L'ENQUÊTE DU 8H - Alors que le gouvernement doit dévoiler jeudi les ordonnances visant à réformer le code du Travail, un sujet s'annonce particulièrement brûlant : celui des prud'hommes en cas de licenciement.
C'est l'un des sujets les plus sensibles de la réforme du code du Travail que compte entreprendre par ordonnances le gouvernement. Les dommages et intérêts versés aux prud'hommes en cas de licenciement abusif vont désormais être plafonnés. Pourquoi ? Comment ? Alors que les ordonnances doivent être dévoilées jeudi dans le détail, Europe 1 s'est penché sur la question.
"Ça a failli couler la société". Le plafonnement des dommages et intérêts, versés en plus des indemnités légales de licenciement lorsque celui-ci est reconnu aux prud'hommes comme "sans cause réelle ni sérieuse", est une demande du patronat au départ, et notamment des PME. Ces dernières veulent limiter les risques d'avoir à payer une sommes susceptible de mettre en difficulté leur activité. Et ce n'est pas Emmanuel Ghillebaert, à la tête d'une entreprise de meubles, qui va dire le contraire. Après avoir licencié deux commerciaux de sa société, ce patron a été condamné à payer 60.000 euros par le Conseil des prud'hommes, qui a estimé que ces licenciements étaient injustifiés. "60.000 euros ? C'est insurmontable", s'insurge-t-il aujourd'hui. "Ça a failli couler la société. Parce que dans la période, on a divisé notre chiffre d'affaire par trois. Et on vous demande de sortir 60.000 euros immédiatement. Mais si vous aviez vos 60.000 euros, peut-être que vous n'auriez pas engagé le licenciement économique de vos commerciaux."
Plafond maximum de 20 mois de salaire. Ces dommages et intérêts sont donc une épée de Damoclès pour les entrepreneurs. Et injustes aussi pour les salariés, selon le gouvernement. "Ils vont du simple au triple pour des cas similaires aujourd'hui", rappelle la ministre du Travail, Muriel Pénicaut. Celle-ci veut donc mettre en place un barème : les dommages et intérêts ne pourront excéder un mois de salaire par année d'ancienneté. En cas de licenciement sans raison valable après 15 ans dans une entreprise, un salarié touchera donc 15 mois de paye. Avec un plafond maximum de 20 mois de salaire.
"Acheter" un "droit à licencier". De leur côté, les syndicats dénoncent la possibilité "d'acheter" désormais "un droit à licencier". Les entreprises, sachant exactement le montant maximum des dommages et intérêts qu'elles pourraient payer, n'hésiteraient plus à le faire dès lors que leur trésorerie le leur permet. La présidente du Conseil des prud'hommes de Paris, Anne Dufour, craint également qu'avec un tel barème, on ne juge plus les situations au cas par cas, selon le profil de chacun. "J'ai le souvenir d'un salarié licencié à 58 ans, pour faute parce qu'il ne savait pas lire, alors qu'il faisait du ménage", raconte-t-elle. "On sait très bien que quelqu'un qui est licencié à cet âge-là ne retrouvera pas un emploi. Le préjudice c'est pas seulement l'ancienneté d'un salarié, c'est aussi son 'employabilité'."
Les pourfendeurs du plafonnement des dommages et intérêts aux prud'hommes relèvent également que, selon une étude du ministère de la Justice, la moyenne des dommages et intérêts accordés au terme d'une procédure est de 24.000 euros, soit environ dix mois de salaire. Les personnes qui touchent plus de 20 mois de salaire sont, en réalité, très peu nombreuses.
Désengorger les prud'hommes. Mais l'idée du gouvernement n'est pas seulement d'offrir une garantie aux entreprises. L'exécutif souhaite aussi désengorger les prud'hommes. À Paris, il faut actuellement au moins un an et demi pour espérer être indemnisé. "Une procédure prud'hommale, au-delà de son coût, peut être longue", rappelle ainsi Me Jacques des Moutis, avocat en droit du travail. "Une fois que le jugement est rendu, la société peut faire appel, on est repartis pour un an, un an et demi." Avec un barème connu, les salariés pourraient être encouragés à ne pas aller jusqu'au contentieux. "Cela peut les inciter à négocier en amont, à conclure un accord rapide s'ils connaissent par avance la somme à laquelle ils peuvent avoir droit", poursuit l'avocat.
Pour tenter de calmer la grogne syndicale, le gouvernement rappelle que ce plafonnement ne concernera que les licenciements abusifs, et pas les dommages et intérêts versés pour des cas de harcèlement ou de discrimination. En outre, l'exécutif laisse entendre que les indemnités légales de licenciement pourraient bien, elles, être augmentées de 25% dans les semaines qui viennent.