Arrivé il y a un an, le repreneur de l'usine Whirlpool d'Amiens a été placé en redressement judiciaire mardi. Il se trouve dans une "impasse de trésorerie", en dépit d'une aide financière de 10 millions d'euros.
C'était le 31 mai 2018. Ce jour-là, l'usine de sèche-linge Whirlpool, à Amiens, fermait définitivement ses portes. Après de longues négociations et plus d'instrumentalisation politique encore – le parking de l'usine avait été le théâtre d'un chassé-croisé dantesque entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle-, cette fermeture s'accompagnait pourtant d'une reprise. Nicolas Decayeux, industriel local, s'acquittait pour un euro symbolique des 155.000 m² du site en échange de l'engagement de garder 162 salariés. Et du côté des salariés, on voulait y croire.
Un an plus tard, c'est la douche froide. Mardi, l'entreprise WN, le nouveau nom de Whirlpool, a été placée en redressement judiciaire. Le groupe "se trouve dans une impasse de trésorerie très importante" nécessitant de "se placer sous la protection du tribunal de commerce pour assurer la prise en charge des salaires", a indiqué la préfecture de la Somme dans un communiqué.
Un carnet de commandes qui reste vide
Comment en est-on arrivé là ? En 2018, 10 millions d'euros avaient pourtant été débloqués pour aider WN à se lancer : l'État et la Région avaient versé 2,5 millions d'euros, Whirlpool 7,4 millions. Sans compter les fonds apportés par Nicolas Decayeux lui-même. Le repreneur avançait alors un grand projet, celui de construire des casiers réfrigérés connectés, auquel sont venus se greffer d'autres activités : la création d'une usine collaborative, la fabrication de chargeurs de batteries pour vélos et voitures, ou encore la production de véhicules électriques sans permis. Il y a quelques jours encore, Nicolas Decayeux détaillait même cette dernière initiative sur une chaîne de télévision locale.
" On s'y attendait. Ça fait un an que cette entreprise existe et il n'y a rien qui sort. "
Mais la société WN n'a pu "concrétiser ses projets industriels innovants en débouchés commerciaux concrets à court ou moyen terme", explique la préfecture de la Somme. Autrement dit, les commandes n'ont pas suivi. Le 19 avril, Nicolas Decayeux avait rendez-vous à Bercy "pour faire le point sur la situation de l'entreprise". Et l'État, qui a "financé en urgence un diagnostic financier et stratégique", en a conclu qu'une "restructuration profonde de l'activité" était nécessaire. "On s'y attendait. Ça fait un an que cette entreprise existe et il n'y a rien qui sort", réagit Frédéric Chanterelle, délégué CFDT, auprès de l'AFP. Et l'élu syndical d'expliquer où est passé l'argent : "Ce que Decayeux a touché par Whirlpool a payé les salaires."
Un repreneur pas assez solide ?
Le péché pourrait-il être originel ? Pour Frédéric Chanterelle, "le fautif c'est Whirlpool qui, de son côté, se porte très bien". Lui fustige une "magouille orchestrée" par la multinationale pour mettre en place une "reprise factice" et ainsi "se décharger du plan social". Il n'est pas rare que les gouvernements préfèrent approuver des repreneurs peu solides plutôt que d'être associés à la douloureuse fermeture d'une industrie sans reprise. "Je préfère me battre et perdre, plutôt que perdre sans m'être battu", confie un ministre proche de ces dossiers à Europe 1.
Fin 2017, Nicolas Decayeux avait d'ailleurs présenté un projet de reprise qui ne comptait que 50 salariés. Ils ont finalement été trois fois plus. "À l'époque, on m'a encouragé à développer un projet plus ambitieux, avec une diversification de productions", glissait le principal intéressé lundi au Monde.
Manque de lucidité contre manque de temps
Mais pour certains, c'est après la reprise que les choses ont déraillé. Une source proche du dossier confie ainsi que Nicolas Decayeux n'est absolument pas lucide sur la situation actuelle. Dans un communiqué, l'entrepreneur se montre d'ailleurs étonnamment optimiste. "Après un démarrage de l'activité tardif, l'entreprise est actuellement en négociation avec plusieurs partenaires sérieux pour développer son activité principale de Shopping Box [les casiers connectés]", écrit-il. "Nous ne baissons pas les bras et nous continuons à croire à la réussite de notre projet novateur."
" On a fait plein de formations, on commence à développer les produits, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. "
Une version de l'histoire confirmée par certains salariés interrogés par l'AFP, comme Lionel. "Tout le monde nous enterre, mais on n'est pas morts", lance-t-il depuis le parking du site. "Si on n'y croyait plus, on serait déjà partis. Il faut nous laisser un peu de temps… Avec WN, on est partis de rien : on faisait des sèche-linge et maintenant, on fait des pylônes d'ascenseur et des casiers réfrigérés." À côté de lui, Laurent confirme : "On a fait plein de formations, on commence à développer les produits, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain." S'il reconnaît qu'il n'y a pas encore "beaucoup de clients" et que tous les salariés ne travaillent "pas en permanence", "il y a du boulot", tranche-t-il. "Poncer, limer, assembler… Ceux qui disent le contraire nous font du mal."
Manque de vigilance des pouvoirs publics
Et nombreux sont ceux qui disent le contraire, justement. C'est le cas de Pascal Lefebvre, secrétaire adjoint CFTC du CE, auprès de l'AFP. "On tirait la sonnette d'alarme depuis plusieurs mois !", peste-t-il, fustigeant l'attitude des pouvoirs publics et le manque de suivi du dossier. "WN n'a pas de contrats ! Ça fait un an que les trois quarts des gens ne travaillent pas, il y a en gros 40 personnes qui bossent. Forcément, quand il n'y a rien qui rentre, on ne peut plus payer. On l'a dit maintes et maintes fois à qui veut l'entendre mais personne n'a bougé."
Le député insoumis de la Somme, François Ruffin, a lui aussi dénoncé l'inaction de l'exécutif. "On a écrit il y a plus de six mois des courriers à l'Élysée pour dire que rien ne sortait de cette entreprise. Que les 180 salariés se retrouvaient à faire du jardinage ou du nettoyage parce qu'il n'y avait rien à produire", s'agace-t-il au micro d'Europe 1. "Donc maintenant, ce que je demande, c'est qu'Emmanuel Macron remette son gilet jaune, comme il l'avait fait à l'époque, qu'il revienne sur le parking et qu'il s'explique auprès des salariés. Qu'il leur dise quel est leur avenir : est-ce que c'est un avenir industriel, est-ce qu'il va y avoir des fonds pour le reclassement ?"
Du côté du gouvernement, on veut montrer qu'on reste mobilisé pour les salariés. Les services de l'État sont actuellement en train d'explorer les pistes de reprise, même partielles, et de regarder comment reclasser les salariés dans le bassin d'emploi d'Amiens.