En mars 1856, l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, donne naissance à son fils unique, Louis. Promu lieutenant à treize ans, le jeune héritier accompagne son père dans la guerre contre la Prusse en 1870. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte la vie courte, mais romanesque, du prince impérial.
Le prince impérial accompagne son père à seulement quatorze ans dans la guerre contre la Prusse. En 1870, il assiste, impuissant, à la défaite de la France… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars retrace les premières années du fils unique de Napoléon III.
C’est une guerre qui n’aurait jamais dû éclater. Le Plébiscite du 8 mai 1870 est un triomphe pour Napoléon III : 7.350.000 oui contre 1.540.000 non et 1.800.000 abstentions. La question posée était de savoir si le peuple faisait confiance à l’Empereur pour instaurer un régime parlementaire. C’était dix-huit ans après un premier plébiscite pour approuver le coup d’Etat du 2 décembre 1851, ce qui lui avait permis de rétablir l’Empire le 2 décembre suivant. Napoléon III est rassuré : depuis qu’il est au pouvoir, l’ Empereur a apporté à la France un développement économique et social considérable malgré le terrible échec de l’expédition du Mexique.
C’est alors que survient une étonnante nouvelle : le 3 juillet 1870, on apprend que le général Prim, qui gouverne provisoirement l’Espagne après la révolution qui a chassé de Madrid la reine Isabelle, vient d’offrir la Couronne au prince Léopold de Hohenzollern. Dans la coulisse, c’est évidemment le chancelier de Prusse, Bismarck, qui souhaite prendre la France en étau en imposant sur le trône espagnol un prince allemand de la branche catholique des Hohenzollern. Il semble que cette candidature ne puisse être acceptée car aucun Etat européen n’appuierait un tel projet.
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En France, cette surprenante décision provoque une indignation qui unit tous les Français, des soutiens du régime à l’opposition. Les choses ne devraient pas aller plus loin puisqu’on apprend, le 12 juillet, que le prince Léopold de Hohenzollern retire sa candidature. Au palais de Saint-Cloud, on respire. L’Empereur est soulagé. Il ne veut pas de guerre. Mais l’opinion est surchauffée. Le retrait du prince ne suffit pas. On exige la garantie qu’aucun Hohenzollern ne montera jamais sur le trône d’Espagne.
L’ambassadeur de France à Berlin est particulièrement maladroit. Il demande une audience au roi de Prusse, qui séjourne alors dans la station thermale d’Ems, en Rhénanie. Guillaume 1er lui confirme la renonciation de Léopold mais il ne fait aucune promesse. L’ambassadeur revient à la charge lors d’une promenade du roi qui, agacé de l’insistance du diplomate, répète que pour lui, cette affaire est terminée. Et c’est là que Bismarck, machiavélique, modifie la version des faits dans la dépêche qu’il fait paraître le lendemain, en première page de la Gazette de l’Allemagne du Nord. Cette dépêche, que l’on appellera "la dépêche d’Ems", est un piège diplomatique : elle donne l’impression que la France, par son ambassadeur, a reçu un affront délibéré du roi de Prusse.
Pour l’opinion publique française, la dépêche d’Ems déchaîne la colère. Dans les rues, des groupes se forment. On crie "A bas la Prusse ! A Berlin !". Napoléon III donne consigne à son ministre des Affaires étrangères, le duc de Gramont, d’éviter la guerre à tout prix. Mais face à ses ministres et à une Assemblée qui exigent la guerre, celle-ci est déclarée au gouvernement de Berlin le 19 juillet 1870. C’est une catastrophe : la France n’est pas prête !
Le prince impérial accompagne son père vers le front
Malgré les souffrances que lui cause, depuis plusieurs mois, un calcul dans la vessie, l’Empereur décide de prendre la tête de ses troupes. Et le 22 juillet, lors d’une proclamation au peuple français, Napoléon III déclare : "J’emmène mon fils avec moi malgré son jeune âge. Il sait quels sont les devoirs que son nom lui impose, il est fier de prendre sa part dans les dangers de ceux qui combattent pour la Patrie."
Louis, le Prince impérial, a 14 ans. Cela semble une folie d’emmener en campagne un adolescent qui ne pourra être d’aucune utilité. Il sera une charge et un souci pour son entourage, sans parler des dangers auxquels il risque d’être exposé.
