Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Vous avez aimé l’accord qui a été trouvé sur "la chronologie des médias".
Exactement, alors je sens bien au ton de votre question que cette notion mérite quelques explications. La "chronologie des médias", c’est l’ensemble des règles qui fixent le délai entre la sortie d’un film en salle et le droit pour les différentes chaînes de télé de le diffuser sur leurs antennes. C’est un sujet absolument essentiel pour le cinéma français, à la fois pour la production des films et pour leur exploitation en salle, bref pour la bonne santé du septième art. Or il se trouve que cette "chronologie des médias" était en train d’exploser. Elle reposait sur un accord signé il y a de nombreuses années, et qui, avec les nouvelles technologies, était devenu largement hors d’âge.
Parce qu’il n’intégrait pas les nouveaux acteurs de ce secteur, comme Netflix ?
Absolument, toutes les plateformes de vidéo à la demande, tous les acteurs mondiaux surpuissants dont la capacité de production d’images, et de diffusion partout dans le monde est en train de devenir irrésistible. En fait, tout dépendait de Canal+.
Pourquoi ?
Parce que cette chaîne payante a un statut très particulier. Lors de sa création, dans les années 1980, Canal+ a bénéficié de grands avantages par rapport à la concurrence, entre autres, le droit de diffuser les films beaucoup plus vite que les chaînes gratuites. En échange, Canal+ avait l’obligation de financer des films, beaucoup plus que les autres chaînes du PAF. Et Canal+ est peu à peu devenu le premier financeur du cinéma français. Le problème, c’est qu’aujourd’hui les nouveaux acteurs, Netflix, Altice et les autres, poussent de plus en plus pour réduire les délais de diffusion. Eux-mêmes produisent désormais à tour de bras. Et ils prétendent avoir la main sur la diffusion de leurs propres productions, et des autres.
Evidemment Canal+ a vu le danger et a pris une position simple : si mes privilèges en termes de délais de diffusion disparaissent, je m’affranchirai de mes obligations en termes de financement.
Et là, alerte rouge pour le cinéma français ?
Rouge vif, en effet. Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’un nouvel accord a été trouvé dans lequel tout le monde est plus ou moins gagnant. Les consommateurs (spectateurs et téléspectateurs) qui pourront voir les films plus rapidement après les sorties en salle, les diffuseurs qui pourront satisfaire la demande, et le cinéma qui continuera à recevoir ses financements de la part des télés.
Et ça va tenir ?
Non ! En tout cas pas très longtemps. Parce que la technologie pousse, parce que les usages changent et qu’il y a fort à parier que le paysage aura massivement bougé dans 3 ou 5 ans. Il faudra donc d’autres négociations, y compris avec les nouveaux géants de la distribution, Netflix et autres, qui ne pourront pas toujours échapper aux obligations de financement. Il faudra d’autres accords, parce que voilà un secteur économique, partie essentielle de la culture, qui ne peut être laissé à la seule loi de l’offre et de la demande. Un secteur où ce qu’on appelle la régulation est le seul moyen de préserver la diversité des offres. Une des exigences de la culture.