C’est le jour J pour les salariés d’Areva, qui connaissent enfin l’ampleur du plan de restructuration qui attend le géant français du nucléaire. Un colosse désormais aux pieds d’argile qui a enregistré des pertes de 4,83 milliards d’euros en 2014 et est contraint de réduire la voilure. Ce régime drastique va se traduire par la vente de certains actifs, l’appel à de nouveaux investisseurs, mais aussi par des suppressions de postes. La direction des ressources humaines du groupe a en effet annoncé jeudi la suppression de 5.000 à 6.000 suppressions de postes, dont 3.000 à 4.000 en France. Pour limiter la casse, la direction a également annoncé qu'elle visait une réduction de ses frais de personnel de l'ordre de 15%.
Un rendez-vous autant attendu que redouté. Après le constat – l’entreprise est proche de la faillite -, place au traitement. La direction d’Areva rencontre jeudi les syndicats pour évoquer "l'application du plan de compétitivité" annoncé par l’entreprise début mars. Car Areva doit actionner de nombreux levier pour s’en sortir : des cessions d’actifs (des mines, voire certains métiers, pourraient être vendus), une ouverture du capital (l’intérêt d’investisseurs chinois a été évoqué) et des gains de productivité sont attendus. Mais la direction a prévenu : il y aura aussi un volet social.
C’est justement l’objet de la réunion organisée jeudi avec les syndicats. L’entreprise va entamer les discussions mais a déjà révélé ses pistes : gel des salaires, gain de productivité, ainsi que – et c’est ce qui inquiète le plus les syndicats – des suppressions de postes.
10% des effectifs vont être supprimés. Areva, qui n’a jamais connu de réduction d’effectifs de son histoire, va en effet supprimer des postes, même si la direction souhaite éviter les départs contraints. Et la coupe s’annonce drastique : la direction a annoncé entre 3.000 et 4.000 suppressions de postes en France, soit plus de 10% des effectifs dans l'Hexagone (28.000 employés).
"On craint que les mesures d’économies annoncées par Areva conduisent finalement à fragiliser encore un peu plus le groupe, notamment au niveau des compétences. Ce qui est assez irréaliste, c’est que des mesures sociales soient annoncées sans qu’on sache le moins du monde ce qu’il va advenir du groupe au niveau stratégique et au niveau organisation", avait prévenu dès mercredi Bruno Blanchon, délégué CGT, au micro d’Europe 1.
Les frais de personnel réduit de 15%. Pour limiter le nombre de postes supprimés, qui seront soit des départs volontaires soit des départs anticipés à la retraite, Areva a décidé de multiplier les coups de rabot et d'agir aussi sur ses frais de personnel. Ces derniers devront être réduits de 15%, ce qui va se traduire par un gel des salaires, une renégociation du temps de travail, la fin des bonus pour les cadres. La direction a prévenu : le nombre de postes supprimés dépendra aussi des efforts consentis par les salariés. Pour le symbole, le président, Philippe Varin, et le directeur général, Philippe Knoche, ont également annoncé renoncer à leurs jetons de présence lors des conseils d'administration.
Comment le champion français du nucléaire en est-il arrivé là ? Il y a d’abord le contexte post-Fukushima, pas vraiment favorable au secteur nucléaire : depuis 2011, de nombreux pays ont mis entre parenthèses leurs projets de construction de centrales, quand ils n’y ont pas purement et simplement renoncé. Déjà fragilisée par un carnet de commande devenu très mince, Areva a d’autant plus de mal à conquérir de nouveaux marchés que les différents acteurs de la filière nucléaire française se tirent dans les pattes : l’exemple le plus criant reste le contrat raté avec Abu Dabi en 2009, faute de coordination entre Areva et Edf. Pire, l’électricien français, sous l'impulsion de son PDG Henri Proglio, réussit dans la foulée à convaincre l’Elysée d’être érigé en chef de file du secteur, au détriment d’Areva.
Dernier handicap, et pas des moindres : les ratés de l’EPR, la nouvelle génération de centrales nucléaires sur laquelle la France a beaucoup misé. Avant Fukushima, Areva prévoyait d'en vendre une cinquantaine, mais seul quatre EPR sont actuellement en chantier. Car si cette technologie est convaincante sur le papier, sa réalisation ressemble à un chemin de croix : les deux premiers chantiers, à Flamanville et en Finlande, sont un fiasco financier, en raison d’une explosion des coûts (multipliés par deux et demi) et de retards qui s’accumulent. Un surcoût que l’entreprise doit assumer, en plus d’un autre handicap : Areva a acheté des mines d’uranium au moment où son cours était au plus haut, avant de chuter. L’acquisition de la société UraMin, décidée sous Anne Lauvergeon, a par exemple fait perdre 1,9 milliard d’euros à Areva.
Et comme si cela ne suffisait pas, l’entreprise a été un peu plus affaiblie par le départ précipité de son PDG. Luc Oursel, nommé mi 2011, s’est mis en retrait de la direction en octobre 2014 pour combattre un cancer. La maladie l’a emporté deux mois plus tard. Il a depuis été remplacé par Philippe Knoche.