C’est une première en France. L’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) a déposé lundi une plainte contre les fabricants d’imprimante HP, Canon, Brother et Epson, qu’elle accuse de limiter volontairement la durée de vie de ses produits. Il aura donc fallu deux ans, depuis que la loi de transition énergétique de 2015 a défini l’obsolescence programmée comme un délit, pour voir la première action en justice. Un délai qui s’explique par la difficulté à définir, repérer et prouver qu’une entreprise a sciemment réduit la durée de vie de ses produits.
L’obsolescence programmée, un concept flou
Depuis la loi de transition énergétique de 2015, l’obsolescence programmée dispose d’une définition juridique. En l’occurrence, il s’agit de "l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement". Une définition juridiquement associée à un délit. Admise par tout le monde, elle n’en reste pas moins vaste et ouverte à l’interprétation.
" C’est compliqué de repérer un cas d’obsolescence programmée et de prouver que c’est volontaire "
Adrien Tchang-Minh, chargé de mission environnement au sein de l’association de consommateurs CLCV, distingue trois types d’obsolescence programmée : marketing, "typiquement les smartphones, chaque modèle rendant automatiquement le précédent obsolète, pas techniquement, mais aux yeux des consommateurs" ; logicielle, "qui touche les produits électroniques principalement, mais pas que, par le biais de mises à jour qui finissent par ne plus être supportées par le produit" ; et matérielle, "ce sont les produits fabriqués avec des pièces trop fragiles qui ne résistent pas à l’épreuve du temps". Aujourd’hui, seule la troisième catégorie est prise en compte par la loi.
L’obsolescence peut prendre plusieurs formes. Par exemple, un logiciel intégré dans une imprimante qui arrête artificiellement le produit au bout de X milliers de copies, alors que l’imprimante marche encore. Cela peut aussi être des pièces fragiles utilisées pour un frigo et qui vont le faire casser trop vite. Autre exemple symbolique : les collants. Autrefois, ils étaient très résistants. Mais, pour diverses raisons justifiées par les fabricants, ils ont retiré une molécule qui protégeait le nylon des UV. Résultat, les collants s’usent beaucoup plus vite au soleil et filent au bout de quelques utilisations.
Des pratiques difficilement identifiables
"C’est très compliqué de repérer un cas d’obsolescence programmée et de prouver que c’est volontaire de la part du fabricant", avance Adrien Tchang-Minh. En effet, qui dit arrêt suspect ou prématuré d’un produit, ne dit pas forcément volonté du fabricant. Il peut s’agir d’un simple dysfonctionnement isolé. Pour parler d’obsolescence, il faut repérer un élément commun à tous les produits, notamment en termes de durée de fonctionnement. "Le problème, c’est que souvent, les écarts d’obsolescence observés sont trop importants. Un même produit peut casser au bout de trois mois comme au bout de six ans", explique le spécialiste de CLCV.
" Quand un produit est cassé, le premier réflexe, c’est de le remplacer "
Tout l’enjeu est donc d’arriver à prouver la volonté du fabricant de restreindre la durée de vie d’un produit. "Les logiciels sont la technique la plus facilement identifiable lors des tests. Il suffit de réinitialiser le produit avec un autre logiciel pour voir si, oui ou non, il y a de l’obsolescence programmée", décrit Adrien Tchang-Minh. C’est comme ça qu’a commencé l’enquête qui a abouti à la plainte contre les fabricants d’imprimante.
Repérer l’obsolescence programmée est d’autant plus complexe que cela va souvent plus loin que le produit lui-même. "L’un des enjeux, c’est l’accessibilité à la réparation du matériel, au-delà de la garantie. Il faut pouvoir être sûr que les pièces détachées seront disponibles après la date indiquée sur le produit", précise Adrien Tchang-Minh. La loi Hamon de 2014 oblige les fabricants à indiquer la durée de disponibilité des pièces de rechange. Mais, dans les faits, ce n’est pas toujours respecté. Une enquête de 60 millions de consommateurs a pointé du doigt le fait qu’une telle information était introuvable dans 60% des magasins, en 2016.
Les mauvaises habitudes des consommateurs
Si l’obsolescence programmée existe, c’est aussi en partie de la faute… des consommateurs. "Il y a un problème de mentalité, nous avons pris de mauvaises habitudes de consommation", regrette Adrien Tchang-Minh. "Quand un produit tombe en panne, on ne se demande plus pourquoi. Parfois nos grands-parents nous parlent de leur frigo qui, à l’époque, durait 25 ans. Mais ce n’était pas parce qu’il était plus robuste qu’aujourd’hui, c’est simplement parce qu’ils le réparaient. Maintenant, quand un produit s’arrête, le premier réflexe, c’est de le remplacer".
Autrement dit, on ne sait plus – ou on ne veut plus – entretenir nos produits nous-mêmes. Vider le filtre d’un lave-vaisselle, détartrer un lave-linge, changer la RAM d’un ordinateur : autant de gestes en voie de disparition. Selon une étude de l'Ademe, moins d’un Français sur cinq (18%) a le réflexe de réparer un appareil électroménager ou high-tech plutôt que de le jeter.
Par ailleurs, nous n’avons pas l’habitude de signaler la panne, même quand elle paraît étrange. "Il faut prendre l’habitude de faire remonter l’information aux fabricants et aux associations. C’est en recevant des centaines de signalement sur un même produit que nous, associations, pouvons lancer des tests et des actions. Il faut des démarches personnelles", appelle Adrien Tchang-Minh. "Le consommateur peut agir à son niveau en faisant remonter l’information. S’il ne fait rien, cela ouvre une faille dans laquelle s’engouffrent les entreprises."
Comment renforcer la lutte contre l’obsolescence programmée ?
Le Parlement européen a récemment demandé à la Commission de réfléchir à une législation commune sur l’obsolescence programmée. "C’est une très bonne chose que l’UE se penche dessus. Mais le problème est le même : comment prouver que c’est une volonté de l’entreprise ? Comment on le démontre ?", s’interroge Adrien Tchang-Minh. L’UE réfléchit à deux obligations : la robustesse accrue des produits et la "réparabilité obligatoire". Exemple : aujourd’hui, les fabricants choisissent d’utiliser des clips à la place des vis dans les meubles. Or, les clips, ça casse et le meuble est bon à jeter. Alors qu’une vis ça se remplace", précise le spécialiste de CLCV. Dans une autre logique, le Parlement envisage d’insérer des capteurs qui préviennent de l’usure, par exemple un signal dès qu’il faut détartrer sa machine à laver.