Plus que centenaire, elle semble aujourd'hui prête à vaciller. La Confédération générale du travail (CGT) s'apprête à tenir son 51e Congrès dans une ambiance morose. Le syndicat est en effet confronté à une affaire Lepaon qui s'éternise, des adhésions en chute libre et un isolement toujours plus important. Pour le millier de délégués cégétistes attendus à Marseille à partir de lundi, ce ne sera donc pas une mince affaire. Il leur faudra procéder, outre au renouvellement de leur direction, à un véritable examen de conscience pour redonner du souffle et de la crédibilité à la centrale.
Perte de vitesse. Premier objectif : endiguer l'hémorragie des adhésions. La CGT comptait un peu plus de 676.000 adhérents fin 2014. Soit une baisse de 2% par rapport à l'année précédente et un retard de près de 200.000 personnes par rapport à sa grande concurrente dans le paysage syndical, la CFDT. Si la centrale peut se targuer d'avoir conservé la première place aux dernières élections professionnelles nationales, il y a trois ans, elle y était parvenue sur le fil, avec 26,77% des voix, contre 26% pour la CFDT. Et, depuis, de nombreux scrutins ont acté sa perte de vitesse. "La CGT est en phase de recul dans ses bastions traditionnels, comme à la SNCF ou dans la fonction publique", rappelle à Europe1.fr Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme. Pour les prochaines élections professionnelles, la possibilité de voir la CFDT passer devant est donc dans tous les esprits, à commencer par celui de l'actuel secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. "Oui, on a une crainte de ne plus être la première organisation syndicale", a-t-il prévenu mercredi, lors d'une réunion devant l'Association des journalistes de l'information sociale.
" La CGT est en phase de recul dans ses bastions traditionnels, comme à la SNCF ou dans la fonction publique. "
Proposition contre contestation. Qu'est-il donc arrivé à l'emblématique centrale, née en 1895 et restée le seul syndicat français jusqu'en 1919 ? La tourmente dans laquelle elle a été plongée après l'affaire Lepaon, qui se poursuit encore aujourd'hui avec le difficile recasage de l'ancien secrétaire général poussé à la démission en janvier 2015, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Le syndicat souffre de difficultés plus profondes, parmi lesquelles le fait d'être tiraillé entre le goût du rapport de force et la nécessité du compromis. Comme le résume Stéphane Sirot, "la CGT balance entre ses fondamentaux, que sont le conflit et la revendication, et une frange qui se reconnaît plutôt dans la proposition que dans la contestation. C'est son problème numéro 1."
Déficit de légitimité. Arrivé après le départ de Thierry Lepaon, l'actuel secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez, est donc perpétuellement contraint de trouver une forme de consensus. Et ce d'autant plus que, n'ayant été adoubé que par des responsables, et non des militants, l'homme à la moustache emblématique souffre encore d'un déficit de légitimité. Résultat : "il n'y a pas de ligne très nette et les militants comme les cadres ne savent pas où va la CGT", pointe Stéphane Sirot. Le syndicat se trouve en outre souvent isolé dans ses luttes, ne comptant guère plus que la FSU dans son sillage, tandis que les alliances avec Force Ouvrière restent ponctuelles.
A cela s'ajoute l'éclatement d'un syndicat fédéraliste par essence. Un problème que Philippe Martinez a reconnu mercredi. "Même moi, j'ai du mal à savoir combien on a de fédérations. C'est 33 ou 34, mais c'est trop."
"Même moi j'ai du mal à savoir combien on a de fédérations à la #CGT... C'est 33 ou 34 mais c'est trop" P #Martinez au Gd RDV @AssoAJIS
— Nicolas Ballot (@nico2312) 13 avril 2016
Crise générale du syndicalisme. Enfin, la CGT est confrontée, comme les autres organisations syndicales, à un désintérêt général des travailleurs. En France, entre 7 et 8% de la population active est syndiquée, un taux largement inférieur à celui de l'Allemagne (18%), l'Italie (36%) ou encore la Norvège (53%). Dans ce contexte, il devient parfois difficile pour les syndicats de démarrer un grand mouvement social. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit avec la contestation de la loi Travail, qui s'est d'abord organisée sur Internet et les réseaux sociaux. Et elle est désormais incarnée autant par les organismes syndicaux qui défilent derrière leurs banderoles à intervalles réguliers que par le mouvement "Nuit debout".
Reconduction de Martinez. Ce 51e Congrès permettra-t-il à la CGT de se remettre sur les rails pour retrouver l'influence d'autrefois ? Pour Philippe Martinez, la grand-messe ne peut être que bénéfique. Le secrétaire général devrait en toute logique être reconduit, fort d'une nouvelle légitimité. Pour le reste en revanche, rien n'est gagné. Les documents d'orientation du Congrès restent vagues, se contentant de souligner que se pose la question de "l'efficacité du syndicalisme, de la CGT", et le déroulé du grand rendez-vous restait, quelques jours seulement avant l'échéance, plongé dans le flou le plus total.
Vers un durcissement ? La centrale ne pourra couper à une clarification de sa ligne et de ses choix. Avec Philippe Martinez à sa tête, l'option d'un durcissement semble se profiler. Depuis son arrivée, l'ancien dirigeant de la puissante fédération de la métallurgie tient un discours tranché, prônant le retour à la semaine des 32 heures, boycottant les conférences sociales et refusant systématiquement, comme Thierry Lepaon avant lui, de signer les accords intersyndicaux. Mais pour Stéphane Sirot, ce discours n'est pas forcément représentatif. "C'est ce qui émerge au niveau national, ce qui est le plus visible", explique l'historien. "Au niveau local, la CGT signe 85% des accords avec les entreprises." A titre de comparaison, la CFDT, qui se dit plus réformiste, affiche un taux d'émargement de 95%.
" La CGT reste sûrement le syndicat qui campe le plus sur les formes de mobilisation les plus traditionnelles. "
Se poser la question de la modernisation. Il faudra également que la CGT s'intéresse de près à la crise du syndicalisme et au manque de modernité de son action. "Les syndicats font, de manière générale, trop peu d'investigation sur leur rapport aux réseaux sociaux et aux nouvelles technologies", estime Stéphane Sirot, qui pointe le décalage entre de grosses machines efficaces pour créer des actions collectives et des travailleurs désireux d'exprimer des aspirations individuelles. Ce qui est vrai de toutes les organisations de salariés l'est plus encore de la plus vieille d'entre elles. "La CGT reste sûrement le syndicat qui campe le plus sur les formes de mobilisation les plus traditionnelles."