Quel service public veut-on en France ? C’est la question que posent les agents et les fonctionnaires à l’occasion d’un mouvement de grève national mardi. Les hôpitaux, Pôle emploi, l’énergie, les collectivités locales et les écoles sont concernées par cette journée d’action. Derrière des revendications contre la déshumanisation de leur travail, la course à la rentabilité et les économies à tout-va, les agents du service public s’inquiètent du manque de considération qui leur est accordée par les candidats à l’élection présidentielle.
"Des patients qui deviennent des clients". "Ce gouvernement aura été celui qui a le plus affaibli l’hôpital public depuis des décennies. Nous lançons un cri d’alerte à celui qui le remplacera, quel qu’il soit !", explique Denis Basset, secrétaire fédéral de FO-santé, dans Le Figaro. Pour ne pas être les oubliés de l’élection présidentielle, les agents des services publics de santé descendent dans la rue mardi. Ils dénoncent les rythmes infernaux et la course à la rentabilité. "On est dans des processus industriels, avec des patients qui deviennent des clients, or l'hôpital est le règne de l'imprévisibilité. Aucun patient ne réagit comme c'est écrit dans un tableau Excel", dénonce Thierry Amouroux, du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI).
Au-delà des revendications des infirmiers, l'intersyndicale réclame "l'abandon" des groupements hospitaliers de territoire (GHT), du plan triennal d'économies de "3,5 milliards" d'euros ou encore "l'arrêt des fermetures de lits". Elle fustige également la remise en cause des 35 heures alors que "les comptes épargne-temps explosent". "Notre plus grande souffrance, c'est de ne pas pouvoir prodiguer des soins de qualité", résume Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière.
Défendre le service public. Mais les agents des hôpitaux publics ne sont pas seuls aujourd’hui. D’autres secteurs publics se sont greffés à leur journée d’action : éducation, énergie, collectivités locales. L’objectif est simple : faire le plus de bruit possible pour exister dans la campagne présidentielle, alors que le premier tour doit se tenir dans moins de deux mois. Les fédérations de fonctionnaires notamment CGT, FO, FA-FPT (Autonomes), FSU ont appelé les agents à dénoncer ainsi la "réforme territoriale et ses conséquences : fusion de communes, de conseils régionaux, création de métropoles", qui "entraînent des mobilités forcées et des inquiétudes grandissantes chez les agents et dégradent le service public".
La grève à Pôle emploi, suivie lundi par 13,36% des salariés, est reconduite à mardi par les quatre syndicats à l'origine du mouvement, afin de faire la jonction avec le mouvement de grève national des agents du service public. Les employés protestent contre la "transformation" du métier de conseiller chargé de l'indemnisation, la "dématérialisation à outrance" et pour la "défense du service public".
Rigueur et remise en cause. Ce rassemblement de plusieurs corps de métier est symptomatique de l’inquiétude généralisée des services publics. La numérisation des emplois poursuit son avancée, le point d’indice des fonctionnaires a augmenté de seulement 0,6% à deux reprises en 2016, après cinq années de gel, et surtout, le service public est désormais devenu une cible privilégiée des tenants de la rigueur budgétaire. Dans les débats politiques et économiques, l’idée est de plus en plus répandue que si la France veut assainir ses finances, la solution est de tailler dans les dépenses publiques.
Les derniers chiffres publiés par Eurostat renforcent encore un peu plus ce constat. L’office européen des statistiques montre que les dépenses publiques pèsent pour 57% de notre PIB, plus que dans tous les autres pays d’Europe, à l’exception de la Finlande. A elle seule, la protection sociale représente 43% des dépenses des administrations publiques. Suivent la santé (14%), les services généraux (11%) et l’enseignement (9,5%). Des chiffres que ne manqueront pas d’utiliser certains candidats à la présidentielle.
Fillon offensif sur le service public. A commencer par François Fillon. Le candidat des Républicains est le plus offensif à l’encontre du service public. Pour réaliser 100 milliards d’euros d’économie en cinq ans, il souhaite 500.000 suppressions de postes dans la fonction publique, passer le statut des fonctionnaires "à la paille de fer" et augmenter leur temps de travail de 35 à 39 heures. Sa réforme de la Sécurité sociale inquiète également les professionnels du secteur.
Macron attaque… mais séduit. Les agents du service public n’ont pas trouvé beaucoup plus de réconfort dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Le candidat d’En Marche ! propose de supprimer 120.000 postes dans la fonction publique, en épargnant la santé, dans le cadre d’un plan d’économie de 60 milliards d’euros. Il souhaite également accélérer la numérisation de l’administration en limitant les déplacements physiques des usagers et élargir les horaires d’ouverture des services publics aux soirées et au samedi. Malgré tout, selon la dernière étude du Cevipof parue en février, Emmanuel Macron reste le candidat favori des employés du secteur public (26% d’intentions de vote).
Rupture du lien avec la gauche. Benoît Hamon a beau affirmé dans son programme vouloir protéger le statut de la fonction publique, "avant tout une garantie de neutralité du service public pour les citoyens" et qu’"il y a urgence à recruter dans certains secteurs : l’éducation, la santé, la petite enfance, la prise en charge de la dépendance", sa candidature peine à séduire franchement les fonctionnaires (19% d’intentions de vote selon l’enquête du Cevipof). Preuve que la présidence Hollande a contribué à distendre les liens historiques entre le Parti socialiste et les agents publics.
La tentation FN. Déçus par la gauche et clairement échaudés par la droite, les fonctionnaires qui ne penchent pas pour Macron pourraient se laisser tenter par le Front national. Marine Le Pen propose de "dégeler et revaloriser le point d’indice pour les fonctionnaires" et de "préserver le statut de la fonction publique". D’après le Cevipof, la candidate du FN est actuellement créditée de 22% d’intentions de vote au sein du service public.