Les nombreux visages de Jack l’Éventreur (partie 2)

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SAISON 2020 - 2021

Sous le règne de la reine Victoria, Jack L'Éventreur sévit dans les rues de Londres. Il assassine plusieurs prostituées avec une férocité rare… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars achève son récit sur le mystère de l’identité du tueur en série.

Depuis les années 1880 et les premiers meurtres de Jack L'Eventreur, plus de 202 individus ont été suspectés​. Membre de la famille royale, médecin, peintre, barbier, boucher… Les pires rumeurs ont circulé et à ce jour le mystère n’a jamais été élucidé. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars achève son récit sur les crimes abominables du tueur anglais.

En 1923, un journaliste anglais, William Le Queux, croit voir Jack L'Éventreur dans un médecin russe, le Dr. Pedachenko, membre de l'Okhrana, la terrible police secrète du tsar Alexandre III dans les années 1880. Elle l’aurait envoyé à Londres pour commettre des crimes épouvantables et surtout ridiculiser Scotland Yard. En effet, Saint-Pétersbourg reprochait à Londres d’accueillir et de protéger des révolutionnaires russes en exil. Exfiltré après avoir commis tous ces crimes, le médecin aurait été enfermé jusqu’à sa mort dans un asile d’aliénés. Mais William Le Queux n’avance aucune preuve pour étayer sa rocambolesque hypothèse. 

En 1929, un autre journaliste, William Matters, publie un livre « Le mystère de Jack l’Eventreur ». Cette fois, le médecin est Britannique. Il s’appelle Dr. Stanley mais ce n’est pas son vrai nom. Il a dû en changer par égard pour son honorable famille. Selon cette thèse, il aurait perdu son fils, mort d’une syphilis contractée deux ans plus tôt auprès d’une prostituée, Mary Jane Kelly, la dernière victime de Jack l’Eventreur. Sa vengeance accomplie, le médecin se serait exilé en Argentine. Le livre a connu un immense succès mais ici encore, il s’agit d’une affabulation sans preuve. 

En 1959, Lady Aberconway rend publiques les notes prises par son père, Sir Melville  Macnaghten, qui avait dirigé la Brigade Criminelle de Scotland Yard de 1903 à 1913. Il y était entré en 1889, donc juste après les assassinats, et il avait participé à la clôture du dossier qu’il connaissait parfaitement. Or, en 1959, ce dossier était encore non consultable. Grâce à ses notes, on connaît les noms de trois suspects retenus par les enquêteurs : d’abord, Michael Ostrog, un médecin russe condamné pour des actes de cruauté envers des femmes et qui vivait à Whitechapel au moment des faits. Puis,  Aaron Kosminsky, un barbier juif polonais. Lui aussi résidait à Whitechapel à l’époque des crimes. Ses tendances homicides et son agressivité l’avaient fait interner dans un asile en mars 1889. Enfin, le troisième, Montague John Druitt, un jeune avocat de 31 ans, qui s’était suicidé en se jetant dans la Tamise, quelque semaines après l’assassinat de Mary Jane Kelly. Le Yard avait vite écarté Ostrog et Kosminsky mais a peut-être eu tort pour ce dernier. Quant à Druitt, il va inspirer à un auteur américain un livre appelé « Un automne de terreur ».  Il fait du jeune avocat Jack l’Eventreur. Mais une fois encore, la thèse s’effondre à l’ouverture du dossier en 1992 : on s’aperçoit qu’il n’y avait aucun élément contre John Druitt.

Des soupçons sur le duc de Clarence ?

C’est en 1970 qu’un certain docteur Thomas Stowell publie dans la revue « The Criminologist » un article où il affirme que l’Eventreur est un aristocrate de très haut rang, atteint de syphilis et dont l’état mental s’était dégradé au point de lui faire commettre ces horribles meurtres. Démasqué par sa famille, discrètement interné dans un établissement spécialisé, il s’en était évadé pour commettre le cinquième et dernier meurtre avant d’être interné définitivement. Aucun nom n’était cité mais toutes sortes d’indices laissaient penser qu’il pouvait s’agir du duc de Clarence, petit-fils de la reine Victoria et fils aîné du prince de Galles, donc deuxième dans l’ordre de succession. 

