"Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n'est plus un problème financier". Voilà ce qu’écrivait Emmanuel Macron dans son programme de campagne. Sans doute a-t-il été un peu trop vite en besogne. Dans son rapport annuel présenté mardi, le Conseil d’orientation des retraites (COR, un service rattaché à Matignon) estime que le système de retraites, tous régimes confondus, ne devrait finalement pas retrouver l'équilibre financier avant le début des années 2040 au mieux. Une prévision pessimiste qui pourrait remettre en cause la réforme prévue par le gouvernement pour fin 2018.
Pas de croissance, pas d’équilibre. Selon le rapport du COR, le "solde financier du système de retraite" (régimes de base et complémentaires, Fonds de solidarité vieillesse inclus) devrait s'établir à -0,4% du PIB à l'horizon 2021. Une mauvaise surprise comparée aux prévisions publiées en 2016 qui tablaient sur un déficit deux fois moindre (-0,2% du PIB) à l'horizon 2020. Quant au retour à l’équilibre, initialement envisagé pour le milieu des années 2020, il pourrait finalement n’intervenir qu’au début des années 2040 (voir encadré plus bas). Principale explication : la révision à la baisse des hypothèses de croissance du PIB (1,7% en 2020 contre 1,9% prévu jusqu’ici). "C’est une hypothèse raisonnable. Nous étions à 1,1% en 2016 et la croissance potentielle de la France est estimée à 2% au maximum", souligne Christopher Dembik, chef économiste de la Saxo Banque.
Démographie défavorable. Plusieurs autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la récente révision des prévisions démographiques de l'Insee – avec l'abaissement du solde migratoire annuel (donc moins de cotisants) et l'allongement de l'espérance de vie des hommes (donc des pensions à verser plus longtemps) ; ou une croissance de la masse salariale des fonctionnaires (où le taux de cotisation finançant les retraites est plus élevé) moindre que la masse salariale totale, qui a un effet minorant sur les ressources du système.
Que prévoit Macron ? Pour le gouvernement, qui projette une réforme du système de retraites pour le courant de l’année 2018, l'équation se complique. Il n'existe que trois leviers pour assurer la pérennité des systèmes de retraites : l'âge de départ, le niveau des pensions et les cotisations. Or, Emmanuel Macron promet d'unifier tous les régimes de retraite sans toucher à l'âge légal de départ ou aux modalités des pensions.
Le système par répartition sera maintenu (les actifs cotisent pour les retraités) et il sera toujours possible de partir à la retraite à 62 ans, mais pour chaque Français "un euro cotisé ouvrira les mêmes droits, quels que soient son secteur, sa catégorie ou son statut". Cela implique un nouveau mode de calcul avec un coefficient prenant en compte l’âge de départ (plus on part tard, plus la pension est élevée), de l’espérance de vie de sa génération et le taux de croissance.
" Il n’y a pas de bonnes solutions, à moins de prendre des décisions impopulaires. "
Une simplification mais pas d’économies. "La réforme a pour but de simplifier le système, de l’automatiser, mais elle n’est pas prévue pour réaliser des économies", explique Simon Rabaté, enseignant à la Paris School of Economics. "En réalité, le nouveau système envisagé par Macron s’équilibrerait tout seul grâce au coefficient : si le taux de croissance baisse, le niveau des pensions baisse aussi." Mais le président avait façonné cette réforme en partant de l’hypothèse d’un système à l’équilibre, ce qui ne sera probablement pas le cas dans un avenir proche.
Emmanuel Macron a donc deux possibilités : faire fi du rapport du COR et lancer sa réforme des retraites telle qu’il l’a envisagée ou prendre en compte ses prévisions et ajuster son projet. "Le déficit des régimes de retraites n’est pas un danger dans l’immédiat et rien ne contraint le gouvernement à revoir sa réforme", relativise Christopher Dembik. "Dans le fond, il n’a pas d’autre choix que d’accepter le système tel qu’il est actuellement, avec un déficit chronique. La démographie ne joue pas en notre faveur et cela ne va pas en s’arrangeant. Il n’y a pas de bonnes solutions, à moins de prendre des décisions impopulaires."
Risque de manifestations. C’est une option sur la table du président : augmenter les cotisations ou réduire le montant des pensions afin de résorber une partie du déficit, en espérant que la croissance remonte durablement. Inutile de dire qu’une telle mesure, ajoutée à une réforme des retraites qui demandera déjà beaucoup de pédagogie, susciterait forcément la colère des actifs et des retraités. D'autant plus que l'augmentation d'1,7 point du taux normal de la CSG (contribution sociale généralisée) ne fait rien pour rassurer des retraités échaudés par le gel de leurs pensions. Rogner ainsi le pouvoir d’achat d’une partie de la population déjà en difficulté reviendrait à faire descendre la France dans la rue.
Le gouvernement compte entamer les réflexions sur la réforme des retraites début 2018, ce qui lui laisse encore quelques mois pour envisager les différentes options. A moins que la pression s’accentue dès cet été. En effet, une autre instance, le comité de suivi des retraites, aura le choix de formuler ou non des recommandations à l'adresse du gouvernement, dans un avis à paraître avant le 15 juillet. Ce qu'il s'est gardé de faire depuis sa création en 2014 mais l’organisme conserve néanmoins l’oreille (très) attentive de Matignon.
Comment le COR a revu ses prévisions
Jusqu'alors envisageable pour le milieu des années 2020, le retour à l'équilibre financier du système de retraites n'interviendrait qu'au début des années 2040, en supposant une croissance des revenus d'activité d'1,8% et un taux de chômage à 7%. Il serait repoussé au début des années 2050 en cas de croissance à 1,5%, taux en dessous duquel le système resterait "durablement en besoin de financement", note le rapport.
Pour évaluer ces besoins jusqu'à l'horizon 2070, le COR s'appuie sur quatre scénarios de croissance des revenus d'activité (1%, 1,3%, 1,5%, 1,8%) couplés à un taux de chômage de 7% à partir de 2032. La situation s'aggraverait même dans le scénario le plus optimiste, avec un déficit de 0,7 % du PIB entre 2026 et 2030 en cas de croissance à 1,8%. A moyen terme, le "solde financier du système resterait négatif" dans tous les cas "sous l'effet principalement de la baisse des ressources en pourcentage du PIB". En revanche, à plus long terme, on observe une baisse des dépenses, dans trois scénarios.