La véritable campagne présidentielle commence lundi et les candidats affûtent leur programme. Le dernier en date, Benoît Hamon, a précisé quelques mesures de son projet au Parisien mercredi. Parmi les nouveautés, le candidat socialiste évoque la possibilité de procéder à des nationalisations. "Je ne m'interdis pas, demain, de nationaliser temporairement. La question est : s'interdit-on une solution qui peut être la bonne pour maintenir l'emploi, les savoir-faire industriels ?", explique Benoît Hamon.
Cheval de bataille de Montebourg. Cette idée, le candidat du Parti socialiste l’a empruntée à son ancien rival à la primaire de la gauche et désormais soutien, Arnaud Montebourg. L’ancien ministre de l’Économie et du Redressement productif milite depuis longtemps pour des nationalisations temporaires. Il réclamait ainsi l’intervention de l’État pour sauver les hauts fourneaux de Florange. "La nationalisation temporaire est une solution d'avenir", assurait Arnaud Montebourg en 2012, ajoutant qu’une nationalisation temporaire "ne coûte rien" et "est admise dans notre droit".
En plus de Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont tous les deux partisans de nationalisations temporaires. Pourquoi un tel consensus ? "Nous assistons à une crise du libéralisme, un système qui ne marche plus aussi bien qu’il y a quelques années. Donc on se rabat sur les vieilles recettes", estime Christopher Dembik, chef économiste chez Saxo Banque. Les nationalisations totales n’ont plus la côte depuis la fin des années 80 et la fameuse politique du "ni-ni" de François Mitterrand : ni privatisation, ni nationalisation. Le poids de plus en plus lourd de la dette française a également contribué à diminuer le crédit accordé aux nationalisations.
Intervention de quelques années. C’est pourquoi les dirigeants politiques parlent désormais de nationalisations temporaires. "Ça rassure les investisseurs étrangers", souligne Christopher Dembik. Dans ce cas de figure, l’État prend le contrôle d’une partie de l’entreprise en difficulté, l’épaule, soutient l’investissement et garantit sa pérennité – mais pas forcément l’emploi. Cette intervention est limitée dans le temps : une fois que l’entreprise retrouve sa rentabilité, l’État se désengage progressivement.
Dans l’Hexagone, les nationalisations temporaires concernent plutôt les grandes entreprises industrielles. "Dans certains secteurs stratégiques définis, notamment ceux qui dépendent de la commande publique, l’État peut raisonnablement intervenir pour sauvegarder une partie de l’outil industriel français", soutient Mathieu Plane, économiste à l’OFCE qui a conseillé Arnaud Montebourg. Il met en avant le succès de la nationalisation de Peugeot en 2014.
Alstom sauvé par l’État… L’exemple le plus connu de nationalisation temporaire en France est celui d’Alstom. En 2004, le fleuron industriel français était au bord de la faillite, avec des pertes de près de deux milliards d’euros. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, s’empare du dossier et conçoit un plan de sauvetage et une recapitalisation de 2,2 milliards d’euros. La Commission européenne donne son accord, à condition que l’État se désengage au bout de quatre ans maximum (ce sera fait en 2006 avec le rachat de ses parts par Bouygues). Résultat de l’opération : Alstom a été sauvé, l’État a empoché une plus-value de plus d’un milliard d’euros mais 20% des effectifs de l’entreprise ont été supprimés et des activités ont dû être cédées.
… mais toujours en difficulté. Outre Florange, si la question des nationalisations temporaires est revenue sur le tapis ces dernières années, c’est pour parler… d’Alstom. Lorsque l’industriel annonce en septembre dernier son intention de fermer l’usine de Belfort, la faute à un carnet de commandes dégarni, le Front de gauche et le Front national réclament immédiatement une nationalisation. Jean-Luc Mélenchon mettait en avant la nécessité d’une gouvernance plus responsable : "Le pillage et le dépeçage de cette entreprise doivent être stoppés d'urgence. Ses dirigeants, incompétents ou menteurs, doivent être écartés". Marine Le Pen évoquait plutôt "un État stratège dont la mission est précisément d’assurer la pérennité de l’emploi et le maintien des savoir-faire dans les territoires".
Perte de compétitivité. Mais, comme le rappelle Christopher Dembik, "l’État n’a pas vocation à sauver tous les canards boiteux". "Avec la mondialisation et le coût du travail élevé en France, on sait pertinemment qu’il y a des secteurs dans lesquels nous ne sommes pas compétitifs et qui sont voués à disparaître à termes. Florange est un exemple frappant", explique l’économiste. La question est donc de savoir quelles entreprises pourraient être nationalisées en cas de faillite. L'industrie est un secteur parmi d'autres. Aux États-Unis, Barack Obama a utilisé la nationalisation à plusieurs reprises, notamment pour éviter la faillite General Motors. Outre-Manche, le gouvernement a partiellement nationalisé les trois principales banques britanniques lors de la crise de 2008.
Pas de cap politique. C’est là que le bât blesse. "Il reste à définir la ligne de l’État stratège", reconnaît Mathieu Plane. "Est-ce que les nationalisations doivent servir à retarder l’échéance ou à épauler des entreprises qui traversent une mauvaise passe mais ont un potentiel de croissance future ? Il faut trancher". Par ailleurs, l'industrie de devrait pas avoir le monopole des nationalisations. "L’État pourrait aussi bien épauler les entreprises naissantes et innovantes", défend l’économiste. "Avec les nationalisations, on a mis en place beaucoup d’outils défensifs. Il serait intéressant d’opter pour une stratégie offensive". Aujourd’hui, les PME les plus rentables sont rachetées par des grands groupes. "Résultat, nous n’avons pas assez d’ETI, les entreprises de taille intermédiaire. L’État pourrait épauler les PME jusqu’à ce qu’elles atteignent une taille critique". Et ainsi créer les champions français de demain.