C’était le 26 avril dernier. Marine Le Pen et Emmanuel Macron se livraient un duel par déclarations interposées sur le parking de l’usine Whirlpool d’Amiens, donnant un peu de piquant à la campagne d’entre-deux-tours de la présidentielle. Au milieu, les salariés en grève du fabricant de sèche-linges, menacés de perdre leur emploi à cause de la délocalisation de la production en Pologne, décidée en janvier et prévue pour le 1er juin 2018. Depuis, Emmanuel Macron (qui ne promettait pas "monts et merveilles" aux employés) a été élu et l’usine d’Amiens pourrait bien avoir trouvé un repreneur.
Offre d’un entrepreneur local. Mardi, à l’occasion d’un comité d’entreprise, l’intersyndicale a en effet apporté son soutien à l’offre avancée par Nicolas Decayeux, co-gérant de la société Decayeux SAS, créée en 1872 non loin d’Amiens et leader européen des boîtes aux lettres. L’entrepreneur, également président du Medef de la Somme, propose une reprise du site de Whirlpool incluant 236 emplois. L’intersyndicale n’a pas divulgué de détails – "les fuites peuvent être nocives" – mais, selon certaines sources, le repreneur potentiel prévoirait de fabriquer sur place des boîtes aux lettres connectées permettant de recevoir un colis même en cas d’absence et d’être averti par message.
Derrière Decayeux, trois autres projets viendraient se greffer sur le site : une blanchisserie industrielle (50 emplois), un plateau tertiaire pour un énergéticien et une unité de fabrication de méthaniseurs pour les exploitations agricoles (10 emplois). Au total, ces quatre projets emploieraient quelque 300 personnes, plus que les 290 détruits par la délocalisation de Whirlpool. Pour l’instant, la direction n’a pas donné de calendrier précis pour le changement d’activité et officiellement rien n’est signé, alors que la recherche de repreneurs s’est achevée mardi, conformément au délai imposé par la "loi Florange". "On a encore un ou deux autres projets complémentaires possibles sur le site", précise Xavier Bertrand, dans les colonnes du Courrier Picard.
" Juste avant les vacances d'été, c'est un soulagement "
Soutien de l’intersyndicale… Dans le quotidien régional, l’intersyndicale s’est dite "optimiste" quant au projet de reprise présenté par Decayeux. "C’est un beau projet", l’offre "la plus ambitieuse" parmi les six présentées, convient-elle. "En l’état, le projet inspire confiance. Il pourrait reprendre un maximum de personnes", confirme Ludovic Creusé, représentant CFE-CGC de l’usine Whirlpool. "Cette offre qui tombe juste avant les vacances d’été, c’est un vrai soulagement", se réjouit François Gorlia, délégué CGT usé par cinq mois d’incertitudes. "On en saura plus dans les semaines à venir mais le simple fait qu’un repreneur potentiel sérieux se soit manifesté, c’est très positif."
… et de la région. Les pouvoirs publics semblent également séduits par l’offre de Nicolas Decayeux. "Je le connais. Je connais son attachement au territoire. J’ai échangé plusieurs fois avec lui. Il ne vient pas comme un fonds de pension. Il présente un projet solide. On peut être sûr de son sérieux", estime Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, dans le Courrier Picard. Un soutien qui rassure les syndicats. "Visiblement, Nicolas Decayeux a pris le temps de discuter avec tous les acteurs. Il est soutenu par la région, c’est une garantie", souligne François Gorlia. "J’ai le sentiment qu’il a des choses à nous apporter. Pour l’avoir croisé il y a 15 jours, je n’ai pas le sentiment qu’il cherche à profiter de la situation."
Prudence tout de même. Malgré tout, à l’usine d’Amiens, la prudence règne toujours. "Rien n’est signé. Le dossier existe mais on reste très vigilants", tempère Ludovic Creusé, de la CFE-CGC. "Le comité de suivi reste attentif. L’objectif n’a pas changé : il faut sauver un maximum d’emplois." La négociation ne fait d’ailleurs que commencer. "Si Nicolas Decayeux est désigné repreneur, ce qu’on espère, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il y a beaucoup de question à aborder, à commencer par le temps de travail et les salaires", ajoute François Gorlia.
" Nous couvrirons en partie les besoins de formation et d'investissement "
La formation, enjeu majeur. L’une des principales interrogations des syndicats concerne la reconversion professionnelle. "Fabriquer des boîtes aux lettres électroniques et des sèche-linges, ce n’est pas le même métier. Il y a toujours de l’assemblage mais aussi beaucoup de tâches qu’on ne connaît pas", anticipe François Gorlia, de la CGT. "Ce n’est pas si différent. Pour fabriquer des sèche-linges, on travaille déjà la tôle, on forme l’acier. Ce n’est pas tellement éloigné de la fabrication de boîte aux lettres", nuance Ludovic Creusé. "Mais on n’en est pas encore à évoquer la formation et la reconversion. On aimerait bien mais ce n’est pas encore le cas".
En attendant, Xavier Bertrand a déjà engagé la responsabilité de la région en affirmant qu’elle financerait "en partie les besoins de formation et d’investissement" et soutiendrait "les formations utiles à la reconversion professionnelle" des salariés. D’ores et déjà, les salariés ont obtenu, suite à la grève du mois de mai, l’ouverture d’un Point information conseil (PIC) destiné à les accompagner dans l'après-Whirlpool et répondre, entre autres, aux questions sur une éventuelle reconversion professionnelle.
Les salariés attendent un calendrier. L’autre préoccupation pour eux est d’obtenir rapidement un calendrier précis de la réindustrialisation. "Tant que Decayeux ne viendra pas nous voir en disant : ‘J’ai obtenu 100% de ce dont j’ai besoin pour reprendre le site’, on restera dans le flou", explique François Gorlia. Le comité de suivi doit se réunir rapidement, probablement la semaine prochaine et un comité central d’entreprise de Whirlpool aura lieu le 27 juin. L’occasion pour les salariés d’obtenir des clarifications sur le repreneur et le calendrier. "On s’en fout un peu de savoir comment se porte Whirlpool. Maintenant, tout ce qui compte c’est notre avenir", résume Ludovic Creusé.