[1965-1977] La mort de Churchill, le 24 janvier 1965, marque un tournant dans le règne d'Elizabeth II. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment la reine a appréhendé les changements de société qui ont notamment accompagné les folles années du "swinging London".
Entre 1965 et 1977, Elizabeth II fait face à de nouvelles difficultés, mais connaît aussi de belles réussites. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte les années charnières qui séparent la mort du vieux lion du jubilé d'argent de la reine, le 7 juin 1977.
La mort du vieux lion
Winston Churchill avait donné sa démission à la reine le 5 avril 1955. Fatigué, usé par ses combats politiques, il craignait de ne pas survivre longtemps... Il avait tort. Ce lauréat du Prix Nobel de Littérature, en 1953, a occupé sa retraite à écrire, à peindre et à voyager, des Bermudes au Maroc, de Madère à Monte-Carlo. Le 29 juillet 1964, il fait ses adieux à la Chambre des Communes puis une apparition à sa fenêtre la veille de ses 90 ans, ovationné par la foule. Le 24 janvier 1965, après neuf jours de lutte contre la mort, il s’éteint, victime d’un accident vasculaire cérébral.
La reine est très affectée par sa disparition. Elle admirait tout en lui, même ses défauts d’aristocrate indomptable et fantasque. Il avait accompagné les trois premières années de son règne. La souveraine débutante et le politicien d’expérience avaient formé un duo efficace et respecté. Aussitôt, Elizabeth II demande à son tout nouveau Premier ministre, le travailliste Harold Wilson, des funérailles nationales pour cet homme à l’incroyable parcours, du désastre des Dardanelles pendant la Première Guerre mondiale au héros de la Seconde Guerre mondiale.
Ses obsèques solennelles ont lieu à la cathédrale Saint-Paul où sont honorés les plus grands chefs militaires, comme l’avaient été Nelson et Wellington. Toute la famille royale y assiste. Partant ensuite de la gare de Waterloo, ce géant de l'Histoire fait son dernier voyage dans un train spécial jusqu’au petit cimetière de Bladon, proche du château de Blenheim, où il était né en 1874.
Des hommages du monde entier arrivent à Buckingham Palace. Elizabeth II est très émue par la lettre du président français, le général de Gaulle :
"Madame,
Pour tous, dans mon pays, pour moi-même, Sir Winston Churchill est et restera toujours celui qui, en dirigeant jusqu’à la victoire l’admirable effort de guerre britannique, contribua puissamment au salut du peuple français et de la liberté du monde. Dans le drame, il fut le plus grand. Je prie Votre Majesté d’agréer mes hommages très respectueux et très attristés."
La reine et le "swinging London"
Après les obsèques de Churchill, la reine effectue deux voyages officiels. Le 2 février 1965, elle part avec le prince Philip pour l'Ethiopie, à l’invitation de l’empereur Hailé Sélassié, qui règne depuis 1930. Celui qu’on appelait le Négus avait été contraint à l’exil en Grande-Bretagne cinq ans en 1936, parce que les troupes de Mussolini occupaient son pays. Grâce aux forces britanniques, l’empereur avait regagné triomphalement sa capitale Addis Abeba en 1941. La reine et son mari vivent une semaine de festivités au pays mythique de la reine de Saba.
En mai 1965, Elizabeth entreprend un voyage en Allemagne Fédérale. C’est beaucoup plus proche mais beaucoup plus délicat sur le plan diplomatique. En effet, vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, toutes les plaies ne sont pas refermées. Les origines dynastiques de la souveraine comme celles de son mari, font qu’ils ont une multitude de cousins dispersés sur le territoire de la République Fédérale. C’est Philip, aidé de sa sœur Sophie de Hanovre, qui est chargé de déminer le terrain et de concevoir un programme.
La reine rencontre chacun de ses cousins dans les Landers de leurs résidences, qui correspondent aux anciens États princiers allemands. La visite se déroule sans le moindre incident. Le couple royal sillonne l’Allemagne de l'Ouest avant de regagner Londres qui, depuis deux ans, vibre au son des groupes pop et rock, parmi lesquels les Beatles qui triomphent.