La ficelle était un peu grosse. En effet, en 1888, le duc de Clarence n’était interné nulle part et avait participé à de nombreuses cérémonies officielles. On a aussi pu établir, selon son agenda officiel publié par la Cour, que lors des cinq assassinats, il n’était pas à Londres. Stowell a vite retiré ses accusations et adressé une lettre d’excuses au Times qui les avait publiées. 

Tout aurait dû s'arrêter là. Mais le soupçon va réapparaître sous une autre forme. A la fin des années 1970, la BBC programme une série d’émissions sur le mystère Jack l’Eventreur. C’est là qu’apparaît un étrange personnage nommé Joseph Gorman. Il se dit fils illégitime du peintre post-impressionniste Walter Sickert, célèbre en Grande-Bretagne. Et il raconte un bizarre roman victorien…

En 1884, la princesse Alexandra, épouse du prince de Galles et futur roi Edouard VII, demande à Walter Sickert d’apprendre le dessin à son fils, le duc de Clarence. Les cours ont lieu à l’atelier du peintre. Il y rencontre un jeune modèle, Annie Elisabeth Crook, dont il tombe amoureux. Ils se marient secrètement. Leur témoin est Mary Jane Kelly, qui sera la dernière victime de Jack l’Eventreur. De cette union, naît une petite fille, Alice Margaret, le 18 avril 1885. Le duc de Clarence et son épouse secrète se voient souvent sans que personne ne s’aperçoive de rien, ce qui semble un peu bizarre étant donné le statut du prince. En 1888, le pot aux roses est découvert. Scandale ! Annie Crook est roturière et catholique. La reine Victoria demande à son Premier ministre lord Salisbury de faire disparaître la jeune femme. Le médecin de la famille royale, le Dr. Gull, la déclare folle et la fait enfermer dans un asile où elle restera jusqu’à son décès en 1920. Son bébé échappe à cette machination. C’est Mary Jane Kelly qui s’en occupe et qui la cache. 

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Sans argent, elle est obligée de se prostituer et a la très mauvaise idée de tenter de faire chanter la famille royale. Elle en a une encore plus mauvaise : elle raconte son histoire à quatre de ses compagnes de prostitution. Ce sont, évidemment, les quatre autres futures victimes de Jack l’Eventreur. Le Premier ministre ordonne l’élimination de ces cinq femmes. Trois hommes vont se charger de la macabre besogne : le médecin de la Cour William Gull, le numéro 2 de Scotland yard, Robert Anderson et un certain  Netley, le cocher de William Gull. Quant à la petite Alice, la fille du prince et d’Annie Crook, elle a été recueillie par le peintre Sickert dont elle deviendra la maîtresse avant d’épouser un certain  Gorman. Mais leur fils, Joseph Gorman, prétend que Sickert est en fait père…

Dans toutes ces élucubrations, la mise en cause du numéro 2 de Scotland Yard Robert Anderson était impossible. Il se trouvait en Suisse lors des premiers meurtres... Stephen Knight va tirer un livre de cette histoire. On ne peut pas mettre en cause Anderson ? Ce n’est pas grave, on va le remplacer par le peintre Sickert ! Et pour corser le tout, on va faire de ce complot une conspiration maçonnique : Gull, Anderson et Sickert sont tous francs-maçons, Charles Warren et Lord Salisbury aussi. Rien n’arrête le romancier ! Il imagine même que les mutilations reproduisent d’anciens rituels maçonniques... 

Finalement, en 1978, Gorman reconnaît qu’il a tout inventé. En 1985, Stephen Knight meurt d’une tumeur au cerveau à 34 ans. Et Gorman se rétracte malgré l’invraisemblance totale de son récit. Ce tissus d’inventions a quand même eu une descendance au cinéma : en 1968, un premier film « Meurtre par décret » reprend le récit de Stephen Knight en y ajoutant Sherlock Holmes, interprété par Christopher Plummer et le docteur Watson joué par James Mason. Puis, il y aura un téléfilm, produit par la BBC, avec Michael Caine, et une BD « From Hell ». A partir de celle-ci, un nouveau film  est réalisé  en 2001 avec Johnny Depp. Quant au duc de Clarence, si son nom a été brièvement évoqué dans cette ténébreuse affaire, il n’a évidemment rien à voir avec les meurtres de Whitechapel. 

