Emmanuel Macron s'est rendu mardi à Tourcoing, dans le Nord, pour détailler ses mesures en faveur des quartiers populaires. Parmi les propositions avancées par le président de la République, le retour des emplois francs doit permettre de favoriser l’accès à l’emploi des jeunes des quartiers difficiles. Déjà testé par François Hollande, le dispositif avait été abandonné après trois ans, faute d’avoir réellement fait ses preuves sur le terrain. La version Macron des emplois francs peut-elle faire mieux que celle de son prédécesseur ?
L’échec de Hollande. Les emplois francs, mis en place de 2013 à 2015, reposent sur des aides financières incitatives pour les entreprises afin qu’elles embauchent des jeunes issus de quartiers populaires. A l’époque, les entreprises qui embauchaient en CDI des jeunes de 18 à 30 ans issus d’une zone urbaine sensible, inscrits à Pôle emploi depuis au moins un an, bénéficiaient d’une subvention de 5.000 euros par contrat signé versée en deux temps, après la période d’essai et au bout de dix mois. Le gouvernement d’alors était ambitieux et prévoyait 2.000 emplois francs signés en 2013 (prévision relevée à 5.000 par la suite) et 10.000 en trois ans.
Sauf que le dispositif s’est révélé être un fiasco. En avril 2014, dix mois après la première signature, seuls 130 jeunes avaient été embauchés en emploi franc, chiffre qui n’a jamais décollé (250 contrats fin 2014). Résultat, les emplois francs sont enterrés fin 2015, le gouvernement estimant que la mesure "n’a pas prouvé son utilité". Au passage, il économise les 11 millions d’euros budgétés pour son application en 2015. "Nous nous sommes vite aperçu que ce dispositif ne concernait que les jeunes qui n’avaient aucun mal à trouver un emploi par leurs propres moyens", explique au Monde François Lamy, ministre délégué à la Ville entre 2012 et 2014 qui a mis en place les emplois francs. "Sur le fond, il ne résolvait rien du vrai problème des jeunes des quartiers : le manque de formation et l’absence de réseau."
Un dispositif élargi. Secrétaire général adjoint de l’Élysée de 2012 à 2014, Emmanuel Macron était aux premières loges de l’échec des emplois francs. S’il en propose aujourd’hui une nouvelle version, il a toutefois apporté des améliorations avec un mot d’ordre : plus d’ambitions, moins d’obligations. Les contraintes d’âge et de chômage de longue durée passent à la trappe. Seule la limite géographique subsiste. Pour l’instant, les députés n’ont voté qu’une expérimentation qui aura lieu dans quatre zones intercommunales de Seine-Saint-Denis, le Val de France (Sarcelles, Villiers-le-Bel), Grand Paris sud (dont Grigny et Evry), Marseille, Lille, Angers et Cergy-Pontoise. La liste des quartiers prioritaires sera fixée par arrêté, le test commencera le 1er avril 2018 et se terminera au 31 décembre 2019.
Objectif de cette expérimentation : avoir "la capacité d'avoir un dispositif particulièrement efficace" à l'issue, selon Muriel Pénicaud. En 2020, tous les habitants des 1.500 quartiers prioritaires pourront bénéficier des emplois francs. La mesure sera aussi plus incitative qu’avant pour les entreprises. Pour un CDI, la prime à l’embauche sera de 5.000 euros par an sur trois ans maximum (soit un peu moins d’un tiers d’un Smic brut) et pour un CDD de plus de six mois, elle atteindra 2.500 euros par an sur deux ans maximum. Le coût de l'expérimentation est évalué à 11,7 millions d'euros pour 2018.
"Jusqu’à 150.000 emplois en 2019". Les députés de la majorité qui avaient déposé l’amendement pour inscrire les emplois francs dans le budget 2020 se montrent particulièrement ambitieux sur la portée de cette mesure. "Nous mettons en œuvre une mesure phare de la campagne afin de relancer et favoriser l'emploi des quartiers populaires", s'est félicité le député LREM Aurélien Taché dans un communiqué publié après le vote à l’Assemblée, estimant que la mesure "devrait concerner 20.000 emplois" et "pourrait aller jusqu'à 150.000 emplois en 2019". L'Élysée se contente de son côté d'évoquer la création de 12.000 à 25.000 emplois en 2018.
"On travaille à avoir une solution différente qui permettra de créer des emplois. Mais ce qu'il faut aussi c'est que les entreprises viennent dans nos quartiers. C'est pour ça qu'à Clichy on se bat pour avoir une gare car on a besoin d'avoir des transports modernes et rapides", étaye Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois, président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, sur Europe 1. "Il faut que les habitants de nos quartiers soient employables, qu’ils soient formés à des métiers durables. C'est aussi ce qui comptera : quels types de contrats seront ouverts grâce aux emplois francs".
" Les emplois francs peuvent permettre de lisser les inégalités régionales "
Pas en adéquation avec le marché du travail. Et c’est bien là le problème. Selon les données de l’Acoss, l'organisme collecteur des cotisations de Sécurité sociale, 68% des 6,3 millions de déclarations d’embauches enregistrées au troisième trimestre 2017 étaient des CDD de moins d’un mois (contre 17% de CDD de plus d’un mois et 15% de CDI). Autrement dit, plus de deux tiers des embauches actuelles ne répondent au critère de durée minimale des contrats subventionnés par les emplois francs. D’autant plus que l’Acoss ne prend pas en compte l’intérim, qui atteint des records en ce moment.
Certes, les embauches en CDI ont le vent en poupe (+1,5% en trois mois), contrairement aux autres contrats (-0,7% pour les CDD de moins d’un mois). Mais elles restent largement minoritaires. Les emplois francs version Macron devraient donc concerner beaucoup plus de gens que la version Hollande mais l’effet réel reste plus qu’incertain à cause des critères de contrats. L’expérimentation dira si les entreprises privilégient plus les contrats longs grâce au dispositif.
Ne pas juger que sur les embauches. De plus, l'efficacité des emplois francs est difficile à mesurer. "Si le dispositif venait à marcher, il faut craindre des effets d'aubaine. C'est le problème des emplois subventionnés : il y a des entreprises qui auraient embauché sans les aides de toute manière et qui en profitent", explique Éric Heyer, économiste à l'Observatoire français de la conjoncture économique. Ainsi, si les 150.000 embauches prévues se réalisent, il n'est pas dit que, par exemple, 50.000 d'entre elles n'auraient pas eu lieu sans les emplois francs.
"Mais globalement ça va dans le bon sens", nuance toutefois Éric Heyer. "J'ai l'impression que c'est moins une politique de l'emploi qu'une politique de la ville. Les emplois francs peuvent permettre de lisser les inégalités régionales inhérentes à une reprise de la croissance, éviter que des villes restent à la traîne. C'est plutôt à l'aune de ce critère là qu'il faudra juger les emplois francs, pas uniquement en termes d'embauches", précise l'économiste.