Bien des choses ont changé au Royaume-Uni. Une véritable révolution des mœurs est en marche. Le Parlement britannique a autorisé l’avortement et dépénalisé les relations homosexuelles entre adultes consentants. Oscar Wilde s’est peut-être trompé d’époque… Le divorce est facilité, la protection des épouses consolidée et le droit de vote abaissé à 18 ans. A ce moment-là, la reine ne sait pas encore que sa propre famille sera touchée, elle aussi, par ces bouleversements.
Elizabeth II se réjouit du vent de fraîcheur qui souffle sur Londres et, le 26 octobre 1965, elle décore les Beatles de l'Ordre de l'Empire britannique, pour leur contribution au rayonnement du Royaume-Uni. Ceux qu’on appelle les "Fab Four" sont ravis : ils ont trouvé leur souveraine "adorable et très aimable". Ils composeront pour elle la chanson "Her Majesty".
Mais la révolution n’est pas que musicale. Elle touche aussi la longueur des jupes. Sur King’s Road, un haut lieu du "Swinging London", la styliste autodidacte Mary Quant invente la minijupe dans sa boutique appelée "Bazaar". C’est un triomphe qui deviendra mondial. Il faut préciser que cette joyeuse révolution s’accompagne évidemment d’alcool, de sexe et d’une consommation immodérée de substances illicites...
Aberfan : La compassion tardive de la reine
Loin de l’agitation londonienne, au sud du Pays de Galles, une épouvantable tragédie frappe le village minier d'Aberfan. Le 21 octobre 1966, après des pluies torrentielles, un gigantesque terril de charbon s’effondre sur l’école du village, provoquant la mort de 144 personnes dont 116 petits écoliers. Une horreur ! Le Premier ministre Harold Wilson se rend immédiatement sur place et supplie la reine d’en faire autant. Mais Elizabeth II se contente de condoléances convenues. Elle juge indécent de se montrer à ce moment là.
Elle attendra huit longs jours avant de se décider à se rendre à Aberfan. Elle y arrive après les obsèques dignes et bouleversantes des enfants, mais il est trop tard. Cette grave erreur d’appréciation lui inflige un remords terrible. A partir de ce moment-là, elle sera présente auprès des victimes chaque fois qu’une catastrophe frappera la population.
Le retour d’oncle David
La reine, peut-être influencée par l’air du temps, accepte enfin, le 7 juin 1967, que son oncle et son épouse, le duc et la duchesse de Windsor, assistent à une cérémonie royale en présence de toute la famille. Un véritable événement ! En fait, il s’agit simplement d’honorer le souvenir de la reine Mary en posant une plaque sur le mur de sa dernière résidence, Marlborough House.
La vérité est que Elizabeth II sait que l’ex roi Edouard VIII, âgé de 73 ans, est malade. Il a subi plusieurs opérations aux Etats-Unis et à Londres où elle lui avait rendu visite deux ans plus tôt. Les photographes sont sur les dents. La reine serre la main de son oncle et de la duchesse, la reine mère embrasse son beau-frère sur la joue. Wallis est extrêmement nerveuse. Si elle réussit sa révérence à la reine, elle n’en fera pas à la Reine mère. Les deux ennemies jurées ne s’étaient pas revues depuis 1936 ! Le pardon est d’ailleurs limité puisque le duc et la duchesse n’assistent pas au déjeuner familial qui suit à Buckingham Palace. Ils déjeunent chez la duchesse de Kent, à Kensington, avant de regagner Paris.
Mais on n’échappe pas au duc et à la duchesse de Windsor ! Ils avaient accablé George VI de leurs perpétuelles récriminations. Ils vont continuer avec sa fille. En août 1968, le duc écrit à sa nièce la reine, toujours à propos d’argent, mais cette fois pour après son décès. Il sait que sa rente à vie de 10 000 livres par an cessera d’être versée le jour de sa mort. Il demande à Elizabeth II qu’une rente soit servie à Wallis quand elle sera veuve. Agacée, elle met huit mois à lui répondre ! Elle assure néanmoins son oncle David qu’une rente de 5 000 livres sera servie à Wallis, espérant que cette décision "l’aidera à apaiser son esprit". Comme d’habitude, Edward exagère et Elizabeth est bien bonne car en plus de cette pension, Wallis héritera de la fortune de son mari, et des fabuleux bijoux qu’il lui a offerts et qu’elle conservera.
