Petit à petit, la future réforme du travail continue de se dessiner. Le projet de loi d'habilitation autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances, transmis au Conseil d'État le 14 juin comporte neuf articles, selon Le Monde, qui a dévoilé une version du document. Au programme, des thématiques déjà évoquées et quelques surprises (voir encadré). Parmi elles, le recours élargi au CDI de projet, un contrat principalement utilisé dans le bâtiment.
Une demande du Medef. Selon le quotidien du soir, la réforme prévoit de favoriser et de sécuriser "par accord de branche, ou à défaut, à titre expérimental" le recours aux CDI conclus "pour la durée d'un chantier". Il ne s’agit pas d’une idée neuve. Le "contrat de projet" n’est pas un type de contrat réel, il recouvre une réalité floue. Mais c’est une arlésienne du Medef, apparue pour la première fois en 2004. Depuis, l’organisation patronale milite à chaque réforme pour imposer cette forme de contrat dans le droit. Concrètement, ce contrat hybride permet de recruter une personne le temps de mener à bien un projet. La durée du contrat de travail n’est pas fixée précisément au départ, elle dépend de l’achèvement de la tâche. Le contrat prend automatiquement fin quand le projet est achevé et n’est logiquement pas renouvelable.
Étendre le contrat de chantier. La forme principale du contrat de projet est le "contrat de chantier". C'est un CDI, utilisé essentiellement dans le bâtiment, qui permet d’employer un ouvrier le temps d’achever une construction. Sa flexibilité est un avantage pour l’employeur puisqu’elle lui permet d’ajuster son besoin de personnel aux contretemps et aux aléas du projet. La fin du chantier constitue un motif valable de licenciement, clause qui sécurise l’employeur puisqu’il n’est pas tenu de justifier l’arrêt de la collaboration et qu’il ne risque rien aux prud’hommes. En revanche, il est tenu, avant de s’en séparer, de chercher une possibilité de réemploi sur un autre chantier pour l’employé. Étant donné que c’est un CDD, il ne donne pas droit au versement d’une prime de précarité de 10%.
Mardi, le Premier ministre Édouard Philippe avait estimé, sur RMC, que l'extension à d'autres branches du contrat de chantier était "une bonne discussion à avoir" avec les partenaires sociaux dans le cadre de la réforme du droit du travail. Ce "pour une raison simple : cela maintient le CDI comme la norme. Je prends un exemple : quand vous refaites une architecture informatique. C’est un projet qui peut durer six mois ou trois ans et demi, ou cinq ans. On peut imaginer que cela fasse l’objet de ce type de contrat de projet". Au vu de la réalité du contrat de chantier, l’affirmation du Premier ministre paraît un peu optimiste. Certes, il s’agit bien d’un CDI, avec les avantages que cela implique pour le salarié. Mais cela reste un contrat temporaire, une sorte de CDD amélioré, exception faite d’un des avantages du CDD, à savoir la prime de précarité.
Le numérique intéressé. Le secteur de l’informatique et du numérique, qui repose énormément sur les projets, est particulièrement intéressé par le CDI de projet. En février, le président de la branche numérique de Syntec (fédération de syndicats de l'ingénierie, du numérique, des études et du conseil) avait appelé à tenter des expérimentations : "Notre secteur embauche 45.000 cadres par an et ne souffre pas d’un chômage important. Expérimenter un contrat de travail plus flexible dans notre secteur, ce n’est donc pas prendre un gros risque", assurait Godefroy de Bentzmann. De même, les entreprises de conseil et de consulting pourraient être intéressées, leur modèle reposant en grande partie sur les missions.
Il y a aussi le CDD à objet défini. Il existe par ailleurs une autre forme de contrat hybride : le CDD à objet défini, ou "contrat de mission", instauré par la loi de 2008 portant modernisation du marché du travail. Il s’agit cette fois d’un véritable CDD, conclu pour une durée minimale de 18 mois et maximale de 36 mois (contre un maximum de 18 mois pour un CDD classique). Ce contrat particulier est réservé pour sa part au recrutement d’ingénieurs et de cadres, dans les branches qui ont signé une convention collective autorisant ce type de recrutement. Le CDD à objet défini ne peut pas être rompu avant son terme et donne droit au versement d’une indemnité de précarité une fois la mission achevée. A priori, ce n’est pas dans cette direction que le gouvernement souhaite axer sa réflexion.
La CGT s’insurge. L’irruption de l’extension du CDI de projet dans la réforme du Code du travail pourrait bien fâcher certains syndicats. La CGT a d’ores et déjà fait part de son objection par le biais d’un communiqué. "Avec le projet de loi travail XXL, c'est la fin du CDI pour toutes et tous. Les branches professionnelles pourraient ainsi décider du nombre de renouvellement des contrats précaires ou bien de l'instauration de contrats de mission, de projet ou de chantier, pour l'ensemble des salariés d'un secteur d'activité", dénonce le syndicat, qui appelle "à amplifier les initiatives et les mobilisations interprofessionnelles pour faire barrage au projet Macron".
Que contient le projet de loi d’habilitation ?
Le projet de loi d’habilitation comprend, sans surprise, les thèmes déjà évoqués publiquement jusqu’ici : barémisation des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif, simplification du compte pénibilité, élargissement du champ des accords d'entreprise, fusion des instances représentatives du personnel et enfin consultation des salariés et implantation syndicale. Une ordonnance doit également permettre au gouvernement "de décaler d'un an, au 1er janvier 2019", l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.
Quelques nouveautés. Au rang des surprises, outre le recours élargi au CDI de projet, le texte veut notamment "modifier le périmètre qui est retenu pour apprécier les difficultés d'un groupe international qui licencie dans une de ses filiales en France". Aujourd'hui, la situation mondiale du groupe est prise en compte. A l'avenir, le focus pourrait être mis sur la France ou l'Europe. Cette redéfinition du licenciement économique était une mesure envisagée puis retirée de l'avant-projet de loi travail en 2016 face aux vives critiques des syndicats qui agitaient un risque de dumping social. Dernière nouveauté : la réduction du délai de recours contentieux en cas de rupture de contrat.
Des consultations sont actuellement en cours sur les ordonnances entre le ministère du Travail et les organisations syndicales et patronales. Selon la CPME et la CFE-CGC, le ministère devrait communiquer sur un premier bloc d'ordonnances vendredi. Le projet d'habilitation sera examiné en conseil des ministres le 28 juin.