Accusé de favoriser le dumping social, le travail détaché sera bien réformé. La commissaire européenne à l'Emploi, Marianne Thyssen, s'est déclarée mercredi "déterminée" à mieux encadrer ce statut, entamant un bras-de-fer avec une partie des pays d'Europe de l'Est, opposés à un tel changement. Bruxelles espère ainsi mettre fin aux polémiques et mieux réglementer un statut source de nombreux abus. Mais certains pays, à l'image de la France, veulent aller encore plus loin.
Qu’est-ce que le travail détaché ? Encadré par une directive européenne de 1996, le détachement permet à une entreprise européenne d'envoyer temporairement ses salariés en mission dans d'autres pays de l'UE, en n'appliquant que le noyau dur de la réglementation du pays d’accueil (Smic, conditions de travail) tout en continuant de payer les cotisations sociales dans le pays d'origine. Ainsi, un charpentier polonais employé en France doit être payé au minimum au niveau du Smic français mais les cotisations patronales sont à régler en Pologne, où elles sont deux fois moins élevées que dans l’Hexagone.
Combien sont-ils ? Le nombre de travailleurs détachés dans un autre pays de l’UE n’a cessé d’augmenter pour atteindre plus de 1,9 million en 2014, selon les chiffres de la Commission européenne. En France, ils étaient officiellement 286.000, mais ces chiffres sont sujets à caution : dans un rapport parlementaire consacré à ce sujet en 2013, le sénateur PCF Eric Bocquet soulignait que beaucoup de salariés ne sont pas déclarés et "le chiffre de 300.000 salariés low-cost détachés en France au mépris du droit communautaire semble crédible". Ce que confirmait Michel Sapin fin 2013 en soulignant que le chiffre réel serait "plus proche de 350.000" que des 169.000 travailleurs détachés enregistrés officiellement en 2012.
Seule certitude, leur nombre a été plus que décuplé en une décennie, comme le montre cette infographie :
Pourquoi le travail détaché fait-il polémique ? Si le détachement est la suite logique de la mobilité professionnelle au sein de l’UE et qu’il permet de combler des manques de main d’œuvre ponctuels, il est aussi source de tensions. D’abord en raison de son principe : le travailleur détaché provient le plus souvent d’un pays moins riche et coûte donc moins cher en cotisations, d’où les accusations de dumping social. Mais il y a pire. Malgré les avantages qu’il offre, le détachement fait l’objet de nombreux abus de la part de certains employeurs : non-déclaration, rémunérations très inférieures au Smic, dépassement des durées maximales de travail, hébergement indigne, etc.
Les pays qui attirent le plus de travailleurs détachés (Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas, Autriche) réclament donc de plus en plus fermement une évolution du dispositif pour réduire l’écart de coût du travail entre Etat d’origine et Etat de détachement. Sauf que les pays qui détachent le plus de travailleurs (Pologne, Roumanie, Bulgarie, Portugal) ne veulent pas en entendre parler.
Quelles sont les solutions envisagées ? Face à la montée des populismes sur tout le continent, la Commission européenne a accepté de rouvrir le dossier des travailleurs détachés. Cette dernière a lancé début mars une consultation pour définir un "socle européen des droits sociaux" afin de garantir "l'équité des marchés du travail et des systèmes sociaux au sein de la zone euro". Dit autrement, l’Europe veut réduire l’écart de coûts entre un travailleur détaché et son homologue local. Pour y arriver, elle souhaite que les travailleurs détachés ne bénéficient plus seulement de la rémunération minimum du pays où ils sont envoyés, mais aussi des avantages qui vont avec : les primes, bonus, indemnités et autres avantages. Leurs missions seraient aussi limitées à deux ans.
La France souhaite, elle, que cet "alignement par le haut" ne concerne pas que les seuls avantages mais aussi le niveau de cotisations sociales. En clair, qu’un travailleur détaché coûte autant qu’un travailleur local, rendant le système bien moins avantageux pour les employeurs. Problème : sur ce point, ce n'est pas le statut de travailleur détaché qu'il faudrait réformer mais le règlement européen sur la sécurité sociale. Une telle réforme n'est donc pas pour tout de suite.
Que répondent les pays de l'Est ? Les pays exportateurs de travailleurs détachés (dont fait aussi partie la France) font de la résistance : onze pays européens, dont dix d'Europe de l'Est, avaient adressé en mai un "carton jaune" à la commission, bloquant le processus législatif. Mais après examen de cette procédure, la Commission européenne a tout de même décidé de poursuivre sa réforme. Ce que n'a pas tardé à dénoncer l'un des porte-parole de ce groupe, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères : "si la Commission n'est pas en mesure de percevoir le poids politique de l'opposition exprimée par onze pays membres de l'UE, cela veut dire que l'expérience du Brexit ne lui a rien appris. Elle continue à croire qu'elle sait toujours mieux que les autres ce qu'il faut faire pour réguler le marché, ce qui n'annonce rien de bon", a-t-il prévenu.
La proposition de Marianne Thyssen doit désormais recevoir l'aval du Parlement européen et du conseil des 28 ministres de l'UE, chargés des questions sociales et d'emploi.