Charles est intronisé prince de Galles
En 1965, Charles va avoir 16 ans. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas très heureux. Ses parents ont voulu qu’il ait une éducation semblable à celles d’autres garçons de son âge et de son milieu, sauf qu’il n’est pas comme les autres. Il est l’héritier du trône et cela ne peut être synonyme de vie "normale".
En 1957, âgé de 9 ans, il devient pensionnaire au collège de Cheam, dans lequel sont passés tous les Mountbatten. Il s’y sent bien seul et en souffre. En 1962, année de ses 13 ans, son père lui impose l’institution où il avait fait ses études, le redoutable collège de Gordonstoun en Ecosse. Charles y est encore plus malheureux. Un de ses camarades, le futur romancier William Boyd dira : "Nous étions tous après lui pour cogner sur le futur roi d’ Angleterre !"
L’héritier déprime de plus en plus. Elizabeth, consciente du désastre, décide d’envoyer son fils à l’autre bout du monde pendant six mois. Ce sera l’Australie, Timbertop précisément, l’équivalent local de Eton. Et là, le miracle se produit. Accompagné d’un écuyer de son père qui s’installe avec femme et enfants à côté de Timbertop pour s’occuper de lui pendant les week-ends et les vacances, Charles va s’épanouir. Un voyage en Nouvelle-Guinée et en Papouasie va le fasciner et développer, sans doute, son goût pour l’anthropologie.
A son retour en Ecosse, il est métamorphosé. Une sorte de conseil de famille, auquel participent aussi le Premier ministre et l’archevêque de Canterbury, choisit alors pour lui l’option proposée par son parrain, lord Mountbatten : il poursuivra ses études au Trinitry College de Cambridge avant d’être initié à la Marine, à Dartmouth. Charles adore Cambridge où il étudie l’archéologie et l'anthropologie.
Mais l’année de ses 21 ans, en 1969, il doit être investi prince de Galles. Or, à cette époque, le climat politique est détestable au pays de Galles. Le nationalisme y est très actif et très violent. Elizabeth II décide néanmoins, pour les trois mois précédant son investiture, que Charles intègre l’université galloise d’Aberystwyth. Il accepte avec enthousiasme malgré les risques. Il va apprendre le gallois en un temps record et ce n’est pas une langue facile !
Juste avant l’intronisation, des rumeurs d’attentat contre l’héritier de la couronne se répandent. C’est un événement à haut risque. Une bombe explose le matin même de l’intronisation, le 1er juillet 1969, à 30 miles du château de Caernarvon où aura lieu la cérémonie, tuant le terroriste qui la manipulait…
Mais la cérémonie est magnifique. La reine, chapeautée et vêtue de jaune, pose sur la tête de son fils agenouillé devant elle la couronne des princes de Galles. Charles prononce son serment en gallois : "Moi, Charles, prince de Galles, je me proclame votre homme lige et je m’engage par ma foi et mon honneur à vous servir jusqu’à la mort."
Après ce passage rituel, il prononce un discours que des dizaines de milliers de spectateurs rassemblés autour du château entendent et voient sur des écrans. Le prince de Galles devient vraiment un des leurs.
La retransmission de la cérémonie à la télévision est très appréciée, et tant mieux, car elle se déroule juste après la diffusion d’une émission sans précédent sur la famille royale, qui n’était pas vraiment une bonne idée…
"Royal Family" : les pièges de la communication
A priori, c’était une bonne idée. L’une de celles dont Dickie Mountbatten avait le secret… Pendant l’année précédant l’intronisation du prince de Galles, une équipe de télévision suit la famille royale à chaque moment de sa vie, tant officielle que privée. Entrer dans l’intimité des Windsor, quel sujet britannique n’en a pas rêvé ?
Le film est diffusé sur la BBC le 21 juin 1969, dix jours avant la cérémonie de Caernarvon. On y voit la préparation de la diffusion du discours de la souveraine pour Noël, Charles à bicyclette dans les rues de Londres, la reine à cheval pour la cérémonie de son anniversaire Trooping the Colour, la garden-party annuelle à Buckingham Palace où l’on accueille, avec le sourire, 9 000 personnes. Le clou de ce reportage est un pique-nique à Balmoral où Philip et Anne se chargent du barbecue tandis que Charles explique à son petit frère Edouard comment réussir une sauce de salade à la crème fraîche. Le prince de Galles à ski, Anne à Cheval, Philip pilotant son avion, et puis une dernière séquence : un déjeuner à Buckingham Palace réunissant la reine, Philip, Charles et Anne. Le prince consort se moque ouvertement, pendant une longue séquence, de son beau-père, le roi de George VI, en ridiculisant ses difficultés d’élocution, ce qui n’est pas du meilleur goût.
