[A l'occasion du couronnement de Charles III] Découvrez le récit inédit consacré à Henri VIII, l’un des personnages les plus connus de la dynastie des Tudor, raconté par Virginie Girod. En 1529, le roi d’Angleterre fait annuler son mariage avec Catherine d’Aragon, faute d’héritier mâle. C'est le premier épisode d’une série de crises matrimoniales tragiques, qui vaudront à Henri VIII sa réputation de Barbe-Bleue. Lorsqu’il tombe amoureux d’Anne Boleyn, une jeune fille de la cour qui a tout juste 20 ans, le sort en est jeté. Le monarque est prêt au schisme avec l’Église catholique pour épouser une femme capable de lui donner ce qu’il désire le plus : un héritier mâle.
Sujets abordés : Monarchie anglaise – couronnement – Henri VIII - Tudor – Barbe Bleue
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Camille Bichler
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Visuel : Sidonie Mangin
Nous sommes à la tour de Londres le 19 mai 1536. C’est le matin. Anne Boleyn s’agenouille sur l’échafaud. La reine d’Angleterre déchue vient, comme le veut la tradition, de pardonner à son bourreau qui va lui trancher la tête avec son épée. Ses dames d’honneur lui enlèvent sa coiffe et lui bandent les yeux. Elle se met à prier. Selon le gouverneur de la tour de Londres, Anne Boleyn fait preuve d’un sang-froid admirable. Elle va mourir pour que Henri VIII puisse épouser sa nouvelle tocade, la ravissante Jane Seymour.
Mais ce serait mal comprendre la complexité des jeux de pouvoir que de se limiter à cette explication. Anne Boleyn va mourir parce qu’elle est au cœur des jeux de pouvoir des puissants du royaume et que c’est à cause – ou grâce à elle – qu’Henri VIII a pu rompre avec Rome pour fonder l’église anglicane.
La rencontre de Henri VIII et Anne Boleyn
Henri VIII rencontre Anne Boleyn à la cour en 1522. Il a 31 ans, c’est un grand roux au physique imposant. Il a reçu une éducation très soignée mais il n’était pas censé régner. Quand son frère aîné Arthur est mort prématurément à 15 ans, il est devenu le nouvel héritier. Son père, Henri VII, l’a immédiatement fiancé à la veuve d’Arthur. C’était une mesure nécessaire pour conserver des liens diplomatiques forts avec l’Espagne. Le pape Jules II a même accordé une dispense spéciale pour cette union parce qu’en général, chez les Chrétiens, on n’épouse pas la femme de son frère !
Henri VIII monte sur le trône à 17 ans, après la mort de son père. Il est jeune, il aime les joutes, la chasse, la fauconnerie et même composer de la musique. Il n’a aucune envie de participer des heures durant aux conseils de ses ministres. Le cardinal Wolsey, un fils de boucher qui s’est élevé socialement grâce à son intelligence et à sa détermination, lui sert de conseiller personnel et d’intermédiaire avec les ministres.
Le mariage d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon est plutôt heureux. Seule ombre au tableau, le couple peine à avoir un enfant et c’est un vrai problème quand on doit assurer la pérennité d’une dynastie. Après quatre fausses couches, la reine donne enfin naissance en 1515 à bébé bien vivant : c’est Mary, qui règnera bien plus tard sous le surnom de Bloody Mary, Marie la Sanglante. Mais ça, c’est une autre histoire.
Même si en Angleterre les femmes ne sont pas exclues de la succession, c’est mieux d’avoir un garçon à une époque où l’égalité homme femme est loin d’être envisagée.
Henri VIII se lasse de ce couple qui met en péril sa dynastie. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Anne Boleyn. Elle appartient à une noble famille dévorée d’ambition. Pour le père, Sir Thomas Boleyn, ses filles sont des pions aux services de sa carrière. Il veut avoir sa place au plus près du roi. Et s’il faut littéralement prostituer ses filles pour y parvenir, ce n’est pas un problème. Anne, sa cadette, est loin d’être une oie blanche et elle partage les rêves de gloire de sa famille.
La rupture avec Rome
Cette brune au teint ambré et aux grands yeux noirs n’est pas réputée très belle mais elle a un charme, un aplomb et une intelligence qui subjuguent le roi. Il lui fait une longue cour avant de parvenir à en faire sa maîtresse… et puis au fond, pourquoi il n’en ferait pas sa femme puisque Catherine d’Aragon enchaîne les fausses-couches ?
