Les paris sportifs en ligne, activité prisée par 2,5 millions de Français, sont dans le viseur du gouvernement. La secrétaire d'État chargée de la Jeunesse a envoyé une lettre vendredi à l’Autorité nationale des jeux. Dans ce courrier, auquel Europe 1 a eu accès, Sarah El Haïry fait part de sa "forte préoccupation" vis-à-vis des publicités des sites de paris visant spécifiquement les jeunes, "particulièrement les plus fragiles et les plus défavorisés". Alors que l'Euro de football, temps fort pour les parieurs et les plateformes, touche à sa fin, la secrétaire d'État demande que la loi soit appliquée et réclame plus de sanctions.
Des publicités qui glorifient les parieurs
Dans ce courrier, Sarah El Haïry dénonce des publicités qui "valorisent le jeu en sous-entendant qu’il contribue à la réussite sociale, le tout grâce aux gains". Elle regrette aussi que ces publicités, qui pullulent à la télévision pendant les matchs de l’Euro, "mettent en scène des profils qui sortiraient de situations de difficultés personnelles, professionnelles, sociales ou psychologiques grâce au jeu" et "laissent supposer que l’on peut gagner sa vie grâce au jeu". Autant de pratiques que la secrétaire d'État à la jeunesse juge "néfastes".
"Il y a clairement une dimension aspirationnelle dans la communication des sites de paris sportifs", confirme, sur Europe 1, Benoit Heilbrunn, professeur de marketing à l’ESCP Business School, spécialiste des questions de consommation et d’addiction. "Les publicités font appel à des archétypes de réussite, à l'image de cette campagne d'héroïsation, récurrente à la télévision, avec un jeune porté en triomphe devant tout son quartier après un pari gagné. La glorification de l'individu est une idéologie dominante dans la société et les sites surfent dessus", analyse-t-il.
Les jeunes, une cible "vulnérable"
Une stratégie payante puisque les 18-24 ans sont, depuis peu, ceux qui parient le plus. Leurs dépenses sur les plateformes en ligne ont plus que doublé depuis le début de l’année. Les jeunes ont détrôné les 25-34 ans en nombre de transactions mais pas encore en sommes investies. Et les études ne prennent pas en compte les mineurs. "L'accès aux sites est trop facile. On peut tricher sur son âge. Or, plus on est jeune, plus on est vulnérable face aux jeux d'argent", rappelle Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'Hôpital Paul-Brousse et président de la Fédération française d'addictologie.
Le risque, quand le pari devient une addiction, est bien réel : isolement, endettement, détresse psychologique… "Ce rajeunissement du public des parieurs s'accompagne d'une augmentation du nombre de naufragés du jeu, des gens pour lesquels le plaisir se transforme rapidement en prison", alerte Amine Benyamina au micro d'Europe 1. Une inquiétude partagée par Sarah El Haïry. "Avoir une stratégie d'encouragement au jeu, c'est une chose. Avoir une stratégie qui vise spécifiquement les jeunes des quartiers populaires, c'est bâtir un business plan reposant sur les difficultés que rencontrent ces jeunes en leur donnant de faux espoirs. Ce n'est pas acceptable", écrit la secrétaire d'État.
Le gouvernement réclame des sanctions
Elle rappelle donc dans sa lettre que la loi interdit de donner une image trop positive des jeux d’argent et demande donc à l’Autorité nationale des jeux "d'envisager des sanctions" à l’encontre des sites de paris en ligne qui ne respectent pas ces règles. Pour en arriver là, c'est l'Autorité qui doit elle-même s'autosaisir de la question. Une question relativement nouvelle pour elle puisque, si elle est chargée de réguler les jeux d'argent et de hasard depuis leur autorisation en France il y a 11 ans, elle n'a la capacité de réguler les publicités que depuis novembre 2020.
Contactée par Europe 1, l'Autorité nationale des jeux n'a pas répondu à nos sollicitations. Mais dans une interview accordée à Libération le 6 juillet, sa présidente Isabelle Falque-Pierrotin reconnaissait que "certaines publicités dépassent le cadre fixé par décret qui interdit de donner une image positive du jeu ou qui suggère qu’il contribue à la réussite sociale". Estimant que ces campagnes de communication ont été "validées" avant l'entrée en vigueur du décret les régulant, elle a indiqué qu'une "consultation publique" serait lancée en octobre "pour voir si nous devons compléter notre arsenal actuel pour encadrer encore plus" ces publicités.