Pour Michel Sapin, c'est une "mesure historique". Le ministre de l'Économie et des Finances a présenté mercredi matin la loi des finances 2017 qui instaure le prélèvement à la source pour les entreprises à partir du 1er janvier 2018. Une mesure "historique" qui suscite aussi de vives critiques.
"Fumisterie", lui répond le sénateur Les Républicains Christian Jacob, quand le Medef annonce une "catastrophe". La droite promet de revenir sur cette réforme en cas d'alternance l'an prochain. À l'étranger, Allemands, Américains ou encore Britanniques ont franchi le pas depuis longtemps, sans jamais faire marche arrière. Mais en France, le sujet est source de tensions.
- Un clivage gauche-droite ?
Si la droite s'élève aujourd'hui contre la réforme défendue par la majorité de gauche, elle a pourtant défendu le principe du prélèvement à la source "pendant des années et des années", souligne Michel Sapin. La mesure a notamment été défendue par Valery Giscard d'Estaing, Jacques Chirac ou Dominique de Villepin lorsqu'ils occupaient Matignon. Mais aujourd'hui, à l'instar de Nicolas Sarkozy, la droite promet de revenir sur cette réforme dans le cadre de la pré-campagne pour 2017. Et il a pour cela le soutien du Medef, dont le patron Pierre Gattaz n'a de cesse de dénoncer un "dispositif anxiogène". Le patronat, en rupture avec le gouvernement, craint des coûts cachés et de nouvelles complications fiscales.
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- Un problème de confidentialité ?
En France peut-être plus qu'ailleurs, les revenus sont un sujet tabou. Or le taux de prélèvement à appliquer à la source pourrait donner aux employeurs un indicateur sur les ressources de leurs salariés, et des conjoints de ceux-ci, en dehors du salaire qu'ils perçoivent dans l'entreprise. Selon le ministère des Finances, il sera cependant difficile de déduire quoi que ce saut de ce taux de prélèvement. Et les contribuables pourront opter pour un taux neutre, seulement basé sur leurs revenus dans l'entreprise. Il leur reviendra alors de régulariser leur situation au moment de la déclaration.
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- Prélèvement à la source = augmentation des impôts ?
C'était, dès l'annonce de la réforme, l'une des grandes préoccupations des membres du gouvernement : il faudra faire preuve de pédagogie pour ne pas alimenter le "ras-le-bol fiscal" qui a pu s'exprimer lors du quinquennat. Parmi les enjeux de la réforme, l'application des crédits d'impôts. L'État remboursera à la mi-septembre le trop-perçu en début d'année. Mais la réforme va profiter à d'autres contribuables. Avec la retenue à la source, le niveau d'imposition des ménages dont les revenus diminuent sera immédiatement ajusté, et non pas avec une année de décalage. "Il est faux de dire que les Français verront leur impôt augmenter à cause du prélèvement à la source", martèle le ministre du Budget Christian Eckert.
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- Comment intégrer le quotient familial ?
Contrairement à certains autres pays, la France prend en compte le fait d'être marié pour calculer l'impôt d'un contribuable, ce qu'on appelle la "conjugalité". Le fisc français fait également varier la taxation selon la taille de la famille, en établissant un quotient familial. Chaque changement de situation personnelle implique donc une variation du taux de prélèvement de l'impôt, ce qui complique le dispositif. Un rapport de 2012 du Conseil des prélèvements obligatoires, qui compare l'application de la retenue à la source dans 13 pays de l'OCDE, note que, sur les neuf nations qui prennent en compte la conjugalité, huit fournissent à l'employeur des informations sur la situation du conjoint.
- Et les niches fiscales ?
Le système d'imposition français ouvre la voie à pas moins de 450 possibilités de réduction ou crédits d'impôts. Or chacune de ces ristournes fausse le taux de prélèvement de l'impôt à la source, puisqu'il est calculé sur la base des seuls revenus. L'administration fiscale devra donc rembourser le trop perçu à chaque contribuable l'année suivante, en fonction de sa déclaration d'impôts finale. "Il est pour nous inenvisageable d'engager cette réforme sans avoir auparavant simplifié l'impôt sur le revenu", a prévenu Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef, devant la commission des Finances de l'Assemblée Nationale. Son exemple ? Le Royaume-Uni, avec ses "trois tranches d'imposition, deux niches fiscales et un impôt qui n'est pas familialisé". Loin, très loin du modèle français.
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