Le chef de l’Etat veut réindexer sur l’inflation les pensions inférieures à 2.000 euros. Une mesure coûteuse et qui pourrait rencontrer des blocages.
Il devait l’annoncer lundi soir, mais son allocution a été reportée à cause de l’incendie de Notre-Dame : Emmanuel Macron veut réindexer sur l’inflation les pensions de retraite inférieures à 2.000 euros à partir de janvier 2020. Cette décision fait partie d’une liste d’autres mesures, concernant la fiscalité, l’école, l’hôpital ou la démocratie, mentionnées dans un document que plusieurs médias se sont procurés. Censée répondre à la crise des "gilets jaunes" et à la colère des retraités, cette réindexation des retraites risque toutefois de rencontrer un certain nombre d’obstacles sur sa route.
Réindexer les pensions : de quoi parle-t-on ?
La désindexation des retraites avait été annoncée fin août par Edouard Philippe, afin de réaliser des économies budgétaires. Concrètement, cela signifie que les pensions sont actuellement décorrélées de l’inflation (l’augmentation moyenne des prix des produits et des services consommés en France). C’est au gouvernement et aux députés de fixer la hausse ou non du montant des retraites, dans le cadre du projet de loi de la Sécurité sociale, le budget de la "Sécu". À titre d’exemple, au 1er janvier 2019, les pensions n’ont augmenté que de 0,3%, alors que l’inflation était de 1,5%.
Emmanuel Macron veut donc changer cela. Il propose d’indexer à nouveau les pensions sur l’inflation, mais seulement pour les retraités modestes, qui gagnent moins de 2.000 euros par mois. Reste à savoir ce que cela signifie.
Qui pourrait être concerné ?
C’est là l’une des principales équations que le gouvernement va devoir résoudre : quels revenus faut-il prendre en compte ? La pension perçue ? Les revenus du patrimoine ? Faut-il prendre en compte uniquement l’individu ou le couple ? À travers toutes ces questions, le gouvernement devra trouver l’équilibre entre nécessité de faire des économies et volonté de ne pas faire exploser de nouveau la colère des retraités, qui représentent plus du tiers des électeurs français.
Si les personnes bénéficiant d’un patrimoine sont exclues de la mesure, par exemple, cela risque d’attiser à nouveau les mécontentements. La mesure risque de "créer une stigmatisation à l'intérieur de la catégorie des retraités" a d’ores et déjà alerté Christian Bourreau, vice-président de l'Union française des retraités, sur franceinfo.
"La retraite est un droit et si on propose des règles de revalorisation différentes pour les plus hauts revenus, cela pourrait jouer sur leur sentiment d’acceptation du prélèvement. Or, c’est sur ce principe même que repose notre système par répartition", prévient également Philippe Pihet de Force ouvrière (FO), cité par Capital.
Combien cela pourrait-il coûter ?
Si les revenus du patrimoine ne sont pas pris en compte, la mesure concernerait alors 70% des retraités. Dans cette version la plus large, la réindexation des pensions de moins de 2.000 euros pourrait coûter 1,4 milliard d’euros par an. Et pour l’heure, le flou le plus total entoure la question du financement. Le chef de l’Etat promet notamment une réflexion sur certaines niches fiscales, à commencer par les avantages fiscaux accordés aux propriétaires et aux bailleurs qui investissent dans des logements locatifs (2,8 milliards d’euros au total).
Emmanuel Macron devrait également demander aux Français de travailler davantage, selon le document de son allocation qui a fuité dans les médias. Aucun détail n’a toutefois été donné, et tout reste possible : réduction des jours fériés, révision de la durée de travail hebdomadaire, report de l’âge de départ à la retraite etc. Plus de travail signifie plus de cotisations sociales, et donc plus d’argent rentré dans les caisses de l’Etat.
Un risque constitutionnel et d’effet de seuil ?
La réindexation des retraites pourrait aussi poser un problème d’égalité. "Elle pourrait être jugée comme discriminatoire par le Conseil constitutionnel qui pourrait la retoquer", alerte ainsi le site du magazine Capital, qui souligne également un autre risque : l’effet de seuil. Concrètement, cette mesure pourrait inciter des travailleurs à partir plus tôt à la retraite, pour ne pas franchir la limite du seuil des 2.000 euros mensuels. Seuil qui échapperait à la réindexation sur l’inflation… mais aussi à une CSG abaissée : les pensions au-dessus de 2.000 euros sont en effet taxées à 8,3%, contre 6,6% en-dessous de ce seuil.
"Prenons l’exemple d’un actif à quelques mois de la retraite qui reçoit sa simulation de pension. Si le seuil de l’indexation sur l’inflation est fixé à 2.000 euros de pension de base par mois et que dans la simulation, le montant s’élève à 1.950 euros s’il part immédiatement et à 2.050 euros s’il part un an plus tard, économiquement, il pourrait être plus intéressant de ne pas travailler une année de plus et de bénéficier d’une pension mieux revalorisée par la suite", détaille Capital. Une telle situation irait totalement à l’encontre de la philosophie du président de la République qui souhaite, justement, faire travailler les Français plus ou/et plus longtemps pour compenser sa mesure.