Elizabeth Ier est proclamée reine le 17 novembre 1558, après de nombreuses péripéties. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte le parcours de cette femme de pouvoir qui, il y a six siècles, incarnait l’autorité implacable et le prestige de la couronne d'Angleterre. Son prénom est devenu le symbole de son règne : on l’appelle l’époque élisabéthaine.
En 1567, Marie Stuart est contrainte d'abdiquer. L'année suivante, elle s'évade du château de Lochleven où elle est enfermée et s'enfuit en Angleterre. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment cette encombrante réfugiée a pesé sur le destin d'Elizabeth Ier et de son pays.
Marie Stuart choque l’Ecosse et exaspère Elizabeth
A partir des années 1570, Elizabeth Ier se heurte à une double opposition. La première est celle des calvinistes presbytériens qui refusent la hiérarchie épiscopale et les survivances catholiques dans l’Eglise anglicane. La seconde, celle des catholiques d'Ecosse pour qui l’âme de la révolte et de l’indépendance est la romanesque Marie Stuart.
Il faut rappeler que celle-ci, née en 1542 au château de Linlithgow, à l’ouest d’Edimbourg, n’a pas connu son père, le roi Jacques VI d’Ecosse, mort peu après sa naissance. Immédiatement proclamée reine, Marie Stuart grandit sous la tutelle de sa mère Marie de Lorraine, régente d’Ecosse au nom de sa fille. Très vite, elle vit à la cour de France, car fiancée dès 1548 au dauphin François. Elle l’épouse dix ans plus tard. L’année suivante, après la mort accidentelle, lors d’un tournoi, de son père, le dauphin devient roi sous le nom de François II. A 17 ans, Marie Stuart est reine de France.
Après la mort prématurée de son mari en 1560, elle regagne l’Ecosse. Elle retrouve son royaume très agité par les progrès de la Réforme. Bien que rigoureusement catholique, Marie Stuart ne s’oppose pas aux prédications du sévère réformateur John Knox et se réserve le droit d’assister chaque jour à la messe.
En 1565, elle épouse, selon le rite catholique, son cousin Henri Darnley, un grand jeune homme vaniteux, odieux et stupide ! Rapidement, elle se met à le détester et prend pour amant un musicien italien, Riccio, qui est aussi son secrétaire. Jaloux, Darnley fait exécuter ce rival en 1566. Edimbourg se révolte contre ce forfait et Marie est obligée de se réfugier dans la forteresse pour y accoucher d’un fils, le futur Jacques VI.
C’est alors que le frère bâtard de Marie, le comte de Moray, intelligent mais pervers et qui veut, à tout prix, le trône de sa sœur, conçoit un complot machiavélique. Il charge un aventurier nommé Bothwell de tuer Darnley le 9 février 1567. Puis, il pousse l’inconsciente Marie Stuart à épouser, trois mois plus tard... le meurtrier de son mari !
Une dramaturgie digne de Shakespeare ! C’était évidemment un piège : Marie Stuart est discréditée et déshonorée. Elle est exclue de la dignité royale, l’opinion catholique est révoltée. Les partisans de l’incontrôlable reine d’Ecosse sont très mal vus. La scandaleuse Marie est enfermée au château de Lochleven, sur une île. Les lairds, équivalents écossais des lords, protestants exaspérés par l’inconduite de leur souveraine, lui arrachent son abdication en faveur de son fils. Elle a souillé le trône d’Ecosse. L’honneur ne pouvait être recouvré que par cette renonciation.
Jolie femme, très grande comme tous les membres de la famille de Guise dont elle est issue, Marie Stuart étonne pourtant toujours celles et ceux qui l’approchent. Sa peau est si diaphane que lorsqu’elle boit, On voit, dit-on, le vin couler dans les veines de son cou ! Elle écrit des poèmes, chante d’une belle voix, mais son charme ne peut faire oublier son grand défaut : elle a un tempérament de feu ! Ses écarts amoureux l’empêchent d’écouter des conseils avisés. Si Elizabeth est non mariée, Marie Stuart la frivole ne l’est que trop et très mal ! Elle dégrade sa cause politique en ternissant le catholicisme.
La faute : Marie se réfugie en Angleterre !
A ce feuilleton digne d’Alexandre Dumas, il ne manque qu’un épisode romanesque : une nuit, Marie Stuart s’évade de Lochleven. Elle quitte l’Ecosse pour l'Angleterre, espérant y recevoir la protection de sa cousine Elizabeth. C’est une grave erreur, qui prouve son inconscience politique ! En effet, l’ex reine d’Ecosse a des droits sur la couronne d’Angleterre parce que sa grand-mère était la soeur aînée d’Henri VIII, ce qui fait d’elle la petite-nièce du père d’Elizabeth. Or, cette dernière n’ayant pas d’héritier, Marie Stuart en devient une rivale dangereuse, capable de fomenter des intrigues catholiques dans l’intention d’envahir l’Angleterre.
