Réforme du Code du travail : le gouvernement a-t-il un pouvoir illimité avec les ordonnances ?

La ministre du Travail Muriel Pénicaud et le Premier ministre Édouard Philippe.
La ministre du Travail Muriel Pénicaud et le Premier ministre Édouard Philippe. © ALAIN JOCARD / AFP
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Thibaud Le Meneec
La réforme du Code du travail va faire un premier passage devant le Conseil des ministres mercredi, avec l'examen du projet de loi d'habilitation à prendre des ordonnances.

C'est un sujet dont vous allez entendre parler tout l'été. L’exécutif veut réformer rapidement le Code du travail par ordonnances, avec une entrée en vigueur de l’ensemble des mesures défendues par le gouvernement à partir de fin septembre. Dépeintes comme un dispositif proche du 49-3, un court-circuitage du Parlement voire un "coup d’État social", les ordonnances suscitent de nombreuses inquiétudes chez les opposants à Emmanuel Macron... Europe1.fr fait le point sur toutes les questions qui se posent autour de cette particularité législative, dont le projet de loi d’habilitation est au menu du Conseil des ministres, mercredi.

  • Les ordonnances, c’est quoi ?

C’est une procédure législative particulière pour faire adopter plus rapidement des mesures que défend un gouvernement. Elle est prévue par l’article 38 de la Constitution, qui dispose que "le gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi". Première étape mercredi, en Conseil des ministres : le gouvernement Philippe va examiner le projet de loi d’habilitation à prendre des ordonnances, qui est obligatoire et qui fixe le domaine et le délai dans lesquels le gouvernement peut les prendre.

Un contrôle partiel du Conseil constitutionnel intervient dans la procédure, qui impose au gouvernement l'obligation "d'indiquer avec précision au Parlement la finalité et le domaine d’intervention des mesures" qu'il veut prendre. Si le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur le contenu des ordonnances, il veille néanmoins à ce qu’elles ne soient pas "contraires aux règles et principes de valeur constitutionnelle". Ce projet de loi d’habilitation sera par la suite adopté ou non par le Parlement, entre le 24 et le 28 juillet. Un court laps de temps pendant lequel les parlementaires pourront déposer des amendements. Avec une majorité absolue de 308 députés, La République en marche! ne devrait pas toutefois rencontrer de problème pour que cette loi d’habilitation soit votée.

  • Y en a-t-il eu beaucoup par le passé ?

Oui, et pas qu'un peu : d’après un récent calcul du JDD.fr, il y a eu 518 ordonnances publiées par les gouvernements successifs entre 1984 et 2013. Parmi elles, 405 ont été ratifiées, soit un ratio de 78%. Dans la plupart des cas où les ordonnances n’ont pas été ratifiées, il s’agissait d’une cohabitation et donc de désaccords entre le chef de l’État et son Premier ministre.

  • En connaît-on le contenu ?

Non, pas pour l’instant. C’est d’ailleurs un point sur lequel droite et gauche fustigent le gouvernement : les 577 députés qui font leur rentrée mardi vont autoriser l’exécutif à prendre des ordonnances sans connaître le texte définitif préparé par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Laquelle se borne à affirmer la nécessité de négocier davantage dans l’entreprise et moins au niveau de la branche, comme elle l’a affirmé dimanche au JDD. Mais en dehors du souhait de flexibiliser le marché du travail, rien de précis n’a encore filtré du projet de loi.

  • Quelle est la date de l’adoption des ordonnances ?

Le gouvernement Philippe adoptera les ordonnances sur la réforme du code du travail le 20 septembre, en Conseil des ministres. Auparavant, le Conseil d’État aura obligatoirement délivré un avis consultatif sur les ordonnances.

  • Le Parlement peut-il s’y opposer une fois qu’elles sont adoptées ?

Sur le principe, oui. "Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation", dispose la Constitution. En clair, les parlementaires se prononceront sur le texte et pourraient tout à fait décider de ne pas le ratifier. Ce qui accorderait à l’ordonnance une valeur réglementaire, inférieure à la loi. Mais là encore, une majorité de 308 députés complique les choses pour l’opposition.

  • Dans le passé, les ordonnances ont-elles été remises en cause ?

Oui, à de nombreuses reprises. C’est notamment le cas quand Jacques Chirac s’est servi des ordonnances lorsqu’il était Premier ministre de 1986 à 1988… pour défaire les ordonnances prises  à partir de 1981 par l’un de ses prédécesseurs à Matignon, Pierre Mauroy. Et le président de la République peut refuser de signer les ordonnances, ce qui les rend caduques. C’est ce qu’a fait le socialiste François Mitterrand entre 1986 et 1988, pour bloquer son Premier ministre de droite, Jacques Chirac.