En revanche, l’année suivante, en 1889, il sera mêlé à un énorme scandale connu sous le nom de « l’affaire des petit télégraphistes ». C’est une sordide histoire de prostitution de jeunes garçons, presque tous télégraphistes, qui offrent leurs charmes rémunérés au gratin londonien dans un hôtel situé au 19 Cleveland Street, à deux pas de la Poste Centrale. Le Surintendant des écuries du prince de Galles, Lord Somerset, compromis, devra démissionner et se réfugier en France. On dit qu’on l’a exilé aussi  de peur qu’il ne mentionne les initiales PAV, pour Prince Albert Victor, duc de Clarence, s’il était convoqué devant un tribunal car lui aussi aurait fréquenté l’hôtel de Cleveland Street. 

Avec tant de noms célèbres et haut placés ayant fréquenté « les petits télégraphistes », le procès tournera court et le scandale sera étouffé. Albert Victor qu’on avait envoyé voyager aux Indes pourra rentrer et se fiancer à la princesse Mary de Teck. Il mourra d’une pneumonie en 1892, juste avant son mariage. Malgré tout, Mary de Teck deviendra quand même reine d’Angleterre puisque l’année suivante elle épousera le frère cadet de feu son fiancé, George, le futur roi George V, et sera la grand-mère chérie de la future reine Elizabeth II. La famille royale est donc totalement blanchie dans « l’affaire Jack L’Eventreur ». Qu’importe : les chercheurs vont encore dénicher de nouveaux assassins potentiels…

Dernières hypothèses au XXe siècle…

En 1993, l’éditeur londonien  Robert Smith publie le « Journal de Jack L’Eventreur » que lui aurait apporté un ouvrier de Liverpool. Le papier du manuscrit original date effectivement de l’époque victorienne et les premières pages en ont été déchirées. Dans ce texte, il y a des erreurs mais aussi des détails connus à l’époque seulement de la police et… de l’assassin. On a donc deux hypothèses : ou il s’agit d’un faux fabriqué récemment sur du papier ancien ou du véritable journal du tueur. 

On imagine alors que l’assassin est le héros d’un fait divers datant de 1889, James Maybrick. Il était mort en 1889 empoisonné à l’arsenic par sa femme qui avait un amant. Mais auparavant, pour se venger de la perfidie féminine, il aurait assassiné quelques prostituées. Son épouse, condamnée à mort, avait finalement été graciée. Elle n’avait jamais fait allusion lors de son procès aux agissements de son mari, alors qu’elle était supposée être au courant. Le fameux ouvrier de Liverpool, qui avait livré le manuscrit, avouera deux ans plus tard, en 1995, que le journal est un faux, écrit par son épouse sous sa dictée. 

On pourrait en rester là mais… La romancière américaine Patricia Cornwell, après avoir remporté un immense succès avec les enquêtes de son héroïne le médecin-légiste Kay Scarpetta, publie, en 2002, « Jack l'Éventreur : affaire classée. Portrait d’un tueur ». L’autrice a la conviction que Jack l’Eventreur n’est autre que le peintre Walter Sickert dont je vous ai déjà parlé. Elle se fonde sur le fait qu’il a peint plusieurs tableaux ayant pour sujet l’assassinat d’une prostituée. C’est un peu mince. 

Elle espérait que grâce aux progrès de la science, on pourrait trouver l’ADN de Jack l’Eventreur sous les timbres des lettres qu’il avait envoyées. Il suffisait alors de confronter ces données génétiques à celles de Sickert. Cornwell estime aussi qu’on pourrait trouver de l’ADN sur les tableaux du peintre. Elle en possède plusieurs. L’analyse est faite. Bingo : la concordance est parfaite, cette fois c’est gagné ! Hélas... cette découverte n’est pas une réelle avancée car rien ne prouve que les lettres envoyées par Jack l’Eventreur aient été écrites par lui et on les considère à peu près toutes apocryphes... Plus grave : le peintre Sickert ayant été incinéré, on a recouru à l’ADN de ses descendants mais la similitude des ADN confondus peut être commune à quelques… 400.000 personnes ! Donc ce n’est pas une preuve. Néanmoins, Patricia Cornwell reste certaine de la culpabilité du peintre.

