C’est depuis Rungis, lieu hautement symbolique de la filière agroalimentaire française, qu’Emmanuel Macron a annoncé mercredi les premières mesures en faveur des agriculteurs. Débattues depuis fin août dans le cadre des États généraux de l’alimentation, elles doivent assurer une meilleure rémunération aux producteurs et mettre fin à la guerre des prix. Le président de la République a notamment annoncé "l’inversion du calcul des prix", un renversement des relations commerciales entre producteurs et distributeurs qui concerne également les consommateurs. "Nous modifierons la loi pour inverser la formation du prix qui partira du coût de production", a déclaré le chef de l'État.
Partir du coût de production. Concrètement, cette mesure réclamée par la FNSEA, le principal syndicat agricole, doit donner plus de poids aux agriculteurs et aux éleveurs dans les négociations avec les industriels et les distributeurs. "Nous partons toujours du prix du distributeur, or le producteur est toujours lésé. On veut donc partir du coût de revient pour mieux répartir la valeur", a expliqué Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, sur franceinfo mercredi. Il s’agirait donc de fixer les prix payés aux agriculteurs à partir de leur coût de production et non plus à partir de la marge que souhaitent dégager les transformateurs et les distributeurs.
En effet, actuellement, les producteurs n’ont pas la main sur les prix. "Ce sont les industriels qui gèrent les négociations. Nous, on vient au mieux en organisations, au pire tout seul", précise Patrick Bénézit, éleveur bovin et secrétaire général adjoint de la FNSEA. "Mais la loi nous interdit de discuter les prix et les volumes avec les distributeurs. On ne peut pas non plus s’entendre entre nous à cause du droit de la concurrence", déplore-t-il.
" La hausse des prix sera soit inexistante, soit imperceptible pour les consommateurs "
Revenus plus élevés. En inversant le calcul des prix, le gouvernement permettrait aux producteurs d’aller au-devant des industriels collectivement pour négocier les prix à leur avantage et ainsi obtenir une rémunération plus juste. Selon la MSA, organisme de sécurité sociale des agriculteurs, leur revenu moyen a augmenté de 4 à 5% entre 2015 et 2016 mais il reste compris entre 1.083 et 1.250 euros par mois. "Les associations de consommateurs, les transformateurs, les distributeurs ont conscience qu'on ne peut pas continuer comme ça", a soutenu Stéphane Travert, sur franceinfo, ajoutant que "les consommateurs ne veulent plus d’une alimentation low cost".
Leclerc alerte sur la hausse des prix. De là à dire que cette mesure va faire grimper les prix pour le consommateur, il n’y a qu’un pas. Surtout qu’en plus de l’inversion du calcul des prix, Emmanuel Macron pourrait annoncer un encadrement, voire une interdiction des prix abusivement bas, et un relèvement du seuil de revente à perte (le prix en dessous duquel un distributeur ne peut pas commercialiser un produit). Autant de mesures en faveur des agriculteurs qui peuvent inquiéter. Michel-Édouard Leclerc a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme. Sur son blog, et à travers plusieurs sorties médiatiques, le patron de la chaîne d’hypermarchés, affirme que les prix en rayons risquent d’augmenter "de 5 à 15% sur des milliers d'articles alimentaires".
Les consommateurs protégés. Une affirmation que réfute la FNSEA. "Monsieur Leclerc a profité des États généraux de l’alimentation, notamment de la question du seuil de revente à perte, pour brandir son étendard ‘je suis le moins cher’", tance Patrick Bénézit. "Mais la vérité, c’est que si les marges des distributeurs, qui dépassent largement les chiffres évoqués par Leclerc, sont mieux réparties, tout le monde sera content : producteurs, consommateurs et même distributeurs." Serge Papin, patron de Système U, s’est ainsi placé du côté des producteurs en affirmant que les fortes marges perçues par les distributeurs sur les produits agricoles et les faibles marges perçues sur les produits de grande consommation sont "la base de l'injustice que vit le monde agricole aujourd'hui".
Patrick Bénézit tient donc à rassurer les Français : "Je ne dis pas qu’il n’y aura pas quelques produits, les yaourts par exemple, qu’il faudra payer un ou deux centimes de plus. Mais dans l’ensemble, la hausse des prix sera soit inexistante, soit imperceptible", affirme le secrétaire général adjoint de la FNSEA. Les promoteurs des mesures en faveur des agriculteurs évoquent ainsi des augmentations de l’ordre de 0,1 à 0,8%.
Une modification législative complexe
Imposer ce changement de perspective ne se fera pas d’un claquement de doigts. En effet, "il faut que le gouvernement légifère sur la réglementation commerciale, sûrement par ordonnances", souligne Patrick Bénézit. Emamnuel Macron les annoncées pour le premier semestre 2018. C’est tout un pan de la loi qui régit la filière agroalimentaire qui doit être revue. Le ministre de l’Agriculture a indiqué que le gouvernement était actuellement en train d’étudier la faisabilité juridique de la mesure, avec "un système réglementaire ou législatif". Une opération d’autant plus délicate qu’en plus de l’inversion du calcul des prix, Emmanuel Macron pourrait annoncer un encadrement, voire une interdiction des prix abusivement bas, et un relèvement du seuil de vente à perte des distributeurs.
Autant de mesures en faveur des agriculteurs qu’il faudra arriver à retranscrire dans la loi et sur lesquelles ils seront vigilants. "C’est le gouvernement qui a la main. L’ambition est là mais attention aux effets d’annonce. On veut des engagements clairs et nets", martèle Patrick Bénézit. "Si on ne change qu’une chose parmi toutes celles demandées, ça ne bougera rien. Mais si on met tout en place simultanément, on peut espérer des résultats significatifs". Et de conclure : "On sera rassuré quand tout cela sera écrit noir sur blanc dans la loi".