En 1940, en Dordogne, des enfants découvraient une mystérieuse grotte. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur l'incroyable découverte de Lascaux.
Il y a 80 ans, la découverte d’un physicien américain allait bouleverser la recherche historique. C’est le carbone 14. Grâce à cet élément radioactif, un mystère allait pouvoir être éclairci. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, découvrez l'histoire de la découverte de la grotte de Lascaux.
Depuis l’armistice du 22 juin 1940, le département de la Dordogne fait partie de la zone libre, au sud de la ligne de démarcation. Le 12 septembre, parce que dans les bois de Montignac-sur-Vézère, leur chien, appelé Robot, s’excite devant l’entrée d’un souterrain, quatre garçons se persuadent que c’est un passage secret. Pour ces jeunes Périgourdins, il devait sûrement conduire au trésor du château de Montignac. On en parlait dans la région depuis longtemps. On ne savait pas en quoi il consistait mais on assurait même qu’il vaudrait une trentaine de millions de l’époque ! De quoi faire rêver des adolescents !
L’un des jeunes gens, Marcel Ravidat, d’abord seul, découvre une ouverture dans la colline au bord du plateau dominant la Vézère. Quatre jours plus tard, il revient avec ses amis Jacques Marsal, Georges Agniel, et Simon Coencas. Les garçons, au moyen d’une corde, s’enfoncent dans l’inconnu. Soudain, à la lueur vacillante de torches, ils font une découverte stupéfiante. Ce qui semblait être un trou de renard est, en réalité, l’amorce d’une cavité. Elle est profonde. Ils se retrouvent dans une vaste salle.
Comme l’éclairage est insuffisant, ils ressortent et dans une ferme voisine, ils dénichent une pompe. Munie d’une mèche imprégnée de pétrole, elle leur fournit une lumière plus forte. Ce qu’ils voient les stupéfie : sur les parois d’une galerie, ils découvrent de grands dessins colorés. De l’ocre, du jaune, du violet. Un incroyable bestiaire : sur une vingtaine de mètres, sont représentés de grands taureaux, des cerfs, des aurochs, des chevaux plus petits que les autres animaux. La plus grande représentation mesure environ 5,50 m de long. Un taureau géant !
Dans un silence de cathédrale, ce spectacle est fantastique ! Comment est-il possible de trouver une telle accumulation graphique sous la terre ? Qui a peint ces animaux ? Et surtout quand ? Emus, les inventeurs de ce trésor inattendu ne vont pas plus loin. Ils sont émerveillés mais tout de même pas très rassurés !
Ils ressortent et font part de leur découverte à M. Laval, le seul archéologue du pays de Montignac. Mais celui-ci, souffrant, s’il les croit, ne peut se déplacer. Il charge un de ses amis, Maurice Thaon, de vérifier cette nouvelle. Ce dernier se rend dans la grotte, fait de nombreux croquis de ce qu’il voit et confirme les dires des adolescents. Il porte immédiatement ses dessins à l’abbé Henri Breuil. Cet ecclésiastique est un célèbre préhistorien, membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles lettres, professeur au Collège de France. Sa spécialité est l’art paléolithique. Il a déjà participé à la découverte et à l’authentification de plusieurs grottes.
"La chapelle sixtine de la Préhistoire"
Dès le lendemain, l’abbé Breuil et deux collègues se rendent dans ce qu’on appelle désormais la grotte de Lascaux. Celle-ci est, pour la première fois, visitée d’une façon scientifique, par des experts. L’abbé Breuil n’en doute pas : Lascaux est la plus importante grotte ornée découverte depuis une cinquantaine d’années. L’ampleur et la qualité des peintures permettent de les comparer à celles de la grotte d’Altamira, découverte en Espagne en 1879, qu’il a étudiées.
L’abbé Breuil est émerveillé. Il est frappé par l’analogie de ce lieu avec la crypte d’une basilique. Il déclare que Lascaux "est la Chapelle Sixtine de la Préhistoire". La formule, remarquable, devient vite célèbre. Le préhistorien dresse une nomenclature rapide des peintures. Il y en a cent vingt. Curieusement, il n’y a ni rennes ni mammouths. Mais des ours, des lions et des bisons sont identifiés.
Dans ce qu’on appelle aujourd’hui le puits, une scène est particulièrement intéressante : c’est celle d’un homme qui gît renversé près d’un bison éventré, qui perd ses entrailles. A l’évidence, il y a eu un combat entre l’animal et l’homme. Celui-ci, blessé, est représenté par un simple trait noir, à la manière d’un dessin d’enfant mais son anatomie est correcte. Ce personnage est observé par un oiseau tandis qu’un rhinocéros semble s’éloigner. On peut supposer que c’est l’évocation d’une chasse.