La Reine mère avait pourtant prévenu que dévoiler l’intimité de la famille était une mauvaise idée. Cela ne pouvait que désacraliser la monarchie. Et la veuve de George VI avait raison. Bien que l’émission batte un record d’audience (40 millions de téléspectateurs), ce reportage n’a jamais été rediffusé et ses rarissimes copies ont disparu… La reine a compris que la communication est un art délicat. Et en termes de communication, Philip n’est pas un champion !
Il va le démontrer une nouvelle fois. Les temps sont difficiles pour la famille royale car Harold Wilson réduit comme peau de chagrin son budget. A la télévision, le duc d’Edimbourg déclare alors : "Nous allons être dans le rouge cette année, que faire ? Nous avons un petit yacht, le Britannia, que nous pouvons vendre. Il faudra sans doute que je renonce bientôt au polo… Des choses comme ça !"
Les téléspectateurs britanniques sont partagés entre la stupéfaction, et l’hilarité. La presse prend le relais avec des caricatures sans pitié comme "Chérie, si on vendait un Canaletto pour changer la machine à laver ?" Plus sérieusement, la “Firme” Windsor devra soumettre ses comptes au Parlement à partir de 1970.
La mort du duc de Windsor, le mariage d’Anne
Au début de mai 1972, la reine apprend que son oncle David se meurt d’un cancer. Il n’a plus que quelques jours à vivre. Or, Elizabeth II doit venir en visite officielle à Paris à la mi-mai. Elle trouve le temps, dans son agenda surchargé de faire une visite au duc et à la duchesse de Windsor, dans leur résidence du Bois de Boulogne, à Neuilly, accompagnée de Philip et de Charles. Volonté de pardon et d’apaisement après tant de haines familiales.
Elizabeth II est foncièrement bonne et déteste les conflits. Elle a un ultime entretien avec son oncle dont on ne saura rien. Onze jours plus tard, le 29 mai, le duc de Windsor meurt dans les bras de son épouse Wallis, à l’âge de 77 ans. L’ex-roi Edouard VIII a droit à des obsèques dans la chapelle Saint-George de Windsor, avant d’être inhumé dans le cimetière royal de Frogmore. C’est la fin d’un long cauchemar.
Heureusement, un événement joyeux va réunir la famille royale le 14 novembre 1973, à l’abbaye de Westminster. La princesse Anne épouse le capitaine Mark Phillips. Anne n’a jamais posé de problème à ses parents. Elle aime la campagne et les chevaux. Elle a une forte personnalité et beaucoup d’admirateurs. Elle a été la petite amie officielle d’Andrew Parker-Bowles qui épousera plus tard Camilla Shand. Elle est follement amoureuse du beau capitaine Mark Phillips qui partage tous ses goûts. La reine est enchantée et veut, pour sa seule fille, un très beau mariage dans l’abbaye de Westminster, retransmis par la BBC. Un vrai succès médiatique. La princesse apparaît rayonnante et ravissante.
Au printemps 1977, Elizabeth peut être sereine. Elle règne depuis vingt-cinq ans et va fêter son jubilé d’argent le 7 juin. Vêtue de rose, elle est acclamée tout au long de son parcours jusqu’à la cathédrale Saint-Paul où l’archevêque de Canterbury célèbre l'événement devant trente-cinq chefs d'Etat, dont le président américain Jimmy Carter. Les festivités sont télévisées, y compris la traditionnelle apparition au balcon. La seule question que se pose alors la foule concerne le prince de Galles : pourquoi, à presque 30 ans, est-il encore célibataire ?
Ressources bibliographiques :
Sarah Bradford, Elizabeth II (Penguin Books nouvelle édition 2002)
William Shawcross, Queen Elizabeth the Queen Mother (Pan Books, 2009)
Sarah Bradford, George VI (Penguin Books, 1989)
Jean des Cars, Elizabeth II, la Reine (Perrin, 2018)
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"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Matthieu Blaise
Graphisme : Karelle Villais