Prosper Mérimée, très proche de l’Impératrice Eugénie, est un des rares qui préfèrerait voir l’héritier rester au palais de Saint-Cloud. Quant à la souveraine, si elle redoute pour son fils les dangers de la guerre, si elle le trouve beaucoup trop jeune pour cette expérience, elle finit par approuver le fait qu’il accompagne son père. Elle est certaine que le conflit sera favorable à la France. Et une victoire sur la Prusse est la meilleure façon d’assurer le trône de l’héritier…
Le prince impérial, lui, ne peut contenir sa joie. Il ne quitte plus son uniforme de lieutenant. Sa mère lui a coupé les cheveux pour lui donner un aspect plus martial. Sa grand-mère, la comtesse de Montijo, lui a envoyé par télégramme sa bénédiction. Le soir, l’adolescent, accompagné de son aide de camp, visite dans leurs quartiers les troupes en garnison à Saint-Cloud. Il veut tout voir, des chambrées aux écuries. Le prince déclare même aux soldats, avec enthousiasme et fierté : "Vous savez que je pars moi aussi !".
Le 28 juillet, à 9h30 du matin, devant le palais de Saint-Cloud, l’Empereur et son fils prennent place dans une calèche attelée de deux poneys que l’impératrice conduit elle-même. Ils rejoignent la gare du chemin de fer desservant la résidence impériale dans le parc.
Pour ne pas exposer le souverain aux manifestations de délire de la foule hurlant "À Berlin !", il a été décidé que le train spécial ne traverserait pas Paris. Il gagnera directement le réseau de ceinture jusqu’à la ligne de la Compagnie de l’Est. Napoléon III est en uniforme de général de division, son fils très fier dans sa petite tenue de lieutenant d’infanterie. C’est l’heure des adieux sur le quai. Louis, qu’Eugénie surnomme Loulou, essuie une larme en disant : "Ce n’est pas que j’ai peur mais c’est à cause du chagrin de Maman."
Le Premier ministre, Émile Ollivier, est là. Il reste à Paris avec l’impératrice Eugénie, nommée régente. Napoléon III dit à son chef de gouvernement : "Je compte sur vous".
Au moment de monter dans le train, Eugénie trace le signe de croix sur le front de son fils en lui disant : "Fais ton devoir…"
L’Empereur et son héritier apparaissent à une fenêtre du train et tout le monde remarque alors combien Napoléon III a vieilli. Il a l’air fatigué et malade. A côté de lui, le prince paraît bien jeune, trop jeune… Ce garçon, si heureux de partir au front avec son père, va bientôt découvrir les horreurs d’une guerre impitoyable et subir la honte d’une défaite… Mais avant de vous raconter tout cela, il faut que je vous raconte les jeunes années du prince impérial.
Un héritier tant attendu…
Le dimanche 30 janvier 1853, dans Notre-Dame de Paris magnifiquement décorée par Viollet-le-Duc, l’Empereur s’était uni à la comtesse de Teba, Eugénie de Guzmàn Palafox, une Espagnole dont il était tombé éperdument amoureux. Le cérémonial était inspiré par celui du sacre de Napoléon, son oncle, dans cette même cathédrale, mais Napoléon III ne sera pas couronné. Pour les Français, c’est ce somptueux mariage qui tiendra lieu de sacre.
Eugénie a conquis les Parisiens amassés tout autour de la cathédrale lorsqu’après être descendue de son carrosse, avant d’entrer dans Notre-Dame, elle s’est retournée vers la foule qui l’acclamait et a fait à ses nouveaux sujets une superbe révérence de Cour. Certes, Eugénie n’est pas issue d’une famille royale mais de l’aristocratie espagnole. Pour l’épouser, Napoléon III a dû faire face à l’hostilité de son gouvernement et aux sarcasmes de sa propre famille, en particulier de sa cousine, la princesse Mathilde, à qui il avait été fiancé dans sa jeunesse. Le frère de cette dernière, Napoléon Jérôme, dit Plon-Plon, l’avait aussi critiqué.
Les mois passent et Eugénie n’est toujours pas enceinte. Lors d’une visite officielle en Angleterre, où le couple impérial est accueilli avec beaucoup de chaleur par la reine Victoria et son époux le prince Albert, Eugénie va nouer une relation très amicale et très intime avec la souveraine, qui a déjà huit enfants ! Elle lui confie ses inquiétudes et Victoria lui donne des conseils utiles. Surtout, elle lui envoie son propre gynécologue, sir Charles Locock.