L’abbé Breuil et ses compagnons remarquent que certaines de ces images ont été repeintes, modifiées, reprises, complétées par des contours différents comme si l’artiste avait eu des remords. Il y a des superpositions de traits et de couleurs. Ce sont des hésitations que connaissent, à toutes les époques et dans tous les genres, bien des illustrateurs. Les analyses radiographiques l’ont déjà prouvé. Parfois, on peut aussi penser que le dessin primitif a été utilisé, plus tard, par d’autres artistes que l’auteur initial. Mais comment savoir le temps qui s’est écoulé entre les premiers traits et les corrections ultérieures ?
En continuant leur exploration de Lascaux, les préhistoriens découvrent des lampes, des sagaies, des éléments de parures, des restes d’échafaudages, de colorants et de pierres ayant servi à graver les scènes dans la roche.
Si ces œuvres sont déjà fascinantes et suscitent toutes sortes d’interrogations, la configuration de la grotte n’est pas moins intéressante. La grande salle, orientée au sud-sud-est, mesure 32 m de long sur 10 m de large. Elle est prolongée par une sorte de couloir de 18 m. Puis, une nouvelle galerie de 16 m, dont la voûte est très basse, aboutit à une petite salle triangulaire. Là, s’ouvre ce qu’on appellera, en exagérant, le gouffre. En réalité, c’est une faille de 5 m. Il y a encore d’autres galeries, des puits, des passages difficiles.
Une certitude s’impose : que l’on soit préhistorien ou profane, on est doublement ému, par l’étonnante conservation de ces peintures mais aussi par le sens artistique des hommes vivant à l’époque de la pierre taillée, il y a des milliers d’années.
Vingt mille ans sous la terre ?
La paix revenue, la grotte de Lascaux est classée monument historique en 1948 et ouverte au public. Un débat entre spécialistes autorise l’abbé Breuil à rattacher les trésors de Lascaux à l’époque du périgordien supérieur, approximativement entre - 24.000 ans et - 19.000 ans. Mais un peu plus tard, grâce au Carbone 14, isotope radioactif présent en faible quantité dans la nature, cette datation sera corrigée par d’autres recherches et une nouvelle méthode de datation qu’avait mise au point, en 1946, l’Américain Frank Libby. Il recevra le Prix Nobel de Chimie en 1960.
La datation de Lascaux est alors corrigée : l’ensemble est désormais situé au magdalénien ancien, soit environ entre -15.000 et -13.500 ans. Grâce au Carbone 14, les merveilles de Lascaux rajeunissent de près de 10. 000 ans ! Un lifting impressionnant !
La célébrité de la grotte dépasse la communauté scientifique. Les visiteurs admirent le style de ces peintures. On estime que c’est une période d’apogée. Elle marie l’acuité de l’observation animale et l’élégance des moyens artistiques. En effet, la notion de perspective est présente dans les membres des animaux. De même, le relief de la grotte est bien exploité. Loin d’être un obstacle, il est un avantage. Autrement dit, les artistes d’il y a 15.000 ans étaient déjà des professionnels : ils avaient transformé une grotte en galerie d’expositions !
Mais Lascaux est victime de son succès : on vient de très loin pour la visiter. Peu à peu, on constate des dégradations à cause d’une trop grande fréquentation touristique. La grotte est fragile, peu profonde et soumise, entre autres, aux variations du climat, de la température et à la respiration des visiteurs. Signe inquiétant : des champignons apparaissent sur les œuvres picturales. Les préhistoriens s’alarment : il faut sauver Lascaux ! Il n’est pas pensable qu’une telle merveille, qui a résisté à 15.000 ans, soit dégradée en deux décennies. En 1963, André Malraux, ministre des Affaires Culturelles fait fermer la grotte au public. Seuls des spécialistes pourront, au compte-gouttes, y avoir accès. Lascaux est, pour ainsi dire, en soins intensifs.
Pour survivre, Lascaux se cache et se multiplie...
Cette fermeture est évidemment dommageable pour les passionnés de préhistoire et le tourisme. Il est indispensable de ne pas priver le public d’une telle plongée dans l’admiration de 1.500 gravures rupestres et de 680 peintures. Alors, commence un travail très délicat. Il faudra vingt ans pour réaliser une réplique, partielle, de l’original. En 1983, Lascaux 2 est ouvert. Il y a les pour, il y a les contre. Si 250.000 visiteurs annuels sont éblouis, ils ne peuvent voir qu’une reproduction, grandeur nature, de la salle des taureaux et du diverticule axial.
Afin d’atteindre un public rebuté par la fermeture de la véritable grotte, à partir de 2012, un modèle en kit, Lascaux 3, allait se promener à travers le monde ! La location de cette grotte mobile est alors chiffrée entre 50.000 et 70.000 par mois. L’idée surprend, attire quelques curieux, mais elle n’est finalement pas jugée pertinente…
Paléontologues, préhistoriens et autres gens de sciences plaident pour qu’une réplique complète soit présente sur son lieu historique. Un endroit où l’humain d’il y a environ 150 siècles est devenu un artiste fascinant, nous léguant un témoignage aussi fabuleux que mystérieux et énigmatique.
