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SAISON 2019 - 2020

L'un est un précurseur, l'autre un financier de génie. Tous les deux ont fait date dans l'histoire du cinéma. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur l'histoire de deux rivaux : Léon Gaumont et Charles Pathé. 

Cette année, le cinéma français et la cérémonie des César sont agités par des polémiques. Mais depuis longtemps, cette industrie vit des périodes mouvementées. Ainsi la naissance du commerce cinématographique a opposé, en France, deux pionniers, Léon Gaumont et Charles Pathé. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, découvrez l'histoire de cette implacable rivalité. 

Le 11 octobre 1911, place de Clichy, à Paris, Léon Gaumont inaugure son cinéma, le Gaumont Palace. C’est le plus grand cinéma du monde ! La salle a été construite à l’emplacement de l’ancien hippodrome. Elle est, effectivement, gigantesque : elle peut accueillir 3.400 spectateurs répartis en un immense parterre et deux galeries circulaires ! L’architecte Auguste Bahrmann l’a conçue dans un style Belle Époque, celui de l’Exposition Universelle de 1900. La publicité annonce des soirées tous les jours à 20h30 et des matinées le dimanche et les jours de fêtes à 14h30. 

À chaque séance, un orchestre de trente musiciens et une chorale accompagnent la projection. L’hiver, le chauffage d’une salle de telles dimensions nécessite cinq tonnes de charbon par jour ! Un immense promenoir a été prévu pour le public qui peut se restaurer grâce à des buffets régulièrement garnis. Entre les projections de films, on assiste à de très bons numéros de music-hall. Mais qui est donc ce Léon Gaumont qui offre aux Parisiens et aux Parisiennes un véritable temple du cinéma ?

Léon Gaumont : les inventions géniales d'un fou de cinéma

Léon Gaumont est né en 1864 à Paris dans une famille plutôt modeste. En effet, cet élève du Collège Sainte-Barbe est obligé de quitter l’école à 16 ans pour gagner sa vie. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre ses études grâce aux cours du soir. Sa passion est la photographie. En 1881, à 17 ans, il entre dans la société de fabrication d’instruments électriques de mécanique de précision de Jules Carpentier. Or, quelques années plus tard, Jules Carpentier travaillera aux côtés des frères Lumière, les inventeurs du cinématographe. Léon Gaumont n’est alors qu’un commis aux écritures. Il est vif et intelligent. Très vite, il s’initie au monde de l’entreprise. 

En 1894, grâce à Carpentier, il est engagé au Comptoir Général de la Photographie des frères Richard. L’année suivante, il reprend lui-même l’affaire que ses propriétaires sont obligés de vendre. En août 1895, il crée la société Louis Gaumont et Cie, l’année même de la première projection publique de cinéma par les frères Lumière. 

Alice Guy, la première femme réalisatrice de cinéma au monde

Pour Léon Gaumont, les débuts ne sont pas faciles. Les appareils commercialisés par les frères Richard, comme le phonographe, ne connaissent pas vraiment le succès. En revanche, passionné par l’invention de Louis et Auguste Lumière, il met au point, dès 1896, une caméra utilisant une pellicule perforée de 60 mm. L’année suivante, il invente un nouveau modèle en 35 mm qui deviendra le format standard. Il a engagé une secrétaire remarquable. Elle s’appelle Alice Guy. Cette jeune fille de 21 ans, issue elle aussi de la petite bourgeoise, obligée de travailler, est une passionnée de danse, de musique, d’opéra et de peinture. Elle se révèle une collaboratrice exceptionnelle pour Léon Gaumont. 

Celui-ci, pour convaincre les exploitants d’acheter son appareil plutôt que celui des concurrents, décide, en 1896, de produire des "vues animées". Ce sont de petits films de démonstration. C’est de la promotion pure, il n’envisage pas de proposer d’autres sortes de films. Mais "Mademoiselle Alice", comme on l’appelle dans la société, le convainc de réaliser de véritables films. Elle se propose d’en être la scénariste et la réalisatrice. Léon Gaumont accepte, à condition que cela n’empiète pas sur son travail de secrétaire.

