Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Nicolas Beytout, vous avez aimé ce qui s’est passé lors du Conseil des ministres de rentrée du gouvernement italien.
Oui, vous savez comme moi que la rentrée est souvent l’occasion de prendre des bonnes résolutions. Le gouvernement italien n’a pas dérogé à la règle. Lui qui, depuis cent jours exactement, a passé une partie de son temps à défier l’Europe a subitement baissé de trois tons. Alors pas sur le sujet des migrants, là, aucune inflexion. Mais sur le reste des sujets européens, et en particulier la politique économique et budgétaire.
Depuis leur nomination, Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur et patron de la Ligue (l’extrême-droite italienne), et Luigi Di Maio le ministre du Travail et représentant du Mouvement 5 étoiles (la gauche populiste), ont tiré à boulet rouge sur Bruxelles. C’est leur bête noire, et ils ont à plusieurs reprises affirmé que la règle des 3% de déficit n’était pas "inscrite dans la Bible", que l’Italie devait pouvoir dépenser davantage pour les Italiens, et j’en passe.
Et puis subitement, cette semaine, changement de ton : "nous ne défierons pas l’Europe", a lancé Di Mao, "nous respecterons les règles imposées", a ajouté Salvini ».
Spectaculaire revirement en effet. Qu’est-ce qui s’est passé ?
C’est le résultat de 2 phénomènes concomitants, 2 phénomènes très puissants qui ont mis en danger le pays. Le premier, c’est une fuite des capitaux d’une ampleur inégalée : 75 milliards d’euros en 2 mois. Les épargnants ont envoyé un signal clair, et beaucoup se sont détournés des emprunts d’Etat italien. Grosse alerte.
Et parallèlement, les taux d’intérêt se sont brutalement tendus, ce qui veut dire que ceux qui acceptaient de continuer à placer de l’argent en Italie estimaient que c’était de plus en plus risqué et que ce risque exigeait d’avoir une meilleure rémunération, donc des taux d’intérêt plus élevés. Pour dire les choses simplement, la spirale menaçait d’être effrayante.
Est-ce qu’on peut dire que ce sont les marchés qui ont gagné ?
Pas vraiment, ou plutôt, pas seulement. Les premiers qu’il fallait rassurer (Luigi Di Maio l’a d’ailleurs dit), c’était les ménages italiens, les petits épargnants, les salariés, les contribuables.
Ensuite, il fallait rassurer les partenaires européens, très préoccupés eux aussi. Si l’Italie partait en vrille, en effet, c’est l’euro, notre monnaie, qui trinquait. On est unis, économiquement et monétairement. La tension qui se concentrait sur l’Italie n’allait pas tarder à faire vaciller les autres pays d’Europe, à commencer par les moins solides (et la France, de ce point de vue, n’était pas en très bonne posture).
Et puis, vous avez raison, il fallait desserrer la pression des marchés. C’est ce qui s’était passé en Grèce, avec Alexis Tsipras : il avait été élu sur un programme de rupture, un référendum lui avait donné le feu vert pour cela, et il a finalement remis son pays dans une forme d’orthodoxie économique (ce qui lui a permis cet été de sortir enfin de la procédure de crise).
Alors bien sûr, on peut dire que c’est la dictature des marchés. Mais il y a toujours un moyen de s’en échapper. Mais pour cela, il faut être fort, ou en tout cas il faut être convaincu qu’on peut être aussi fort seul. C’est ce qui s’est passé avec le Brexit. On verra dans quelques mois qui avait raison.