Chaque jour passe et la folie continue : le prix du bitcoin n’en finit pas de grimper. Mardi après-midi, une unité de cette cryptomonnaie valait près de 18.000 dollars, contre environ 14.000 dollars le 4 décembre, 8.000 dollars le 19 novembre ou encore 5.500 dollars le 19 octobre. Une croissance exponentielle qui inquiète les autorités, comme Bruno Le Maire, qui s’est dit hostile à cette monnaie, dimanche : "Il y a un risque de spéculation sur le Bitcoin, je pense que ça peut dissimuler des activités liées à du trafic de drogue ou du financement du terrorisme." Et le ministre de l’Économie de proposer "qu’à l'occasion du sommet du G20 en avril, nous ayons une discussion tous ensemble sur cette question du bitcoin, sur l'évaluation des risques et sur les possibilités de régulation du Bitcoin." Ou comment s’attaquer à un système dont le fonctionnement rend tout contrôle compliqué.
"Goutte d’eau". La particularité du Bitcoin est de ne pas être mis en circulation ni organisée par un État. Impossible donc de ralentir la spéculation dénoncée par Bruno Le Maire et d’autres, comme le gouverneur de la banque de France, via la vente massive de bitcoins. De toute manière, selon l’historien Jacques Favier, "il y a de la spéculation sur les bitcoins, mais c’est une goutte d’eau par rapport aux autres marchés". Et si le gouvernement voulait empêcher les acquéreurs potentiels de s’en procurer, le statut même du Bitcoin poserait problème : "Si un pays voulait limiter les bitcoins achetables, on passerait par une plateforme étrangère car il s’agit d’une monnaie internationale", résume Philippe Herlin, économiste indépendant et auteur d’un guide pratique sur l’achat de bitcoins à paraître en février.
" Il est anormal d'avoir 30% de taxe dès le premier bitcoin cédé. Il serait tellement simple de l’aligner sur celle de l’or "
L’idée de freiner la spéculation en taxant de plus en plus les transactions fait elle aussi son chemin. "Est-il intelligent de faire une crise de nerfs, alors que le bitcoin est à 15.000 dollars ?", fait mine de s’interroger Jacques Favier. "Si on régule le système de manière hystérique, les Français qui ont acheté des bitcoins vont partir à Genève, Malte, Andorre… Et si d’aventure il monte à 500.000 dollars, on les suppliera de revenir pour aider à bâtir la start-up nation. La fiscalité doit être simplifiée avec un accord raisonnable, car il est anormal d'avoir 30% de taxe dès le premier bitcoin cédé. Il serait tellement simple de l’aligner sur celle de l’or !"
Pas de terrorisme ni de blanchiment avec Bitcoin ? Les déclarations hostiles au Bitcoin s’expliquent aussi par la réputation sulfureuse de la monnaie, souvent accusée de servir plutôt à des trafiquants de drogue ou aux criminels qu’à des citoyens lambda. "Depuis plusieurs années, Bitcoin est relativement exempt de pratiques liées au terrorisme et à la drogue, pour la bonne raison que les gens qui ont financé des crimes sont en prison ou vont y aller", défend Jacques Favier, pour qui vouloir lutter contre des activités illicites permises par Bitcoin est un faux procès fait à la cryptomonnaie : "Il est beaucoup plus facile de retrouver des personnes sur Bitcoin, car c’est une monnaie intelligente et traçable. Si les criminels veulent des transactions qui ne laissent pas de traces, ils utilisent des dollars, pas des bitcoins."
" Essayer d’acheter ne serait-ce que 100 euros sans décliner son identité ne sera pas non plus une tâche aisée "
"L’évasion fiscale est très difficile à réaliser avec des bitcoins", complète François Le Grand, professeur à l’école d’économie EM Lyon. "Pour en acheter en grande quantité, à partir de 2.500 dollars environ, il faut fournir une carte d’identité, un compte bancaire et un justificatif de domicile. Essayer d’acheter ne serait-ce que 100 euros sans décliner son identité ne sera pas non plus une tâche aisée." Ce qui remet en cause l’argument de la trop grande opacité du réseau fréquemment dénoncée par les pouvoirs publics. Si les problèmes dénoncés par les autorités sont largement fantasmés, faut-il en déduire qu'il n'y a rien à réguler ?
La question des intermédiaires à régler. Pas vraiment, car des problèmes subsistent comme la méconnaissance générale de son fonctionnement. La régulation dont parle Bruno Le Maire pourrait donc passer par une "meilleure information des épargnants sur les risques encourus en dépensant quelques dizaines d’euros, voire plus, sur la monnaie, insiste François Le Grand. "Il y a une règle de base à connaître : n’investissez pas plus que ce que vous être prêts à perdre. De plus, faites confiance à des plate-formes validées comme Paymium en France, Kraken ou Bittrex" pour acheter des bitcoins. Ces sites, qui sont des places de marché, jouent le rôle d’intermédiaires. Selon Philippe Herlin, "il y a beaucoup d’arnaques et on doit se montrer plus strict avec ces acteurs."
Reste qu’agir sur la volatilité des cours est presque impossible. À moins que… "Pour les banques centrales, une régulation monétaire ne se ferait qu’en achetant une grande quantité de bitcoins. Il y aurait deux risques à faire cela : ce serait une grosse perte d’argent si le business model s’effondrait" et la stratégie d'une banque centrale pourrait rentrer en opposition avec une autre, détaille François Le Grand. Mais, déplore-t-il, "le niveau de réflexion n’est pas forcément là pour les autorités, qui se contentent pour l’instant de dire que c’est une bulle."