Au moment où Georges Méliès commence à tourner ses premiers films, Alice Guy réalise "La fée aux choux". Comme décor, elle a choisi une toile peinte devant laquelle elle a disposé des choux en carton. A 24 ans, Alice Guy devient la première femme réalisatrice de cinéma au monde. Le succès de "La fée aux choux" et des films suivants incite Léon Gaumont à créer un véritable département de production cinématographique. Alice Guy en prend la direction. Elle en sera l’unique metteuse en scène à une ou deux exceptions près.

Pendant ce temps, Léon Gaumont continue d’innover pour le Septième Art. À l'Exposition de 1900, il avait présenté un appareil couplant l’image et le son. Ce n’était pas encore très au point. En 1902, il était arrivé à une combinaison bien synchronisée de l’image cinématographique et du phonographe. Avec Alice Guy, il a installé des studios aux Buttes Chaumont, dans l’est parisien. En 1905, elle réalise une véritable superproduction, ambitieuse, avec 300 figurants : "La vie du Christ". La même année, elle embauche celui qui fera la fortune de la Gaumont, Louis Feuillade. Laissons-le nous raconter leur rencontre : "Mademoiselle Guy était une fort avenante personne, très intelligente et comprenant bien le cinéma tel qu’il était à cette époque. Elle ne demanda quelles étaient mes compétences dans cet art. Je lui affirmai qu’elles étaient fort étendues et qu’il ne tenait qu’à elle de me mettre à l’épreuve."

Feuillade va tourner plus de 800 films en vingt ans. L’année suivante, Alice Guy organise un déplacement dans le midi pour profiter de la lumière et de la beauté de la Provence, comme le cinéma américain qui utilise le soleil de Californie. Avec Feuillade, elle découvre le pouvoir d’émotion du cinéma. Ils veulent toucher le public, pas seulement le faire rire. Ensemble, ils réaliseront en Provence "Mireille" d’après Alphonse Daudet. Ce sera un immense succès. Ils donnent ses lettres de noblesse au tournage en plein air.

La naissance du feuilleton cinématographique

Louis Feuillade va inventer le feuilleton cinématographique. Il tient les foules en haleine de semaine en semaine, épisode par épisode. De Fantômas aux Vampires sans oublier Judex, il fascinera le public. Alice profite de l’arrivée de Louis Feuillade, qui comble les amateurs de cinéma populaire, pour se consacrer à ce qui la passionne autant que Léon Gaumont, le cinéma parlant. Ses premiers films sonores s’appellent des "phono-scènes". Le son est enregistré sur des rouleaux de cire. 

En 1903, les premières projections commerciales ont lieu au théâtre du Musée Grévin puis au théâtre du Gymnase. C’est une attraction qui plait beaucoup. Alice se réserve le monopole de la réalisation de toutes les scènes. Si elle apprécie l’immense succès de Feuillade, le moteur principal de la Gaumont, elle ressent le besoin de faire des films plus ambitieux. Elle met en scène "Notre-Dame de Paris" d’après Victor Hugo. 

Quatre ans plus tard, elle épouse Herbert Blaché, un opérateur d’origine anglaise, de l'agence Gaumont de Berlin. En effet, Gaumont ne cesse de s’étendre. Les Blaché sont alors envoyés aux États-Unis en juin 1909 pour y promouvoir le chronophone, autre procédé du cinéma parlant. Avant de partir, Alice fait nommer Louis Feuillade à la tête du studio. Léon Gaumont a le souci d’avoir un réseau de salles à son nom pour projeter ses propres productions. La plus prestigieuse est le Gaumont-Palace, inauguré, je vous l’ai dit, en 1911. Mais depuis quelques années, Léon Gaumont a un rival au cinéma. Il s’appelle Charles Pathé.

Les innovations de Charles Pathé

Charles Pathé est né en Seine-et-Marne, en 1863, un an avant Léon Gaumont. Installés à Vincennes en 1870, son père est charcutier, sa mère cuisinière. Ils vivent des jours difficiles. Charles doit travailler dès l’âge de 12 ans. Il est garçon boucher. Après cinq ans de service militaire et un voyage en Argentine, il ouvre, en 1891, un commerce de vins et de restauration. Puis, il trouve un emploi chez un avoué. 