Les recommandations de la reine d’Angleterre devaient être excellentes puisque quelques mois plus tard, l’impératrice est enceinte. Elle accouche le 16 mars 1856 d’un garçon alors que se tient le Congrès de Paris qui solde la Guerre de Crimée. C’est un triomphe pour Napoléon III, vainqueur aux côtés de la Grande Bretagne face à la Russie. Une sorte de revanche sur le Congrès de Vienne… L’arrivée d’un héritier, juste à ce moment, est de bonne augure.
Toutes les cloches de Paris sonnent. Pour une fille, on aurait compté 21 coups de canon. Il y en eut cent. A la vingt et unième salve, le vieil adjudant qui était à Austerlitz et commande le tir, prolonge un peu l’attente et ordonne la reprise des salves. L’allégresse est générale ! Lors de la naissance de l’héritier, Napoléon III signe un manifeste qui abroge trois lois et décrets de proscription. Plus personne n’est proscrit, ni les Bourbons, ni les Orléans. Il ne va rester que Victor Hugo, qui depuis son exil volontaire de Guernesey lancera sa fameuse apostrophe des opposants au régime impérial : "S’il n’en reste que dix, je serai le dixième. Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là".
Un baptême en grande pompe
Le baptême a lieu le 14 juin, encore à Notre-Dame, dans un décor encore plus somptueux que pour le mariage. L’architecte Ballu habille les murs de la cathédrale de lourdes tentures écarlates descendant jusqu’au sol, tandis que qu’un faux plafond bleu pâle, semé d’étoiles d’or, symbolise le Ciel. Le parrain est le Pape Pie IX lui-même. Il n’a pas fait le voyage mais envoyé un cardinal légat pour le représenter. Les démêlés de Pie VII avec Napoléon 1er n’y sont peut-être pas pour rien ! La marraine est la reine de Suède, fille du prince Eugène de Beauharnais. Après le baptême et le Te Deum, les réjouissances populaires durent toute la nuit. Des fontaines de vin et des buffets sont installés à tous les carrefours et des orchestres font danser les Parisiens jusque très tard.
Le jeune Louis sera un enfant très choyé, trop peut-être. L’Empereur est fou de son petit garçon auquel il passe tous ses caprices. A 18 mois, on le met déjà sur un cheval avec un écuyer remarquable, Auguste Vachon, qui l’accompagnera toute sa vie, y compris en exil. Le prince impérial a une gouvernante anglaise, Miss Shaw, qu’il adore. Louis se révèle un petit garçon franc et généreux, ni timide ni emprunté. Il aborde toujours les gens avec naturel et gentillesse, même s’il ne les connaît pas. Il vit principalement aux Tuileries et à Saint-Cloud, au printemps à Fontainebleau, à Biarritz au mois d'août et passe l’automne à Compiègne pour les fameuses "séries".
Eugénie est plus sévère avec Louis, jugeant déplorables les faiblesses de son époux à l’égard de leur fils. Ses parents le quittent parfois pour un voyage comme lorsqu’ils vont visiter les nouveaux territoires français, Nice, la Savoie, l’Algérie. En 1863, on donne à Louis un précepteur. Francis Monnier est un jeune professeur de troisième. Provincial très érudit, aux idées rousseauistes, il s’entend très bien avec son jeune élève. Mais il n’est pas pédagogue et n’aide pas le prince héritier à structurer son intelligence. Comme Monnier ne s’entend pas avec le gouverneur de la Maison du prince, le général Frossard, il finit par démissionner. En 1866, un nouveau précepteur est nommé, Augustin Filon, ancien élève de l’Ecole Normale, doué d’un esprit brillant. Il se rend immédiatement compte du retard du prince, âgé de 10 ans. Grâce à Augustin Filon, l’héritier devient un élève assidu. Mérimée constate, soulagé, le changement opéré : "Le prince a grandi et il est maintenant plein de santé et d’activités. Il m’a semblé aussi qu’on le tenait mieux que par le passé. Pendant le déjeuner, l’Empereur l’a envoyé pour me le montrer. Réponse : "le prince est à travailler et ne sera pas libre avant une demi-heure". Cela m’a fait plaisir et m’a montré que le général Frossard fait son métier."
Louis est promu lieutenant
Pour son treizième anniversaire, Louis est promu lieutenant. C’est maintenant en uniforme d’officier qu’il apparaîtra dans les cérémonies officielles. L’année 1870 s’annonce sous les meilleurs auspices. Le prince est l’objet de toutes les attentions. La princesse Mathilde offre une réception en son honneur dans son hôtel de la rue de Courcelles. Louis est excellent danseur. Il ouvrira le bal avec le "Quadrille du Prince Impérial".
