, les étudiants sont sans cesse plus nombreux à vouloir créer leur projet dès la première année alors qu’il y a quelques années, ils attendaient les derniers semestres pour se lancer", affirme Étienne Krieger, directeur scientifique du Centre d'entrepreneuriat d’HEC.

" La moitié des 18-24 ans veulent entreprendre. Il y a un vrai changement de mentalité "

Eytan Herzberg, lui, a quitté la prestigieuse école de commerce de Jouy-en-Josas sans avoir validé son cursus. "Je fais partie de la dernière génération qui n’a pas eu son diplôme car on montait nos start-up pendant les études", indique-t-il. Pour lui, les jeunes fraîchement sortis des grandes écoles il y a dix ans voulaient d’abord intégrer des entreprises du Cac40, mais la donne a depuis changé : "Aujourd’hui, beaucoup mettent en avant la qualité de vie et la réalisation de soi avant la sécurité d’une grande entreprise dans leur recherche professionnelle." "La moitié des 18-24 ans veulent entreprendre. Il y a un vrai changement de mentalité", abonde Cécile Brosset du Hub de bpifrance.

Deezer et BlaBlaCar en "role models". Comment expliquer cette évolution culturelle chez les nouveaux diplômés d’écoles d’ingénieurs ou de commerce ? La raison tient en deux mots : les role models. "Les grands succès de certaines start-up françaises ont donné confiance aux investisseurs", assure Eytan Herzberg. Deezer, Drivy, BlaBlaCar… On ne compte plus ces petits projets devenus de véritables marques à part entière, connues du grand public. Étienne Krieger : "A un moment, on parlait même du 'syndrome Criteo'. Tous les fonds d’investissements cherchaient à financer les jeunes pousses, de peur de rater une nouvelle pépite" comme le fut ce site spécialisé dans la publicité ciblée sur Internet.

"Bulle". Depuis, l’euphorie s’est calmée mais le désir de voir un jeune projet se muer en "licorne" (une société valorisée à plus d’un milliard de dollars) continue de guider le portefeuille les business angels, qui aident une entreprise à se développer en lui apportant des liquidités. "Il faut raison garder. Aux États-Unis, on commence à déchanter par rapport aux levées de fonds qui contribueraient à une forme de bulle. Et si de nombreuses start-up se vantent d’être 'en train de réussir', quand on regarde les chiffres, ce n’est pas si bien", tempère Maxime Alay-Eddine, entrepreneur dans la sécurité informatique investi dans plusieurs associations du domaine. De fait, les taux d’échec restent forts : "Sur 100 start-up qui se lancent, 86 d’entre elles ne seront plus là au bout de 18 mois. Et on monte à 94 au bout de trois ans", précise Jérémy Lamri, PDG de Monkey tie et responsable du Lab RH, un collectif de 400 start-up. Des chiffres normaux pour une économie où les faillites sont très fréquentes ? "On pourrait descendre à un taux de 75-80% si on activait tous les leviers à notre disposition", certifie l’entrepreneur.

" Pôle Emploi, premier des business angels de France" "

Coopération entre jeunes pousses et grands groupes. À en croire ces jeunes dirigeants de start-up, le chemin est encore long pour arriver à un écosystème "mature". "L’enjeu est désormais de connecter les start-up aux grands groupes comme Axa et BlaBlaCar ou La Banque postale et Kiss Kiss Bank Bank", cible Cécile Brosset. "Les grosses entreprises restent frileuses à l’idée de donner leur chance aux jeunes sociétés, notamment dans le domaine des logiciels. La France, ce n’est pas les États-Unis", note cependant Maxime Alay-Eddine.

Mais là n’est pas la seule différence avec la patrie des Facebook, Google et autres mastodontes du numérique : "La fiscalité est aussi lourde là-bas, sauf pour les start-up", regrette Étienne Krieger. "Nos prélèvements obligatoires sont trop élevés", appuie Maxime Alay-Eddine. Un mal pour un bien ? "S’il n’y avait pas un chômage aussi indemnisé, il ne serait pas forcément possible de se lancer. En fait, Pôle Emploi est le premier des business angels en France", sourit de son côté Jérémy Lamri.

Vers un "marché unique du numérique". Autre défi à relever, celui de l’intégration d’un marché plus grand que le seul Hexagone. "Il n’y aura pas de Google français. Mais il peut y avoir un Google européen", affirme Emmanuel Macron lui-même. Lequel a annoncé mi-juin la création d’un fonds de dix milliards d’euros lié pour financer l'"industrie du futur", en plus du lancement au même moment d’un "French Tech Visa" pour attirer les talents internationaux. Les entrepreneurs peuvent en tout cas se réjouir en sachant que c’est l’Estonie et son environnement très favorable aux entrepreneurs du numérique qui prend la présidence tournante du Conseil européen jusqu’en décembre 2017. L’enjeu : achever la construction d’un "marché unique du numérique". Et tenter ainsi de concurrencer les États-Unis, avec la Station F en figure de proue.