La pandémie ne pourra plus être un motif d'indemnisation pour les restaurateurs. 1:27
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Depuis plusieurs mois, des restaurateurs attaquent en justice les assureurs qui ne les indemnisent pas à cause de la pandémie de coronavirus. Une contestation qui a une conséquence concrète : au 1er janvier 2021, le risque pandémique, qui figurait sur une poignée de contrats, sera définitivement exclu de la couverture des pertes de chiffre d'affaires. Et les restaurateurs n'ont d'autre choix que de faire avec.
DÉCRYPTAGE

Le conflit qui oppose les restaurateurs à leurs assureurs n'en finit pas. Depuis le premier confinement, plusieurs professionnels de la restauration ont intenté des actions en justice en accusant les assureurs de ne pas les indemniser pour leur perte de chiffre d’affaires liée au Covid. C'est désormais une nouvelle bataille qui s'ouvre puisque, depuis quelques jours, certains contrats sont purement et simplement résiliés par les assureurs. En cause, un avenant obligatoire qui exclut l’indemnisation pour cause de pandémie, un risque que les assureurs affirment ne pas pouvoir couvrir seuls.

Des restaurateurs mis devant le fait accompli

Tout a commencé par des courrier envoyé par les assureurs aux restaurateurs vers la fin de l'été. À l’intérieur, une proposition d'avenant reformulant la clause de garantie en cas de perte d’exploitation liée à une épidémie. Ce motif est désormais exclu du contrat. Deux choix s'offrent aux restaurateurs : accepter cette nouvelle clause ou refuser. Dans le second cas, le contrat sera résilié d’office par l’assureur le 31 décembre. "Je savais que ça entraînerait une résiliation, mais je n'ai pas voulu signer cet avenant. Quand j'ai reçu le courrier, j'hésitais encore à poursuivre Axa en justice comme d'autres l'ont fait", explique Babeth Leduc, restauratrice en Vendée. 

"J'ai suivi les procès qui ont eu lieu partout en France. Je pense que les assureurs n'ont pas été à la hauteur mais j'hésitais. Avec cette décision, maintenant ça me renforce dans l'idée que je vais le faire", ajoute-t-elle. "J'ai de bonnes relations avec mon assureur. Il m'a prévenue : en cas de résiliation par l'assureur, ce n'est pas facile d'être réassurée derrière. Mais il m'a dit qu'il allait essayer de me trouver une nouvelle assurance." Reste que ce nouveau contrat sera similaire à celui que lui proposait Axa. "C'est un souci de plus. On n'avait pas besoin de ça en ce moment", soupire la restauratrice.

Des pertes impossibles à couvrir pour les assureurs

Babeth Leduc n’est pas la seule dans ce cas de figure. Même de grands chefs ont vu leur contrat résilié par leurs assureur. Parmi eux, Jean-François Piège s'en est même ému sur Facebook en publiant la lettre envoyée par Axa. "Les situations de pandémie ne sont malheureusement pas assurables. Elles ne permettent pas la mutualisation qui sous-tend le système d'assurance car tout le monde est touché. Les pertes liées au Covid sont estimées à 180 milliards d'euros en France. C'est hors de portée des assureurs", affirme Stéphane Pénet, délégué général adjoint de la FFA, la Fédération française de l'assurance.

Mais pourquoi un tel changement ? Pourquoi maintenant ? "Dans 93% des contrats, la pandémie n'est pas un motif d'indemnisation. Mais il y a environ 7% des contrats de restaurateurs français dans lesquels la rédaction de la clause, qui évoquait souvent simplement une 'épidémie', portait à interprétation", souligne Stéphane Pénet. De fait, c'est ce flou qui a permis à un certain nombre de restaurateurs de poursuivre leur assureur en justice. Et c'est toujours ce flou qui a conduit des tribunaux à donner raison aux assurés en première instance. Le délégué général adjoint de la FFA avance une justification : "une crise comme celle du Covid-19, personne ne l'avait imaginée".

Application d'un avis du gendarme de l'assurance

À la suite des actions en justice, l'ACPR - l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le gendarme des assurances - s'est emparée du dossier. Elle a analysé les contrats où un doute existait et elle a rendu un avis, non-contraignant, invitant les assureurs à clarifier les contrats imprécis. "On ne pouvait pas conserver ce doute", abonde Stéphane Pénet, de la FFA. Axa, le Crédit Mutuel, Generali, Allianz et les autres grands assureurs français ont donc mis en place cette recommandation de l'ACPR. Le temps de faire le tri dans les contrats, les courriers avec l'avenant ont été envoyés au cours de l'été et les négociations se sont donc tenues alors même que les restaurateurs fermaient à nouveau à cause du reconfinement.

 

De fait, les assureurs ont été accusés de manquer de solidarité dans cette période difficile. "On sait que la situation est difficile. On est le premier contributeur au fonds de solidarité pour les TPE-PME. On est très investi pour aider les restaurateurs", se défend Axa. "Simplement, on est contraint par l’échéance des contrats, le 31 décembre dans la plupart des cas. Donc on a envoyé les avenants." 

Les assureurs sont contraints par… leurs propres assureurs

En réalité, les assureurs sont également sous la pression des réassureurs. Ces grands groupes qui assurent les assureurs ont les reins solides puisqu'ils opèrent à l'échelle mondiale. En cas d'épidémie dans un pays, ils s'appuient sur un autre où tout va bien pour soutenir les assureurs en difficulté. Un système remis en cause par la pandémie, mondiale par définition, de Covid-19. D'un coup, les réassureurs se sont eux aussi retrouvés en difficulté. "On ne peut pas assurer la planète entière. On n'a pas les fonds pour payer tous les sinistres liés au Covid", explique Nicolas Boudias, délégué général de l'Apref, l'Association des professionnels de la réassurance en France.

Dès mars-avril, les réassureurs ont donc fait savoir aux assureurs qu'ils ne les assureraient pas s'ils conservaient dans leur portefeuille des contrats laissant planer un doute sur le risque épidémique. Et ce dès 2021. "On est en bout de chaîne. C'était impératif pour que le système reste debout", appuie Nicolas Boudias. Les restaurateurs ont donc jusqu’au 31 décembre pour accepter ou refuser l’avenant. Mais quoi qu'ils décident, tous les assureurs sont sur la même ligne : l’an prochain, le Covid ne pourra figurer sur aucun contrat comme motif d'indemnisation.