L’Europe, terre de démocratie et de culture ? Pour Oxfam, c’est aussi un terreau propice à s. Dans un rapport publié lundi, l’ONG dresse un bilan de la lutte contre l’évasion fiscale mais aussi un classement des pires paradis fiscaux. Et c’est là que le bât blesse puisque la majorité des pays pointés du doigt sont européens ou sous sa souveraineté.
Les Européens très représenté dans ce classement. Après avoir listé 59 pays facilitant l’évasion fiscale, Oxfam a identifié les "15 pires paradis fiscaux dans le monde". Sans surprise, on retrouve les Bermudes, Singapour ou encore les Bahamas. Ce qui est en revanche moins attendu, c’est la très grande présence des nations européennes. En effet, cinq des quinze pays identifiés sont européens : les Pays-Bas occupent la troisième place, suivis par la Suisse (4e), l'Irlande (6e), le Luxembourg (7e) et Chypre (10e). Le nombre d’Etat européens pointés du doigt passe même à neuf si on inclut les dépendances britanniques : résultat, l’Europe abrite, de manière directe ou indirecte, près des deux tiers des paradis fiscaux de la liste établie par Oxfam. De quoi relativiser les discours du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, martelant que la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité de l’UE.
Voici le classement établi par l’ONG, du premier au dernier des "pires paradis fiscaux dans le monde" : les Bermudes, les îles Caïmans, les Pays-Bas, la Suisse, Singapour, l’Irlande, le Luxembourg, Curaçao, Hong Kong, Chypre, les Bahamas, Jersey, Barbade, l’île Maurice et les îles vierges britanniques.
Malgré les absences de Monaco ou encore de la Belgique. Si l’Europe est surreprésentée dans ce classement, certains de ses représentants ont néanmoins réussi à ne pas y figurer alors qu’ils sont pourtant régulièrement soupçonnés de favoriser l’évasion fiscale. C’est notamment le cas de l’Autriche, de Monaco, de la Belgique ou encore du Royaume-Uni, via la City de Londres. S'ils ne se retrouvent pas dans le haut du classement, c'est parce qu’il y a pire qu’eux ou parce que les informations manquent (Belgique), ou encore pour éviter les doublons (le City de Londres a été considérée comme le prolongement des paradis fiscaux que sont les îles Caïmans, Jersey, les Bermudes et les îles Vierges britanniques).
L’enfer, c’est les autres. Vu d’Europe, un paradis fiscal est souvent synonyme d’îles lointaines et ensoleillées : en clair, le mal vient de loin et la liste noire établie par l’UE n’identifie que trois principautés et une île britannique sur le Vieux continent. Du point de vue d’Oxfam, l’évasion fiscale est pourtant très présente en Europe. Comment expliquer des points de vue aussi éloignés ?
Oxfam apporte un début de réponse et accuse l’Union européenne de myopie. "Le choix de l'UE de ne considérer et de n'évaluer que des pays en dehors de l'UE permet d'éviter qu'un État-membre n'apparaisse sur la liste noire, alors que l'analyse d'Oxfam apporte la preuve que les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Irlande et Chypre sont pourtant parmi les pires paradis fiscaux au monde", affirme l’ONG. De même, les Etats-Unis ont toujours refusé que l’Etat du Delaware soit considéré comme un paradis fiscal, alors que de très nombreux observateurs le considèrent comme tel. Bref, en matière d’opacité fiscale, les responsables viennent toujours d’ailleurs.
Une tendance générale au moins disant fiscal. Que les Européens se rassurent : s’ils figurent en bonne place sur la liste d’Oxfam, ils ne sont pas les seuls à laisser faire l’évasion fiscale : la plupart des Etats et des grandes entreprises s’en accommodent, souligne Oxfam. "90 % des plus grandes entreprises au monde sont présentes dans au moins un paradis fiscal. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les grandes multinationales possèdent chacune en moyenne près de 70 filiales dans des paradis fiscaux ", affirme l’ONG. Et cette dernière de poursuivre : "Au cours des dernières décennies, les contributions fiscales des grandes entreprises ont progressivement diminué, conséquence du nivellement par le bas de l’impôt sur les sociétés dans lesquels les États se sont engagés. Sur les 30 dernières années, les bénéfices nets déclarés par les plus grandes entreprises du monde ont plus que triplé en termes réels, passant de 2 000 milliards de dollars en 1980 à 7 200 milliards de dollars en 2013. Cette augmentation ne s'est pas accompagnée d'une hausse correspondante des contributions fiscales des entreprises, en partie du fait de leur recours aux paradis fiscaux".
Cette course au moins-disant fiscal ne semble d’ailleurs pas prête de s’arrêter. Le Royaume-Uni a promis dans la foulée du Brexit une baisse de l’impôt sur les sociétés et la France envisage de faire de même. De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump va même plus loin en proposant une amnistie fiscale aux entreprises qui rapatrierait aux Etats-Unis de l’argent dissimulé, bien que l’efficacité de cette méthode soit contestée.
Comment a travaillé Oxfam pour réaliser ce classement ? Hiérarchiser des pays dont l’absence de transparence est devenue une spécialité n’est pas une tâche aisée. Pour réaliser son classement, l’ONG a donc décidé de se baser sur 22 indicateurs, qui s’articulent autour de six thématiques : "le volume des bénéfices artificiellement transférés vers ces pays, un taux d’imposition des sociétés inférieur à la moyenne, les indicateurs d’une planification fiscale agressive (incitations fiscales comme les patent box), l’absence de retenue à la source (intérêts ou royalties), des règles insuffisantes sur la taxation des sociétés étrangères contrôlées et le manque de contribution aux efforts internationaux de lutte contre l’évasion fiscale".