Pour le Mardi-Gras, le 10 mars, Louis donne une fête chez lui, au Pavillon de Flore, où l’on vient d’installer ses appartements. Quatre-vingt invités assistent à une représentation théâtrale où il interprète un vieil érudit passionné de fouilles… Il est très drôle ! Au printemps, c’est la joie des bons résultats du plébiscite, mais le 28 juillet, c’est le départ pour le front, que je vous ai raconté au début de ce récit.
Le train impérial arrive à Metz à six heures et demie. L’Empereur découvre combien les troupes sont loin d’être aussi prêtes qu’on le lui avait dit. Sur son bureau, venant des différents corps d’armée, s’amoncellent des télégrammes plus désabusés les uns que les autres. Les munitions pour l’artillerie n’arrivent pas et le 6ème Corps d’Armée n’aura bientôt plus de rations de vivres, à part du sucre et du café.
L’Empereur tient une conférence avec les principaux chefs militaires venus le saluer tandis que Louis se rend à cheval pour visiter les Dragons de l’Impératrice et les Cuirassiers de la Garde. Le premier engagement a lieu le 2 août à Sarrebrück. Louis y assiste en compagnie de son père. Le 2ème Corps, commandé par Frossard, réussit à s’emparer d’un pont sur la Sarre. C’est une petite victoire. Mais Napoléon III n’est pas dupe. Il écrit à Eugénie : "Rien n’est prêt. Nous n’avons pas assez de troupes. Je nous considère comme perdus…"
La défaite
Effectivement, les défaites vont s’enchaîner, Froeschwiller et Reichshoffen. Le même jour, Frossard est battu à Forbach. Mac Mahon, le vainqueur de Magenta, est lui aussi battu. Le moral des troupes est au plus bas. L’Empereur souffre abominablement de sa vessie au point que les quelques heures par jour qu’il passe à cheval sont une torture. L’armée française, désorganisée, se replie sans plan de retraite. Certains officiers demandent à l’Empereur de reprendre les rênes du pouvoir à Paris. C’est ce que demande aussi le chef du gouvernement, Émile Ollivier. La régente, Eugénie, n’est pas de cet avis.
Pendant ce temps, à Paris, l’opposition s’agite. Le ministère Ollivier tombe, il n’aura tenu que sept mois. L’Empereur et son fils se rendent à Chalons qu’il faut évacuer le 21 août. Ils se séparent le 24 août. Louis prend la route de Mézières tandis que son père continue vers Sedan. Le prince passe à Charleville puis à Avesnes où l’on pense qu’il sera plus à l’abri. Il vit trois jours d’angoisse en espérant des nouvelles de son père.
Sedan tombe et le 2 septembre, l’Empereur capitule. Il se rend au roi de Prusse, lui livrant 83.000 prisonniers dont sa propre personne. C’est la chute du Second Empire. Mais les bruits les plus contradictoires circulent. Le 4 septembre, la République est proclamée. Pour mettre le prince en sécurité, son escorte l’accompagne dans un train jusqu’à Maubeuge, au plus près de la frontière belge. A Paris, l’impératrice quitte les Tuileries pour toujours. Elle envoie un télégramme ordonnant qu’on accompagne immédiatement le prince en Belgique.
Louis arrive à Mons vers sept heures du soir. Le commandant Duperré voudrait le conduire à Verviers où son père, prisonnier, est en transit, avant de gagner Cassel, dans la Hesse. Le comte Clary prend les ordres de l’Empereur déchu : Napoléon III souhaite que son fils gagne le plus tôt possible l’Angleterre. Clary conduit donc le prince en train jusqu’à Ostende où il passe la nuit. Le lendemain, il embarque sur le steamer Comte de Flandre, le yacht du roi des Belges.
Treize heures plus tard, il accoste à Douvres. Puis un train le conduit à Hastings, au sud-est de Londres, lieu de la célèbre victoire de Guillaume le Conquérant en 1066. Un appartement lui a été réservé au Marine Hôtel. Louis est perdu, épuisé, son père est prisonnier du roi Guillaume de Prusse et il ignore où est sa mère. L’exil commence.
Ressources bibliographiques :
Jean-Claude Lachnitt, Le Prince impérial "Napoléon IV" (Perrin, 1997)
Jean des Cars, Eugénie, la dernière impératrice (Perrin, 2000, Grand Prix de la Fondation Napoléon)