Les dernières hypothèses

Mais cette « découverte » (entre guillemets) ne décourage pas les irréductibles chercheurs du véritable Jack l’Eventreur… En 2007, un fan de cette affaire, Russel Edwards, apprend qu’on va vendre aux enchères, dans le Suffolk, un châle qui aurait appartenu à Catherine Eddowes, la victime tuée à Mitre Square. Le vendeur est un descendant d’un policier qui avait participé à l’enquête et avait subtilité cette pièce à conviction pour l’offrir… à sa femme ! Un cadeau de très bon goût ! 

Tout comme Patricia Cornwell, Russel Edwards a aussi sa conviction sur l’identité du tueur mais ce n’est pas la même : il penche pour le barbier juif de Whitechapel Aaron Kosminski, un suspect déjà cité. Sur le châle, on trouve des traces de sperme, on trouve une descendante de la sœur de Kominsky et… re-Bingo : les ADN sont identiques ! Maintenant,  on a deux Jack L’Eventreur, il faut trancher ! 

Un généticien, sir Alec Jeffreys, qui a découvert les applications de l’ADN en matière criminalistique, estime impossible de trouver des traces exploitables au bout de 126 ans sur un objet qui n’a cessé de circuler de main en main… Pire encore : les experts pointent du doigt une erreur de nomenclature commise par le spécialiste de biologie moléculaire qui a pratiqué l’analyse. Et puis, au fond, rien ne prouve que le châle ait appartenu à Catherine Eddowes…  

Les experts de Sotheby’s l’examinent à leur tour. Ils concluent qu’il date de l’époque edwardienne, c'est-à-dire plus de quinze ans après les meurtres. Dernière catastrophe : un historien, qui effectue des recherches dans les archives de Scotland Yard, affirme que le sergent Simpson, premier possesseur du châle, n’était pas en fonction à Londres en 1888. Décourageant ? Mais non !  En 2007, une Française, Sophie Herfort, publie un livre « Jack l’Eventreur démasqué : l’enquête définitive ».

Personne n’y avait encore pensé : Jack L’Eventreur n’était autre que Sir Neville Macnaghten, ce haut-fonctionnaire de Scotland Yard dont les notes concernant l’affaire avaient été publiées par sa fille, lady  Aberconway en 1959. L’autrice affirme que Scotland Yard savait tout et avait couvert les horribles crimes de Macnaghten. La police anglaise est visiblement très bienveillante puisque ce criminel a passé 24 ans dans ses rangs pour finir numéro 2 de cette institution et être anobli en 1908 par le roi Edouard VII. 

On peut s’épargner le livre de Richard Wallace paru en 1993. Pour lui, aucun doute : Jack l'Eventreur, c'est Lewis Caroll, le père de « Alice au pays des merveilles » ! Certes, on savait qu’il était un peu pervers. Malheureusement, il séjournait à Eastbourne pendant toute la période des crimes de l'énigmatique Jack…

Et ce n’est pas fini ! Il y en a beaucoup d’autres, à tel point qu’un certain Christopher J. Morlay a constitué, en 2005, un guide des suspects qui recense...  202 criminels potentiels ! En 2018, Paul Williams tente un dernier bilan : cette-fois, on en comptabilise 333 ! Qui dit mieux ?  

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière  
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais

Ressources bibliographiques 

Stanley Weintraub, Victoria, une biographie intime, Traduit de l’anglais par Béatrice Vierne (Robert Laffont, 1988)

Jacques de Langlade, La reine Victoria, préface de Robert Merle (Perrin, 2000)

Bernard Oudin, Les multiples fantômes de Jack l'Éventreur, dans Les énigmes de l’histoire du monde, sous la direction de Jean-Christian Petitfils (Perrin/Le Figaro Histoire, 2019)

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