À partir de 1527, le roi décide de faire annuler son mariage avec Catherine d’Aragon. Mais voilà, à la Renaissance, les choses ne sont pas si simples. Pour dissoudre une union royale, il faut l’accord du pape. Celui-ci est à la tête d’un royaume qui est une sorte de trait d’union symbolique entre Dieu et les autres royaumes. Le souverain-pontife possède à ce titre un pouvoir spirituel sur les autres rois. Et tous les rois veulent être le champion du christianisme. Henri VIII ne fait pas exception. Au début de son règne, le pape lui donne même le titre honorifique de defensor fidei, le défenseur de la foi. Et ça, c’est quand même très chic à l’époque !
Mais cette période est aussi troublée par un vent de réforme porté par le théologien Martin Luther. Cet homme pointe les dérives d’un clergé qui s’enrichit en vendant des « bons du rachats » – en d’autres termes, on peut racheter ses péchés par l’argent ! C’est une entrée coupe-file payante au paradis. Pour Luther, cette vision du salut de l’âme est un scandale. Il prône une foi plus dépouillée, intime, et favorisée par un clergé minimaliste et austère. C’est le début de la Réforme protestante, qui met en danger l’autorité des papes mais aussi celle des souverains de droit divin.
C’est dans ce marasme spirituel que Henri VIII demande au cardinal de Wolsey de lui arranger auprès du pape l’annulation de son mariage. C’est ce que les historiens appellent « la grande affaire du roi ». Le pape Clément VII, encouragé par Charles Quint, empereur du Saint-Empire, roi d'Espagne et parent de Catherine d’Aragon, s’y oppose. Son principal argument est qu’il ne veut pas revenir sur l’accord spécifique donné pour cette union par son prédécesseur.
Cette réponse ne satisfait pas Henri VIII. Il considère Wolsey comme responsable de ses contrariétés et commence à se méfier de lui. Il est même poussé à la défiance envers le prélat par le clan Boleyn qui veut le faire déchoir. Wolsey est trop influent. Si le pape refuse de plier, Henri VIII luttera contre lui par des moyens légaux. Il se tourne alors vers le juriste Thomas Cromwell pour trouver un moyen d’échapper à l’autorité du pape. Et pour que ça marche, il faut y aller par étapes.
D’abord, Henri VIII sollicite toutes les universités de théologie d’Europe et leur demande de plancher sur son cas. En octobre 1529, l’Université de la Sorbonne considère que le mariage d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon n’aurait pas dû être validé par le pape Jules II car chez les Chrétiens, aucune loi ne permet d’épouser la veuve de son frère... sauf si la femme est restée vierge… mais dans tous les cas, il vaut mieux éviter. D’autres universités, comme celle de Cambridge, aboutissent aux mêmes conclusions.
Henri VIII réunit donc un nouveau parlement, le « Reformation Parliament ». En s’appuyant sur les nombreuses chartes – parfois très anciennes – relatives au fonctionnement du royaume, le Parlement établit selon un vieil adage que le « roi est un empereur en son royaume ». En d’autres termes, le pape n’a pas vocation à se mêler des affaires de l’Angleterre. Deux ans plus tard, en 1531, le pape Clément VII interdit aux universités et aux magistrats de donner leur avis sur des questions qui relèvent de son autorité.
Anne Boleyn, reine d'Angleterre
Dans l’intervalle, Catherine d’Aragon est humiliée. Elle passe avec une dignité surprenante devant des commissions qui voudraient lui faire dire qu’elle n’était plus vierge quand elle a épousé Henri VIII. L’Espagnole s’en défend. Elle était très jeune quand elle s’est mariée avec Arthur et son mari est mort quelques mois après leurs noces. Elle était donc bien vierge quand elle a épousé Henri.
Fatigué par ces tergiversations, le roi anglais décide seul d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon en 1532. L’année suivante, il épouse Anne Boleyn qui devient officiellement reine d’Angleterre.
C’est le grand triomphe de la famille Boleyn qui, dans l’intervalle, a fait tomber le cardinal Wolsey en disgrâce. Le plus proche conseiller du roi est mort reclus en 1530 et laisse la place libre au clan Boleyn. Mais son ami Thomas Cromwell, lui aussi issu du monde de l’artisanat et ayant échappé à sa condition sociale par son travail, prépare déjà la revanche. Grâce à son action dans la « grande affaire du roi », il est devenu très proche d’Henri VIII.
