L'attentat le plus meurtrier en Irak cette année traduit une perte de terrain de l'EI mais témoigne aussi d'une contestation accrue envers le gouvernement.
Ce soir nous allons parler de Bagdad et de l'attentat qui a fait plus de 200 morts en plein cœur de la capitale irakienne. Le bilan n'est pas définitif tant l'identification des corps est difficile. C'est l'attentat le plus meurtrier en Irak et il n'est peut-être pas dû au hasard, puisqu'il intervient une semaine après la reprise de Falloujah par les forces gouvernementales.
Absolument, la ville a été reprise après un mois d'opérations militaires. Ce qu'il faut avoir en tête lorsqu'on parle de Falloujah c'est que c'était un bastion historique pour l’État islamique. La première ville dont il s'était emparé en 2014, celle d'où ses conquêtes sont parties, celle où les fondateurs de l’État islamique se sont battus. C'est aussi une ville dans ce qu'on appelle la ceinture de Bagdad, à moins d'une heure de route de la capitale et surtout c'était l'une des dernières localités tenues dans le pays par l'EI, l'avant-dernière pour être plus exact. Aujourd'hui en Irak l’État islamique ne contrôle plus que Mossoul au Nord. L'EI est en train de perdre ce qui constitue son identité, ce qui le différenciait des autres groupes terroristes comme Al-Qaïda : son assise territoriale. L'administration de villes et de régions était un aspect central de l'organisation. Aujourd'hui l'EI enchaîne les revers militaires, perd du terrain. Le groupe terroriste retrouve donc la clandestinité et les modes opératoires qui vont avec : des cellules dormantes dans les villes, des engins explosifs placés sur les routes et des attentats d'ampleur comme celui qui a eu lieu à Bagdad.
Quelle est la stratégie de l'EI à travers cet attentat ?
D'abord il y a un message très simple : "plus on retourne dans la clandestinité, moins vous êtes en sécurité." C'est extrêmement efficace. Le discours des autorités irakiennes qui a accompagné chaque conquête militaire était le suivant : "les forces armées se battent pour apporter la sécurité aux Irakiens." C'est exactement ce qui a été répété après Falloujah, la ville était considérée comme la principale menace pour Bagdad. La capitale devait donc être beaucoup plus sûre après la reprise de Falloujah. Donc quand vous habitez Bagdad et qu'un camion bourré d'explosifs tue des dizaines de familles dans un quartier sensé être l'un des plus protégés, vous pouvez légitimement vous demandez si la stratégie de vos dirigeants fonctionne. Vous pouvez aussi être en colère. C'est ce qui s'est passé, le Premier ministre al-Abadi a été hué lorsqu'il s'est rendu sur les lieux de l'attentat. Le bénéfice de la reprise de Falloujah s'est effacé derrière les revendications des Irakiens : en finir avec la faillite de l’État et la corruption. Aujourd'hui l’État de droit en Irak est kafkaïen : après l'attentat par exemple le Premier ministre a pris une décision qui peut apparaître ahurissante, il a interdit l'utilisation des "faux-détecteurs d'explosifs aux checkpoints." Un escroc britannique avait réussi à les vendre aux Irakiens en 2013 et beaucoup sont encore en circulation. Après l'explosion du centre de Bagdad, c'est le temps de la déflagration politique. Le but de l'EI est d'attiser les revendications contre le gouvernement et les tensions entre communautés, entre Sunnites et Chiites, ces derniers étant accusés d'être les partisans de l'EI.
Cela peut-il avoir des influences sur la suite des opérations contre l'EI ?
On va dire que c'est assez difficile de planifier ces opérations lorsque vous êtes sous le feu de la critique, en pleine crise politique. Le prochain objectif du gouvernement irakien et de la coalition internationale, c'est la prise de Mossoul, la "capitale" irakienne de l'EI (2 millions d'habitants). Beaucoup de militaires et de politiques en Irak vous le disent : "lorsque la bataille commencera la réponse de l'EI sera violente." Il risque donc d'y avoir d'autres attentats aussi meurtriers que celui qu'a connu Bagdad. Il est peut probable que le gouvernement irakien ait les moyens de les prévenir.
Chronique réalisée par Gwendoline Debono