Lascaux 4 : un réussite totale
Un complexe, totalement nouveau, à 900 mètres plus bas de la grotte d’origine a été ouvert le 15 décembre 2016. Coût : 57 millions d’euros. Lascaux 4 est une réussite totale. L’ambition ne se limitait pas à reconstituer l’ensemble de la caverne mais d’y ajouter l'abside, la nef et le puits. Il fallait montrer cet univers qui avait séduit notre ancêtre Cro-Magnon.
Les ingénieurs ont conçu une modélisation en 3D, totalisant un relevé de 250 millions de points. Elle permet de reproduire le volume avec une précision inégalée, au millimètre près. La paroi ainsi créée est un immense puzzle de 54 blocs où figurent les répliques des chefs-d’oeuvre de l’art préhistorique.
Le bâtiment, une longue ligne brisée de verre et de béton, d’une élégante sobriété, se fond dans le paysage au pied de la colline de Lascaux. C’est un véritable sanctuaire des alentours, afin de respecter les exigences de l'État et de l’Unesco, qui a inscrit la grotte "historique" au patrimoine mondial de l’humanité.
Le visiteur grimpe sur un belvédère qui descend en pente douce, au milieu de la forêt, vers la porte d’entrée. L’illusion est parfaite, l’émotion intacte. Une fraiseuse numérique a restitué le moindre centimètre de relief avant d’être moulé en l’enduisant d’élastomères et autres polymères. Lascaux devient, ici, un monument d’art plastique !
La paroi blanche a servi de support à un important groupe de peintres et de graveurs. Francis Ringenbach, directeur des fac-similés du Périgord, la PME chargée de cette étape cruciale du projet, explique leur travail : "Pendant des mois, ils ont esquissé puis coloré avec de l’encre rouge, jaune et brun (pigmenté par de l’oxyde de fer ou du manganèse) de la terre et de l’argile pour redessiner les fresques originelles".
Un travail de fourmi
Pour ce travail exceptionnel et inédit, 34 peintres - copistes se sont succédé afin de réaliser, à l’identique, 500 mètres carrés de parois révélant des merveilles de l’art pariétal. Un labeur minutieux, à l’aide d’un rétroprojecteur calquant sur la paroi l’image capturée, dans la grotte, en reproduisant sa position initiale. Cela n’empêchait pas d’utiliser les mêmes outils qu’au Paléolithique.
Enfin, un à un, les panneaux ont été transportés jusqu’au site d’exposition où ils ont été assemblés sur une structure métallique, dans un enchevêtrement de câbles et de tuyaux. Dans une salle attenant à la réplique, quelques unes des plus belles peintures sont reproduites à hauteur d’homme, afin de rendre accessibles et visibles les moindres détails. Pour Yves Coppens, paléontologue, professeur au Collège de France et président du Conseil Scientifique de Lascaux depuis 2010, organisme mis en place par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand de l’époque, la grotte originale de Lascaux conserve encore ses secrets : "Les animaux semblent mélangés mais ils ne le sont sûrement pas. Il y a des signes d’entrée (la licorne qui vous accueille) et de fin (ces félins qui intiment l’ordre de ne pas aller plus loin). Ces lieux sont remplis de mémoire. L’essentiel est de savoir lire cette mémoire. La grotte est toujours très fragile car elle est vivante mais nous avons réussi une stabilisation. C’est une diva pour laquelle il faut rester vigilant mais pendant toutes ces années, elle n’a pas fait de crise de colère ou de jalousie. Pour autant, les attaques de champignons ne sont pas derrière elles. Les petites taches noires n’ont pas complètement disparu. Elles apparaissent encore un peu mais parfois disparaissent et il faut savoir pourquoi afin de les traiter. Je veux seulement que d’autres yeux voient ce que nous voyons. Je suis heureux de laisser une grotte présentable par rapport aux risques qui se présentaient".
Toujours des mystères
Les artistes chasseurs ne vivaient pas dans la grotte d’origine puisque aucune trace d’occupation n’a été exhumée. Depuis quatre-vingt ans, Lascaux conserve encore son mystère, comme "le cheval renversé" qui montre un animal à l’envers, enroulé autour d’un pilier ou "les bisons adossés" où les deux bêtes se tournent le dos. Dans cette extraordinaire réplique, Lascaux 4, avec ses 900 animaux sur seulement 250 mètres de long, dont certains mesurent plus de 5, 5 0 mètres, reconstitue un fabuleux bestiaire minéral.
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Cheffe de projet : Adèle Ponticelli
Réalisation : Guillaume Vasseau
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio