C’est une révolution 2.0 qui se prépare aux États-Unis. La suppression de la neutralité du net, principe qui garantit l’égalité d’accès aux services internet, par la Commission fédérale des communications (FCC), régulateur américain du secteur, va bouleverser la toile. Désormais, les fournisseurs d’accès à internet (FAI) auront toute latitude pour moduler la vitesse de débit internet en fonction du contenu qui passe dans leurs "tuyaux", ce qui pourrait aboutir à la création d'un "internet à deux vitesses". Au milieu de ces bouleversements, les géants du numérique sont placés face à leurs contradictions : idéologiquement favorables à la neutralité du net, ils ne sont cependant pas les plus à plaindre après la décision de la FCC.
Défense de la libre concurrence… Les grands dirigeants de la Silicon Valley sont connus pour leur position très libérale vis-à-vis de la neutralité du net. "Les consommateurs ont peu de choix en matière de fournisseurs d’accès, et ces derniers ne devraient pas avoir le droit d’utiliser leur position de garde-barrière pour être en position de discriminer des sites ou des applications", déclarait il y a quelques semaines l’Internet association, qui regroupe les géants du web. Les Mark Zuckerberg, Jeff Bezos et autres Jack Dorsey sont de fervents partisans de la libre entreprise et de la libre concurrence, deux principes qui les ont portés au sommet de l’internet mondial.
The @FCC's vote to gut #NetNeutrality rules is a body blow to innovation and free expression. We will continue our fight to defend the open Internet and reverse this misguided decision. https://t.co/TXTQWDiBNC
— Twitter Public Policy (@Policy) 14 décembre 2017
… et protection de leur position dominante. Mais les start-up d’hier sont devenues les mastodontes d’aujourd’hui, pour certains en situation de quasi-monopole, comme Google. Les géants du web brassent des dizaines de milliards d’euros en innovation pour rester maîtres de leur secteur. Au moment de créer un "internet à deux vitesses", Facebook, Amazon, Twitter et les autres sont donc en position de force : leurs ressources technologiques et financières leur permettront de figurer aisément dans toutes les offres, là où les "petits joueurs" risquent de passer à la trapper dans les offres de base.
En effet, avec cette décision, les FAI "auront le droit de (…) favoriser le trafic d'entreprises (qui ont les moyens de payer)" et celui "de laisser toutes les autres sur une voie lente et cahoteuse", a commenté Jessica Rosenworcel, membre de la FCC opposée à la décision. Pour les jeunes entreprises technologiques, qui n'ont pas les ressources de Google ou de Facebook, la nouvelle directive est "une barrière à l'innovation et à la concurrence", estime Ferras Vinh, du Centre pour la démocratie et la technologie, qui défend la neutralité. "C'est un combat pour que la prochaine génération de jeunes pousses ait un espace pour innover et diffuser de nouvelles idées."
Les perdants : Netflix et compagnie. Néanmoins, il ne faut pas mettre toutes les entreprises dans le même panier. La situation de Facebook n’est pas celle d’Amazon qui est elle-même très différente de celle de Netflix. La véritable guerre qui va voir le jour dans les prochains mois va surtout opposer les fournisseurs d’accès aux producteurs de contenus, la concurrence entre les deux étant de plus en plus féroce. Les gros FAI américains avaient d'autant plus intérêt à voir la fin de la "neutralité du net" qu'ils sont eux-mêmes créateurs de contenus et donc en concurrence avec des entreprises comme Netflix, Amazon ou Apple, qui misent de plus en plus sur leurs créations originales. ComCast possède par exemple NBCUniversal (chaînes télé et studios) alors que AT&T cherche de son côté à racheter le groupe Time Warner (qui possède des studios mais aussi des chaînes comme CNN ou HBO).
Logiquement, les FAI chercheront à faire passer leurs propres contenus en premier. Ils pourraient pour cela imposer des frais supplémentaires aux entreprises qui fournissent du contenu gourmand en bande passante – comme les films ou les séries. En plus du surcoût de diffusion, cela induirait une double sanction pour des services tels que Netflix, Hulu ou Amazon Prime : ils pourraient avoir à répercuter ce surcoût sur le prix des abonnements, une politique qui risquerait de faire fuir les clients. Résultat, plus que Google et Facebook, c’est aujourd’hui Netflix qui semble être le grand perdant de la fin de la neutralité du net, et par défaut, son principal opposant.
We’re disappointed in the decision to gut #NetNeutrality protections that ushered in an unprecedented era of innovation, creativity & civic engagement. This is the beginning of a longer legal battle. Netflix stands w/ innovators, large & small, to oppose this misguided FCC order.
— Netflix US (@netflix) 14 décembre 2017
Netflix veut se battre. C'est en tout cas ce qui transparaît dans la réaction de la plateforme de VOD. "Nous sommes déçus de la décision de supprimer les protections de la neutralité du net qui ont inauguré une ère sans précédent d'innovation, de créativité et d'engagement civique", déplore Netflix dans un tweet, avant d'annoncer vouloir lutter contre la nouvelle directive de la FCC. "C'est le début d'une bataille juridique plus longue. Netflix se tient aux côtés des innovateurs, grands et petits, pour s'opposer à cette décision mal avisée de la FCC."