Entre l’industrie automobile allemande et les autorités, il y a de l’eau dans le gaz… d’échappement. Les constructeurs automobiles Volkswagen, BMW et Daimler ainsi que l’équipementier Bosch sont sous le feu des critiques pour avoir participé de près ou de loin à la réalisation de tests d'émissions de gaz diesel sur des singes mais aussi des humains. "Scandale" pour le gouvernement d’Angela Merkel, "tempête dans un verre d’eau" pour des scientifiques spécialisés : après le "Dieselgate", cette nouvelle affaire illustre la capacité des constructeurs à flirter avec la ligne rouge pour continuer à faire tourner les moteurs diesel.
Tests sur des singes… Marche arrière. Le 25 janvier, le New York Times révèle que le Groupe européen de recherche sur l’environnement et la santé dans le secteur du transport (EUGT), un organisme financé par Volkswagen, Daimler, BMW et Bosch, a réalisé en 2015 aux États-Unis des tests sur des singes. Les animaux étaient enfermés dans des cages de verre face à des dessins animés pendant qu'on leur faisait respirer, quatre heures durant, la fumée émise par une Beetle à moteur diesel, modèle phare de Volkswagen et un pick-up Ford plus ancien. Le but était "de prouver que les véhicules diesel de technologie récente sont plus propres que les vieux modèles", a affirmé le quotidien, argument clé des constructeurs pour percer le marché américain.
… et des humains. Mais alors que Volkswagen avait réagi dès samedi, prenant "ses distances avec toute forme de maltraitance d'animaux", les journaux Stuttgarter Zeitung et Süddeutsche Zeitung évoquaient lundi d'autres tests, cette fois en Allemagne et sur des êtres humains. Un institut hospitalier d'Aix-la-Chapelle, mandaté par l'EUGT, a fait inhaler en 2013 et 2014 du dioxyde d'azote (NO2) à 25 volontaires en bonne santé, à des concentrations variées, détaillent les deux journaux. L'objectif était cette fois de mesurer l'effet de l'exposition au NO2 sur le lieu de travail, "par exemple pour les conducteurs de poids-lourds, les mécaniciens ou les soudeurs", pour recommander une éventuelle baisse des seuils réglementaires, explique l’EUGT.
" Cette étude n'aurait jamais dû avoir lieu "
Immédiatement, les constructeurs incriminés se sont défendus. "Nous prenons nos distances expressément avec l'étude et avec l'EUGT", a réagi lundi un porte-parole de Daimler. "Nous sommes consternés par l'ampleur des études et leur mise en œuvre", a-t-il ajouté. "Avec le recul, cette étude n'aurait jamais dû avoir lieu, qu'il s'agisse d'hommes ou de singes. Ce qui s'est passé n'aurait jamais dû arriver, je le regrette vraiment", a souligné dans les colonnes de Bild Thomas Steg, chargé des relations publiques et institutionnelles de Volkswagen… suspendu dans la foulée pour avoir assumé "la responsabilité totale" de ce nouveau scandale tout en affirmant avoir empêché que ces tests soient réalisés sur des humains.
Pas une nouveauté. Depuis ces révélations, une question se pose : ces tests d’émissions de gaz d’échappement sur des animaux ou des humains sont-ils monnaie courante ? Difficile à dire tant l’industrie automobile reste secrète. Preuve en est avec le scandale du "Dieselgate" : Volkswagen a été capable de dissimuler pendant six ans (de 2009 à 2015) l’existence de ses moteurs truqués. Mardi, des scientifiques néerlandais ont toutefois assuré dans la presse que des tests pour mesurer l'impact de l'exposition aux gaz d'échappement sont effectués "depuis des années déjà" sur des personnes et des animaux aux Pays-Bas, ont révélé mardi dans la presse des scientifiques néerlandais.
Au cours d'une expérience menée en 2006, des volontaires ont ainsi été exposés aux émanations diluées d'un moteur diesel durant deux heures maximum, a indiqué mardi le quotidien de référence NRC. Il s'agit de l'équivalent des émanations respirées chaque jour dans une ville animée ou près d'une autoroute, selon Flemming Cassee, toxicologue auprès de l'Institut national pour la Santé publique et l'Environnement (RIVM) chargé de cette recherche, cité par le journal. Selon lui, l'agitation autour de l'expérience en Allemagne est "une tempête dans un verre d'eau". Rien d’illégal donc puisque le RIVM est chargé de mission par le gouvernement néerlandais et applique la réglementation nationale.
" La confiance en l'industrie automobile est à nouveau écornée "
Et la France dans tout ça. Quid dans ce cas de la France ? PSA et Renault ont-ils pu mener de telles expérimentations ? "C'est une possibilité", estime Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé et environnement à France nature environnement et membre de la commission Royal sur le Dieselgate, interrogée par franceinfo. "Si certains constructeurs automobiles allemands les ont réalisés, est-ce que d'autres constructeurs ont fait les mêmes tests pour ensuite promouvoir leurs moteurs ? Ou est-ce que les constructeurs d'autres nationalités se sont arrêtés à de simples mesures au pot d'échappement ?", s’interroge cette spécialiste, avant de conclure : "Il y aurait un véritable test éthique à faire".
Des tests "immoraux". A voir les réactions qui tombent en cascade, ce qui est certain, c’est que ce genre de pratique n’est plus toléré par la société d’aujourd’hui. "Je suis écœurée (…) les dessous de ce scandale doivent être rapidement mis au jour", a déclaré la ministre allemande de l'Environnement, Barbara Hendricks. "La confiance en l'industrie automobile est à nouveau écornée", a ajouté Christian Schmidt, son collègue des Transports. "Je n'ai aucune compréhension pour tout cela, ces tests devaient uniquement servir à la promotion des constructeurs automobiles, nous ne pouvons et n'allons accepter cela", a dit le ministre.
Même la Commission européenne y est allée de sa déclaration : "Nous sommes choqués par ces nouvelles comme n'importe qui d'autre", a dit le porte-parole de l'exécutif européen, interrogé par la presse. "Nous prenons note du fait que les autorités allemandes visent à enquêter sur ce sujet et nous espérons qu'elles le feront", a-t-il ajouté. La commissaire européenne à l'Industrie Elzbieta Bienkowska a de son côté estimé que ces tests étaient "immoraux et inacceptables pour une entreprise européenne au 21ème siècle".
Vers la fin du diesel ? Au-delà des implications des uns et des autres, ce scandale enfonce un nouveau clou dans le cercueil du diesel. Depuis le début des années 2010, sous l’effet des multiples études d’impact sur la santé, le diesel est devenu une cible pour les autorités. La plupart des pays européens ont pris des mesures pour limiter les ventes de voitures diesel, à commencer par la France. A Paris, Anne Hidalgo veut les interdire complètement en 2024. Pour tout le pays, Nicolas Hulot vise l’échéance 2040. L’image écornée des moteurs diesel, couplée à la volonté des politiques de les voir disparaître à moyen terme, a déjà fait chuter les ventes : l’an dernier, les diesels représentaient 47% des immatriculations de voitures neuves, contre 77% en 2008.