Henri VIII espère avoir un fils d’Anne Boleyn. Mais elle accouche d’une fille neuf mois après son mariage. C’est une petite rousse qui deviendra la grande, la très grande Elizabeth Ière. Après cette naissance, la souveraine enchaîne les fausses-couches. Henri VIII est déçu et ne supporte plus son fort caractère. Il bave déjà d’envie sur la tendre Jane Seymour. Et comme les Boleyn en leur temps, le clan Seymour est prêt à tout pour s’approcher au plus près du pouvoir.
Mais ce n’est pas parce qu’Henri VIII taquine la ribaude qu’il n’achève pas ses réformes religieuses. En méprisant l’autorité du pape, il a rompu avec Rome. Aucun souverain européen n’avait jamais osé faire une chose pareille. Ce coup d’éclat lui permet de réformer la spiritualité de son royaume et de s’imposer comme un chef religieux. À partir de 1534, c’est Henri VIII qui nomme les évêques dans son royaume et plus le pape. Ça veut concrètement dire que les évêques d’Angleterre ont le roi comme chef et non plus le souverain-pontife.
Cette nouvelle réalité politico-spirituelle est définitivement validée en 1535 dans l’acte de suprématie qui reconnaît le souverain d’Angleterre comme l’unique chef suprême de l’Église anglicane. Cette même année, Henri VIII réfléchit déjà à un moyen de quitter sa deuxième reine. En 1536, un accident précipite sa décision.
Anne Boleyn décapitée
Henri VIII fait une chute de cheval pendant une joute. Il a une jambe très abimée et il tombe dans le coma pendant quelques heures. L’inquiétude ressentie par Anne Boleyn aurait déclenché une nouvelle fausse-couche… Et cette fois, c’était un garçon.
Avec l’aide de Cromwell, Henri VIII fait accuser sa femme de cinq adultères et même d’inceste avec son propre frère. Henri VIII ne veut peut-être pas la mort de sa femme mais Cromwell établit un dossier si scandaleux qu’il est sûr d’obtenir sa condamnation à mort. La reine passe devant un jury composé d’hommes à la botte de son mari. Parmi eux, il y a son propre père, sir Thomas Boleyn. Il ne fera rien pour sauver sa fille afin de conserver sa position influente auprès du roi.
Comme Cromwell l’avait prévu, - il faut dire qu’il a lui-même trouvé des témoins à charge – Anne Boleyn est condamnée à mort. Ses amants présumés finissent eux-aussi la tête sur le billot y compris son propre frère. Le clan Boleyn vient d’être défait, mais pas Cromwell.
Deux jours plus tard, le 19 mai 1536, la reine déchue offre son cou gracile au bourreau. Sa tête est tranchée à l’épée. C’est un privilège réservé à la haute noblesse.
Le roi aux six femmes
On ne peut pas faire d’Anne Boleyn l’artisan de l’Église Anglicane. Mais sa passion politique pour le roi a facilité la rupture d’Henri VIII avec le pape. La réforme de l’Église anglicane, inspirée à la foi du catholicisme et du protestantisme, a servi sa propre politique de renforcement de ses pouvoirs personnels.
Henri VIII épouse Jane Seymour quelques jours après la mort d’Anne Boleyn. Sa troisième reine meurt des suites de ses couches après lui avoir donné un fils, le futur Édouard VI d’Angleterre. Henri VIII épouse ensuite, pour des raisons politiques, Anne de Clèves mais il s’en sépare vite parce qu’il ne la trouve pas à son goût. Ensuite, vient Catherine Howard. Elle sera décapitée elle aussi pour adultère et trahison. La dernière épouse de Henri VIII est Catherine Parr. Elle est sage et intelligente.
Le souverain meurt en 1547 avant d’avoir eu envie de la répudier ou de la tuer. Après son décès, Catherine Parr obtient la garde de la jeune princesse Elizabeth. C’est peut-être un peu elle qui lui transmet l’idée qu’une femme peut devenir une bonne politicienne.
C’est la fin de ce récit consacré à Henri VIII, à ses femmes et à la fondation de l’Église anglicane dont Charles III est toujours le gouverneur suprême. C’est l’héritage de son lointain aïeul.
Dans le prochain épisode de cette saga anglaise, je reviendrai sur un duel de reines, celui qui a opposé la fille d’Henri VIII Elizabeth Ière à sa cousine Marie Stuart.
Sources :
- Bernard Cottret, Les Tudors, Perrin.
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