C’est alors qu’il se passionne pour le phonographe d’Edison. Il en achète plusieurs appareils à Londres, les vend dans les foires. En 1895, il réalise des bénéfices importants. Charles Pathé est séduit par le cinéma qui vient de naître. Il veut se lancer dans la projection animée sur grand écran. En 1896, avec son frère Emile, Charles fonde la société Pathé Frères. Pour la première fois, on va voir sur des appareils le coq gaulois qui est le symbole de Pathé. Un coq qui, plus tard, chantera en battant des ailes. Un symbole du cinéma français ! 

En 1898, grâce à des apports financiers, les deux frères se lancent aussi dans la production de films. Deux ans plus tard, ils engagent un collaborateur, Fernand Zecca. Il va devenir le metteur en scène des films Pathé. Zecca tourne un film d’actualités sur la visite en France du tsar Nicolas II de Russie. La production s'accroît mais n’est pas de grande qualité. On plagie Méliès et les comiques anglais. En 1903, Pathé produit 500 films et accroît considérablement ses bénéfices. 

Après avoir industrialisé le film, Pathé en fait autant pour la réalisation. Sur les bords de la Marne, à Joinville-le-Pont, il achète un terrain de 2 ha. Il y construit un laboratoire et des studios. Mais surtout, Charles Pathé engage des représentants pour ouvrir des succursales en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Russie et même une aux États-Unis en 1904, une à Kiev et une à Calcutta en 1907. Pathé aura plus de vingt filiales à travers le monde.

Charles Pathé crée un véritable empire comprenant la production, la diffusion et l’exploitation. En 1908, à lui seul, il vend plus du double des films produits aux Etats-Unis. Entre 1908 et 1911, les bénéfices de Pathé Frères représentent dix fois le capital engagé en 1908… Les usines de Vincennes tournent 100.000 mètres de films par jours et font travailler 1500 ouvriers ! Si Léon Gaumont avait Louis Feuillade comme emblème, Pathé, à partir de 1910, a sous contrat une vedette exceptionnelle, Max Linder.

Lassons l’historien Georges Sadoul nous expliquer qui est Max Linder :"Le personnage de Max, fixé en 1910, est un fils de famille, impeccablement vêtu. Lorsqu’il ne courtise pas les belles, il fait la noce, buvant parfois un coup de trop. Max habite de beaux appartements, est servi par des domestiques, fréquente les salons et ne travaille jamais. Ses aventures, en général imposées par ses bien-aimées, rappellent les épreuves que les belles dames sans merci imposaient à leurs chevaliers servants, au temps des cours d’amour... Tout est gentil, charmant, aimable".

Charles Pathé crée aussi Pathé-Journal, un hebdomadaire d’actualités projeté dans le monde entier. Une immense réussite. Toutefois, la rivalité avec Gaumont est permanente.

Léon Gaumont contre-attaque

En effet, de son côté, Léon Gaumont ne chôme pas. En 1910, il lance, lui aussi, un journal cinématographique hebdomadaire qui présente au public les sept jours de l’histoire du monde. Il l’appelle Gaumont Actualités et dispose de caméras prêtes à tourner dans presque tous les pays du monde. C’est un immense succès. 

Les souverains européens eux-mêmes sont conquis par cette innovation : Nicolas II, grand amateur de cinéma, se fait livrer chaque semaine les bobines qu’il visionne, en famille, au palais Alexandre, près de Saint-Pétersbourg. Le roi Carol 1er de Roumanie aménage une salle de spectacles dans son château de Peles, au pied des Carpathes. Elle dispose d’une cabine de projection. Chaque semaine, l'Orient-Express lui livre les bobines d’actualités. L’Europe dynastique est informée. Un début de mondialisation...

Parallèlement, Léon Gaumont crée l’Encyclopédie Gaumont produisant des films éducatifs et scientifiques. Il met 1.500 sujets à la disposition du public. Des agences Gaumont vont s’installer, comme celles de Pathé, à New-York, Vienne, Berlin, Moscou, Barcelone et Buenos-Aires.

En 1911, l’inauguration du Gaumont Palace est un triomphe. On y présente un film de Louis Feuillade La tare. L’année suivante, Quo Vadis, qui dépasse une heure de projection, ce qui est exceptionnel, va devenir un film-culte. Gaumont poursuit aussi ses recherches sur la couleur. Il invente le chronochrome et le présente au public dans la salle du Gaumont Théâtre, boulevard Poissonnière, en 1912. Ce procédé exige l’emploi de trois objectifs sélectifs. Sur l’écran, on projette trois images monochromes superposées. C’est cette surimpression qui recrée la couleur.

Cette technique est beaucoup plus compliquée que le système photoélectrique qui sera inventé par les Américains en 1936. Mais une fois de plus, Léon Gaumont est un pionnier.

En 1913, la société Gaumont achète 10.000 mètres carrés de terrain à Nice. On commence à  y construire les studios de La Victorine. On y tournera beaucoup l’hiver pour profiter de l’exceptionnelle lumière pendant que Paris disparaît dans le brouillard. Gaumont et Pathé sont au sommet de leurs puissances et de leur expansion quand éclate la Première Guerre mondiale.

Le cinéma victime de la guerre

Lorsque la guerre éclate en 1914, le ministre Alexandre Millerand crée le Service Cinématographique de l’Armée. Léon Gaumont désigne Edgar Costil comme opérateur sur le front. Feuillade est réformé en 1916 et la maison Gaumont va vivre au ralenti pendant les hostilités, mettant ses ateliers au service de la Défense Nationale. C’est Gaumont qui réalisera le grand reportage, en couleurs, du défilé de la victoire, à Paris, sur les Champs-Elysées.

Après la guerre, en 1925, Louis Feuillade meurt à l’âge de 52 ans. Léon Gaumont signe alors un accord de distribution avec la Metro-Goldwyn-Mayer et crée une société baptisée Gaumont-Metro-Goldwyn. Cette aventure durera jusqu’en 1929. Alors que le cinéma parlant commence à s’imposer, Léon Gaumont se retire à l’âge de 67 ans. Sa société fusionne avec la Franco-Film Aubert. Mise en liquidation en 1938, elle renaît, après la guerre, sous le nom de Société Nouvelle des Etablissements Gaumont. Retiré à Sainte-Maxime, Léon Gaumont meurt en 1946. Il est inhumé au cimetière de Belleville, non loin des Buttes-Chaumont qui virent naître son empire 51 ans auparavant.

Quant à Charles Pathé, la guerre va aussi lui porter un rude coup. Les usines vidées de leurs ouvriers sont réquisitionnées pour l’armement. Charles Pathé signe alors un accord avec le magnat américain de la presse, Hearst pour les "Pathé News", la version américaine du Pathé Journal. L’armistice signé, il fonde Pathé Cinéma afin de s’adapter aux temps nouveaux. Mais il ne produit plus. Sa société est réservée à la distribution, à la location et à l’exploitation. En 1926, Kodak rachète les usines de fabrication de pellicule de Vincennes. La société s’appelle Kodak-Pathé. Il va céder ses actions de Pathé Cinéma à Bernard Nathan en 1929. Il se retire alors de l’affaire. Il vit à Monaco et décède en 1957,  à l’âge de 93 ans.

Ces deux hommes ont eu des réussites exceptionnelles. Leurs moyens étaient différents. Léon Gaumont était un technicien, un précurseur qui a anticipé le cinéma parlant et en couleurs. Charles Pathé était un financier de génie. Le cinéma français leur doit beaucoup. Les productions, réalisées pour l’un comme pour l’autre, ont fait date dans l’histoire du cinéma et ont connu des succès mondiaux. La première grande page de l’histoire du cinéma français est la leur.

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars 

Cheffe de projet  : Adèle Ponticelli

Réalisation : Guillaume Vasseau

Diffusion et édition : Clémence Olivier

Graphisme : Europe 1 Studio

Direction Europe 1 Studio : Claire Hazan