Elle pourrait peut-être recevoir l’appui de troupes françaises et espagnoles… Elizabeth n’hésite pas : elle fait arrêter son écervelée cousine, qui ne comprend pas pourquoi ! Pendant dix-huit ans, Marie Stuart sera maintenue en semi-captivité, trainée d’un château à l’autre, réclamant sans cesse de pouvoir rencontrer Elizabeth. Contrairement à ce que Schiller imaginera dans sa pièce, la reine d’Angleterre refusera cependant toujours de la recevoir. Ses partisans multiplient alors les tentatives pour la libérer et la placer sur le trône de la "reine vierge", en particulier le duc de Norfolk. La reine d’Angleterre, exaspérée, le fait arrêter. Il est exécuté le 2 juin 1572.
On peut s’interroger sur le comportement paradoxal de Marie Stuart. D’un côté, elle jure à Elizabeth son innocence dans le meurtre de son mari Darnley et de l’autre, elle se compromet avec des partisans maladroits qui cherchent à éliminer la reine d’Angleterre. Ces deux raisons suffisent à cette dernière pour maintenir son impétueuse parente sous étroite surveillance. Et l’horreur des massacres de la Saint-Barthélémy en France, le 24 août 1572, ne peut que conforter Elizabeth dans sa répression, elle aussi impitoyable, des catholiques. Elle montre une intolérance comparable, bien qu’inversée, à celle de Marie Tudor : l’amende, pour absence au culte le dimanche, est portée à 20 livres, une somme très importante pour l’époque. Plus tard, en 1585, des prêtres "papistes" et des jésuites, sans aucun autre motif que leur religion et en l’absence de toute conspiration, seront pendus. Elizabeth 1ère est obligée d’être intraitable.
L’invincible armada sombre : la victoire d’Elizabeth
Comme je vous l’ai raconté dans la première partie de ce récit, la reine repoussera de trois mois l’exécution de sa cousine. Le martyre de Marie Stuart provoque des réactions scandalisées dans les Etats à majorité catholique, ce qui est le cas de la puissante Espagne. Sur ordre de Philippe II, dont Elizabeth n’avait pas voulu pour époux, une flotte de 130 navires et 17 000 hommes quitte Lisbonne le 30 mai 1588. En réalité, derrière ce prétexte de solidarité dynastique et religieuse en mémoire de Marie Stuart, se dissimule la volonté espagnole d’en finir avec les incursions permanentes des corsaires anglais, comme Francis Drake, dans l’empire colonial de Madrid. Depuis vingt ans, les galions de Philippe II sont arraisonnés et attaqués par des boucaniers qui accomplissent les basses œuvres que la reine d’Angleterre ne peut officiellement avouer. De plus, Elizabeth soutient les révoltés protestants des Pays-Bas espagnols.
Mais l’Armada, réputée invincible, est commandée par un amiral incompétent. Le roi doit vite renoncer à son plan d’invasion. Pire : à cause d’une tempête, la moitié des navires espagnols font naufrage ou sont détruits. Cette étonnante victoire renforce la vocation maritime de l’Angleterre. Elizabeth, très fière, déclare : "J’ai le coeur et l’estomac d’un roi. Bien plus, d’un roi d’Angleterre !"
La destruction, quasi miraculeuse, de la flotte envoyée par Philippe II est à l’origine d’une véritable extase patriotique anglaise. Elizabeth devient une héroïne chantée par les poètes sous le nom de Gloriana. Cette suprématie s’accompagne d’un remarquable essor économique dû aux compagnies commerciales, d’une progression démographique et d’une première révolution industrielle avec l’installation de forges, les débuts de l’extraction de la houille et la mise en service de nouveaux métiers à tisser.
La monarchie s’investit dans ces progrès. Elizabeth ouvre la Bourse de Londres et y place ses propres deniers. Elle élabore le statut des artisans et des apprentis. Elle est également à l’origine du premier système d’assistance publique connu en Europe : elle oblige les paroisses à venir en aide aux pauvres.
La reine est adulée. Son règne est mis en scène par le talent de Shakespeare, dans un essor intellectuel et artistique remarquable. Pourtant, elle a du mal à ne pas être jalouse de femmes plus jeunes qu’elle. Le visage fardé de blanc, parée de bijoux et de perles dans de somptueux atours, elle affronte aussi de mauvaises récoltes, la rébellion en Irlande et la chute de son favori, le comte d’Essex. Il a… 34 ans de moins qu’elle ! Peu lui importe, elle le trouve beau et charmant. Mais il est maladroit : il échoue en Irlande et, outrage suprême, il se marie secrètement ! Alors, Elizabeth se venge, elle le bannit de la cour. Il conspire alors avec le fils de Marie Stuart. A nouveau, la souveraine attendra longtemps, mais elle finira par le faire décapiter…
Au delà de son exécution, Marie Stuart s’est pourtant vengé : en effet, au décès d’Elizabeth à 70 ans, après 45 ans de règne, le 24 mars 1603, c’est le fils de l’ex reine d’Ecosse, le roi Jacques VI qui lui succède. Il règnera aussi sur l’Angleterre sous le nom de Jacques 1er. Certes, il est protestant, mais quelle revanche posthume pour la martyre catholique ! Les Stuart ont succédé aux Tudor, permettant, enfin, l’union des deux couronnes d’Angleterre et d’Ecosse.
Ressources bibliographiques :
Michel Duchein, Elizabeth 1ère d’Angleterre (Fayard, 2001).
Kenneth Morgan, Histoire de la Grande Bretagne (Armand Colin, 1985)
Jean des Cars, La saga des Reines (Perrin, 2012)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais