Au lendemain d'une manifestation qui a rassemblé entre 108.900 et 250.000 personnes contre la réforme de la fonction publique, l'économiste Eric Heyer, l'éditorialiste Pascal Perri et le syndicaliste Luc Farré ont passé en revue plusieurs autres angles d'approche pour mieux comprendre ce qui bloque dans l'actuel fonctionnariat.
Jeudi, une manifestation a rassemblé entre 108.900 et 250.000 personnes dans les rues pour contester la réforme de la fonction publique. Une réforme qui prévoit notamment de supprimer 120.000 postes de fonctionnaires mais aussi de généraliser le recours aux contrats (CDD ou CDI), par opposition au "statut". Par ailleurs, si 59% des sondés estiment que les fonctionnaires ne travaillent pas assez, selon un sondage Odoxa publié le 2 mai, 65% des Français ont une bonne opinion d'eux.
>> Dans "Le tour de la question", Wendy Bouchard reçoit vendredi Eric Heyer, économiste au département analyse et prévision de l’OFCE, Pascal Perri, éditorialiste à LCI et Luc Farré, secrétaire général de l’UNSA fonction publique, pour mieux comprendre en quels termes la réforme de la fonction publique devrait être envisagée. Car pour eux, non la question budgétaire n'est pas le seul angle d'attaque. Voilà pourquoi.
1 - Parce que ce ne sont pas eux qui grèvent le budget
Contrairement à une idée répandue qui veut que les salaires des fonctionnaires pèsent lourd dans le budget de l'État, ceux-ci n'en représentent que 25%. "Ce n'est pas le bout du monde", tempère l'éditorialiste Pascal Perri. Par ailleurs, la fonction publique, notamment territoriale, recrute déjà en droit privé. Un million de personnes sont contractuelles, sur les cinq millions d'agents, soit 20%.
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"Quand on compare aux autres pays développés, on constate qu'on a plus de fonctionnaires qu'ailleurs : environ 82 fonctionnaires pour 1.000 habitants, quand en Allemagne, c'est plutôt 60 pour 1.000 habitants. Mais quand on regarde l'ensemble des personnes qui travaillent pour la fonction publique, on en a 120 [pour 1.000 habitants] ce qui est identique à tous les autres grands pays. On est au même niveau que le Royaume-Uni", décrit l'économiste de l'OFCE Eric Heyer. Donc non, le problème de la fonction publique ne serait pas dans le nombre d'agents.
2 - Parce qu'il faudrait privilégier une approche qualitative plutôt que quantitative
"On a une administration encore très 20ème siècle mais des demandes de service public qui ont changé. L'un des enjeux de l'administration aujourd'hui, c'est d'accepter le principe de changer - de passer d'un secteur à un autre - et d'aller vers des services publics de conseil et de coopération plutôt que de surveillance", observe Pascal Perri, qui préconise de passer d'une approche quantitative à une perspective qualitative pour faire évoluer la fonction publique. Par exemple, "les Français veulent des services publics plus proches d'eux", abonde Luc Farré, secrétaire général de l'UNSA fonction publique. "Il y a des missions qui évoluent et la fonction publique doit évoluer aussi."
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3 - Parce que l'opposition entre le public et le privé n'est pas forcément pertinente
Contrairement aux salariés du secteur privé qui sont soumis à des impératifs de bénéfices et de rentabilité, les fonctionnaires ont, eux, une mission d'intérêt général, rappelle le secrétaire général de l'UNSA. Ce qui peut bénéficier au secteur privé. Ainsi un employeur va profiter du fait "que l'éducation soit bien faite. Il aura donc une main d'oeuvre qualifiée, en bonne santé. Grâce à des routes bien entretenues, il aura un réseau qui lui permettra de gagner en productivité", détaille par exemple l'économiste Eric Heyer. "Dans un monde idéal", lui répond Pascal Perri où les secteurs privés et secteurs publics travailleraient en coopération.
4 - Parce qu'on pourrait s'interroger sur les missions des fonctionnaires
Pour l'éditorialiste de LCI Pascal Perri, "il faut accepter de questionner ce qu'est un fonctionnaire." Lui le définit comme "celui qui est au centre de l'État et qui occupe les fonctions régaliennes (la défense, la sécurité, la diplomatie)." Et il s'interroge, donc : "Je ne vois pas au nom de quoi le cuisinier de la cantine scolaire de Châteauroux doit être fonctionnaire." Car chaque emploi a un coût pour la collectivité : "3,5 millions d'euros, plus de 40 ans de carrière, 20 ans de retraite et 10 ans de pension de réversion en moyenne", détaille-t-il.
Par ailleurs, le système de recrutement des fonctionnaires se fait sur la base d'un concours qui permettrait d'avoir les meilleurs dans leur domaine. Or cela n'est pas forcément le cas. La rémunération étant relativement faible, nombre de professeurs, par exemple, sont recrutés par contrat pour compenser le manque de candidats. La question de leurs compétences n'est donc pas évaluée par un concours. Le système de recrutement des fonctionnaires serait donc à repenser en profondeur.